Malgré quelques avancées dans le domaine de l’inclusion, le monde de l’entreprise a encore d’énormes progrès à faire. Pour faciliter les premiers pas des jeunes travailleurs LGBTQI+, l’association Working Out a mis en place un système de mentorat.
Par Marie Roy
« Avec Alice*, nous avions choisi un bar pour notre première séance de mentorat. C’était bien de se voir dans cet endroit, c’était informel et ça a retiré la pression. Nous avons tout de suite eu un bon feeling et ça nous a permis d’avoir des échanges très variés, aussi bien autour de la vie personnelle que professionnelle », se souvient Valentine. La jeune femme, qui a récemment décroché un CDI dans un grand groupe de l’industrie française, fait partie de la 2e promotion de 25 binômes de l’association Working Out. Cofondée par Basile Anthonioz, Vanessa Bottero et Alexandre Oriez en 2021, l’association met à disposition un système de mentorat entre un jeunes diplômé·es ou étudiant·es en fin de cursus et une personne expérimentée travaillant dans le même secteur.
Le fonctionnement est simple : l’aspirant mentoré prend contact avec l’association et doit remplir un questionnaire. Un mentor lui est ensuite attribué. Mentor et mentoré·e se rencontrent ensuite une fois par mois pendant tout un semestre. Et, précision essentielle : le dispositif est entièrement gratuit.
Lors des séances, le binôme doit suivre une trame élaborée par l’association comprenant un certain nombre de thèmes à aborder et des objectifs à établir pour le ou la mentoré·e. Pour Valentine, c’est la question d’être out au travail qui a, pour l’instant, beaucoup occupé les échanges avec sa mentor : « Je n’avais jamais passé le pas d’être out, même pendant ma précédente expérience professionnelle en alternance. J’avais peur du regard des autres, surtout que je suis passée d’une start up assez ouverte sur les questions LGBTQI+ à un grand groupe industriel assez en retard sur ces questions et j’y ai déjà entendu des remarques très très limites. ». Elle poursuit : « Et puis nous savons que, malgré tout, sortir du placard peut aussi être discriminant ». Et de fait, d’après le rapport 2022 de l’association SOS Homophobie, plus d’une victime sur dix de LGBTIphobie se voit licencier de façon abusive.
Échanger pour se sentir en confiance
Pourtant et en dépit de ces chiffres, les conversations que la jeune mentorée a eues avec Alice vont faire évoluer sa réflexion sur le sujet et l’amener à faire son coming out auprès de quelques collègues : « Elle m’a dit que c’était aussi à nous de faire bouger le monde de l’entreprise. Alice m’a également beaucoup aidée en me faisant remarquer que l’on sort aussi du placard pour les autres, pour ceux qui viendront après nous : si nous passons le pas d’être out, de faire de la pédagogie auprès de nos collègues, ce sera plus simple pour les nouveaux LGBTQI+ qui arriveront dans l’entreprise. »
C’est d’ailleurs à cause d’une expérience similaire que Working Out a été fondé. « Quand je suis arrivé dans le cabinet de consultant Roland Berger, il n’y avait qu’une seule autre personne qui était out sur 300 salariés. L’entrée dans le monde de l’entreprise coïncide avec un moment où nous ne sommes pas forcément très à l’aise avec cette thématique sur le plan personnel et il apparaît donc plus simple et plus prudent de rester au placard quelques temps », se remémore Basile Anthonioz. « Il m’a fallu deux ans pour gagner en assurance sur le plan personnel et aussi mieux connaître l’entreprise avant de parler du sujet, d’abord avec des collègues proches puis avec un cercle plus large de collaborateurs et de collaboratrices. C’est de cette expérience qu’est née Working Out, parce que j’aurais aimé être guidé par quelqu’un d’expérimenté à ce moment-là. »
Et si la question du coming out en entreprise est importante, elle n’est pourtant pas l’alpha et l’oméga de Working Out : « Notre objectif n’est pas de pousser au coming out, c’est une démarche personnelle qui regarde chaque personne et qu’elle entreprend lorsqu’elle le sent et auprès des personnes qu’elle choisit », précise le cofondateur.
Rendre l’environnement de travail plus inclusif
Un autre aspect de l’association est de contribuer à rendre l’environnement de travail plus inclusif en encourageant ses membres à mener, à leur échelle, des actions concrètes comme intégrer un réseau interne ou organiser des événements pour promouvoir l’inclusion et la diversité. « Ce n’est pas forcément quelque chose demandant trop d’investissement, ça peut simplement être organiser une conférence sur son lieu de travail ou inviter une association. »
Et bien sûr, les questions sur la carrière et les choix professionnels sont aussi abordées : « Ma mentor m’a beaucoup aidée pour m’orienter et me rassurer. Elle a été très à l’écoute pour trouver des pistes quant à ma future carrière. Nous avons exploré ensemble ce que j’aimais faire étant enfant, ce qui me rend heureuse et elle voulait même m’accompagner dans des FabLab ! », relate Lio*.
Tous les témoignages recueillis mettent en avant l’importance de « pouvoir parler avec une personne qui connaît exactement les situations que nous traversons parce qu’elle les a elle-même vécues. Il est alors possible de bénéficier de son expérience et c’est souvent rassurant », indique Valentine. Autant que possible, Working Out attribue un mentor dans le même secteur professionnel que le ou la mentoré·e : «Je pense que selon les milieux professionnels, les enjeux ne sont pas les mêmes. Alexandre, mon mentor, a fait son lycée là où j’ai fait ma prépa et nous avons tous les deux étudiés au sein d’une école de commerce. J’ai l’impression qu’il est un peu moi dans dix ans, donc cela me rassure de connaître son point de vue et son expérience », explique Léo, en fin de cursus dans une grande école de commerce parisienne.
Working Out hors de Paris
En tout, 50 binômes ont été mis en place par Working out : 25 l’année dernière et 25 cette année. Pour le bilan de la première promotion, les mentoré·es ont évalué à 4,3/5 l’impact du mentorat sur leur bien-être et 80% des objectifs fixés par les mentoré·es et les mentors ont eu trait à l’inclusion LGBT+.
Forte de ces retours positifs, l’association Working Out compte poursuivre son développement : « Pour l’instant, nous avons des mentors issus des cabinets de consultants, des cabinets d’avocats, des start up, du monde de la tech et de la finance. Nous souhaitons évidemment étendre la couverture des secteurs professionnels de nos mentors et ce sera l’un de nos axes de travail pour 2023 », dévoile Basile Anthonioz. De même, cette année devrait aussi se voir développer Working Out hors de Paris : « Nous avons quelques pistes à Marseille. »
*Pour des questions d’anonymat, les prénoms ont été changés