Visibilité LGBTQI+, où sont les dirigeant·es ?

Visibilité LGBTQI+, où sont les dirigeant·es ?

Parmi les éléments qui permettent de faire avancer la diversité et l’inclusion en entreprise, l’engagement des dirigeant·es est déterminant. Toutes les études en attestent : lorsque le top management fait de l’inclusion une priorité, le sujet progresse très rapidement au sein de l’entreprise. Mais qu’en est-il lorsque le ou la dirigeant·e est une personne LGBTQI + ? 

Par Chloé Consigny

Les dirigeant·es LGBTQI + sont rares. Dans le monde et plus particulièrement en France ; ils sont très peu nombreux à avoir fait publiquement état de leur orientation affective ou de leur identité de genre. Selon une étude réalisée par l’association LGBTQ+ Corporate Directors, seul 1,2% des sièges au comité exécutif du Nasdaq sont occupés par des personnes LGBTQI +. Le Fortune 500 ne compte, en son sein, que trois CEO LGBTQI +.

En France, la représentation des dirigeant·es LGBTQI + est très faible, et plus particulièrement celle des femmes lesbiennes. Les femmes dirigeantes étant très peu nombreuses au sein de l’Hexagone, les lesbiennes sont sous-représentées. À l’heure actuelle, en France, seules trois sont visibles. 

Deux d’entre elles ont accepté de répondre à nos questions : Corinne Calendini, directrice générale d’AXA Epargne, Retraite et Prévoyance, et Aurélie Feld, Présidente de LHH France & Luxembourg (Adecco Group). À leurs côtés, Charles Leung, CEO de la Maison Chaumet, témoigne.

Tous les trois se souviennent de leur coming out professionnel : progressif pour Corinne Calendini et Charles Leung, immédiat pour Aurélie Feld. Elle explique : « je devais avoir 23 ou 24 ans lorsque je me suis rendu compte que j’étais lesbienne. À ce moment-là, je me suis dit : « je suis comme ça et je n’y peux rien. Je peux juste choisir de bien ou de mal le vivre ». J’ai fait très consciemment le choix de bien le vivre. Je suis avocate de formation. Mon premier emploi était dans un cabinet américain à New York et j’ai tout de suite été out. Je suis ensuite rentrée en France dans le même cabinet. C’était un peu plus compliqué parce que la culture d’entreprise n’était pas uniforme et que l’entreprise était quand même beaucoup moins inclusive en France qu’aux États-Unis. Néanmoins, j’ai toujours pensé que cette partie de moi était non négociable ». 

L’importance des allié·es 

Pour Corinne Calendini, en revanche, le coming out professionnel est plus tardif. Elle explique : « J’ai eu une vie parfaitement hétéronormée jusque très récemment.  Alors que j’étais mariée à un homme, en 2019, je tombe amoureuse d’une femme. Je divorce, je fais mon coming out auprès de mes enfants et de ma famille et je suis accueillie à bras ouverts. Au travail, j’étais persuadée que tout serait facile. À l’époque, j’étais d’ailleurs présidente de Mixin, le réseau interne à AXA, qui promeut l’égalité hommes femmes. Pourtant, devant la machine à café, j’étais incapable de parler de ma situation. Je ne parvenais pas à dire que j’étais partie en week-end avec ma copine. J’ai passé deux années à éviter de parler de ma vie personnelle. Il m’a fallu du temps. J’ai finalement fait mon coming out lors de la signature de la charte de l’Autre cercle. Devant 1 500 personnes. J’ai raconté mon histoire et cela a libéré la parole ». 

Pour Charles Leung également, la visibilité a pris du temps. Il se souvient avoir démarré sa carrière dans une entreprise « très peu friendly envers les personnes LGBTQI +, voire même masculiniste et hostile ». La confiance lui viendra progressivement grâce notamment aux allié·es. « Je n’ai jamais fait de coming out à proprement parler. C’est simplement au fil du temps, la confiance s’est installée et j’ai parlé de moi à mes collègues », se souvient-il. Pour lui la difficulté vient aussi de l’intersectionnalité. 

Intersectionnalité

Lorsqu’il rejoint le groupe LVMH, il trouve une ambiance plus amicale. Néanmoins, il doit faire ses preuves au sein d’une industrie du luxe très normée. « Je suis le premier Asiatique à avoir eu la chance d’accéder à la direction d’une maison de luxe. Finalement, être gay n’est pas tellement un problème. En revanche être asiatique est, à mon sens, encore plus compliqué. Je ne peux pas cacher ma peau ». C’est au sein du groupe LVMH qu’il rencontre une personne engagée en faveur des droits LGBQTQI +. « Arrivé à un certain âge et ayant accédé à certaines responsabilités, je me suis dit qu’il était temps de prendre la parole ». Via les ERG, employee ressource group, les salarié·es LGBTQI+ et allié·es se rassemblent pour faire avancer les droits. Des réseaux d’autant plus importants au sein de groupes mondialisés. « Dans tous les ERG nous disons aux personnes : « si vous vous mettez en risque en faisant votre coming out, au regard de la législation d’un pays, surtout ne le faites pas ». C’est à mon sens aussi à cela que doivent servir les ERG », explique Aurélie Feld. 

Rôles modèles 

Pour les trois dirigeant·es, le fait d’être visibles a eu une incidence majeure sur leur vie professionnelle. D’abord sur leur lien avec les autres personnes de l’organisation : « je suis toujours la seule dirigeante lesbienne chez Axa, en revanche, j’ai l’impression que la parole est désormais plus libérée et que chacun et chacune ose davantage dire qui il ou elle est ». Un constat largement partagé par Aurélie Feld : « Quand on est out soi-même, on permet une multitude de coming out. Je pense que chez LHH, il y a beaucoup de gens qui se sont sentis davantage libres d’être eux-mêmes, parce que je l’étais. » Un engagement qui va beaucoup plus loin que leur quotidien « quand on est visible et DG, on crée de la safe place pour les autres », explique Corinne Calendini. « On permet aux directions des ressources humaines de créer des programmes et on ouvre la voie ». Chez Chaumet, sa visibilité a permis à Charles de faire avancer les choses : « le safe place que nous participons à créer en tant que dirigeantes nous protège également. Finalement, je me sens beaucoup moins seul aujourd’hui. Je me souviens que lorsque j’étais jeune, j’étais très seul, cela ne m’incitait pas à faire état de ma diversité. Désormais, dans l’entreprise, c’est normalisé et je me sens entouré ».