Le 26 avril est la journée internationale de la visibilité lesbienne. À l’instar de la date du 8 mars - Journée internationale du droit des femmes - cette journée ne peut en aucun cas se suffire à elle-même. Donner place aux femmes, mettre en avant leurs diversités est un engagement du quotidien. Pour les entreprises qui s’en emparent, ces journées sont néanmoins l’occasion de rappeler à toutes et à tous l’importance des représentations diverses. Via son réseau All Proud, la Française des Jeux a rassemblé le temps d’une conférence deux femmes lesbiennes qui, au quotidien, s’engagent pour faire bouger les lignes.
Par Chloé Consigny
C’est en 1982, à Montréal, qu’a été pour la première fois célébrée la journée de la visibilité des femmes lesbiennes. Une manifestation destinée à visibiliser spécifiquement les femmes homosexuelles : à l’intersection du sexisme et de la lesbophobie, celles-ci sont souvent confrontées à une double discrimination. Une intersectionnalité dont Mélissa Camara, Conseillère municipale de Lille, Membre du bureau exécutif des Écologistes et candidate aux élections européennes, est familière. Elle explique : « Je cumule : je suis une femme, racisée, lesbienne, de gauche. Je subis un cyberharcèlement constant. Il n’y a pas une journée sans que je ne reçoive des attaques en lien avec mes origines ou en lien avec mon orientation affective ». En 2024, les femmes lesbiennes visibles dans la sphère publique restent fortement exposées. « Le milieu politique reste très sexiste. Au sein de l’Assemblée nationale, certaines femmes ne peuvent pas prendre la parole, lorsqu’elles s’expriment, c’est dans un brouhaha. Elles sont sans cesse interrompues. Être une femme en politique, c’est devoir faire face à des comportements indignes. Si être une femme en politique n’est pas simple, être une femme lesbienne en politique est encore plus compliqué », poursuit Mélissa Camara.
Cependant, progressivement, certaines voix s’élèvent et des femmes prennent la parole, affirmant leur diversité. La jeune génération est particulièrement présente, avec des artistes telles que Pomme, Suzane, November Ultra, Hoshi ou encore Aloïse Sauvage. Le monde du sport se distingue également avec des pionnières telles que la tenniswoman Billie Jean King, puis, bien plus tard, des personnalités telles qu’Amélie Mauresmo, première sportive à faire son coming out en France en 1999, ou encore la judokate Amandine Buchard, dont le coming out date de 2021. Sur la scène politique française, les femmes lesbiennes visibles sont aujourd’hui présentes. Il est par exemple possible de citer, Alice Coffin, Mélanie Vogel, ou encore Sarah El Haïry, actuellement ministre déléguée chargée de l’Enfance, de la Jeunesse et des Familles.
Sites pornographiques
En lui-même, le mot lesbienne a longtemps eu une image péjorative : « Il faut bien avoir à l’esprit que jusqu’en 2019, lorsque vous tapiez dans Google le mot « lesbienne », vous étiez renvoyé à onze pages de pornographie. La page Wikipédia sur le lesbianisme n’arrivait qu’en onzième position. Moi-même lorsque plus jeune, j’étais en plein questionnement sur mon orientation romantique, j’ai été confronté à ces pages », explique la spécialiste de la Tech Fanchon Mayaudon-Courtel. Le référencement de Google l’amène à se questionner : « j’ai eu beaucoup de mal à employer le mot lesbienne. Je me souviens par exemple de l’année où je préparais mon mariage. Dans le train, avec ma femme nous parlions de l’organisation du jour J et, à chaque fois que nous prononcions le mot lesbienne, nous nous mettions à chuchoter ». En 2019, elle crée le collectif SEO Lesbienne, alors qu’elle est en poste dans la Tech. « Je savais qu’il était possible de tordre les algorithmes. Cela s’appelle le Google Bombing. » Avec SEO Lesbienne, elle parvient en août 2019 à faire modifier les algorithmes de recherche de Google en France, mais également en Amérique latine.
La visibilité, une prise de risques
Si le succès est célébré dans de nombreux pays, pour la spécialiste de la Tech, la bataille a été très éprouvante. « Avec SEO Lesbienne, j’ai reçu des menaces de mort. J’ai dû faire face à beaucoup, beaucoup, beaucoup de cyberharcèlement. Le risque, j’en ai pris conscience dès le début. Pour aller au bout, il fallait que je me sente capable, que je sois armée. À mon sens, lorsque l’on est bien dans ses baskets, il est ensuite beaucoup plus facile d’être à l’aise avec le monde. Il faut donc faire son coming in avant de faire son coming out ». Et de fait, l’accueil réservé aux femmes lesbiennes peut parfois être particulièrement malveillant : « Il y a un coût d’entrée au fait d’être visiblement lesbienne. Par exemple, dans les débats et sur les réseaux sociaux, je peux me voir sans cesse renvoyée à mon orientation affective », abonde Melissa Camara.
Le point commun des femmes lesbiennes qui prennent la parole est très souvent une urgence à s’engager pour une cause qui va bien au-delà de leur individualité : « J’ai commencé mon action militante par le féminisme au moment de la manif pour tous. C’est à ce moment-là que je suis sortie du placard avec pour volonté de lutter contre la vision rétrograde de la société et promouvoir une société qui protège les droits des personnes LGBTQI+ », explique Melissa Camara. Elle ajoute : « Je pense qu’il est absolument nécessaire qu’aujourd’hui les enfants et les adolescents puissent grandir avec des représentations diverses. Petite, la seule représentation de femmes lesbiennes qui m’était proposée était celle du film « Gazon maudit ». Faute de représentation, j’ai longtemps cru qu’il n’existait pas de femmes noires lesbiennes. J’ai trouvé refuge dans la littérature. Aujourd’hui, j’ai envie de montrer aux adolescent·es qu’il existe des femmes lesbiennes partout dans la société et qu’une femme lesbienne peut être députée, qu’elle peut participer aux Jeux Olympiques, qu’elle peut être actrice, chanteuse, dirigeante d’entreprise. En clair, qu’elle peut faire comme tout le monde ». Au cours de sa carrière, Fanchon Mayaudon-Courtel a connu le rejet en raison de son orientation affective « après cette difficile expérience, je me suis promis de ne plus jamais être au placard. Désormais, lorsque je vais en entretien d’embauche, je mentionne ma femme. Et depuis que je fais ça, je vais beaucoup mieux. Néanmoins, je pense que c’est un luxe, car il y a des environnements qui ne sont pas propices à la prise de parole des femmes lesbiennes. Nous nous devons de parler pour toutes celles qui ne peuvent pas le faire ».
Défricher pour les autres
Ces femmes engagées portent des combats qui profitent ensuite au plus grand nombre. De nombreuses avancées féministes ont été originellement portées par des femmes lesbiennes. « On peut penser que nous avons beaucoup progressé avec le PACS, le mariage pour tous, la PMA. Néanmoins, les combats sont loin d’être terminés. Par exemple, sur la question de la PMA, il y a une rupture d’égalité manifeste. Pour pouvoir être la mère de ma fille, j’ai dû faire une reconnaissance anticipée, tandis que les couples hétérosexuels bénéficient d’une présomption de parentalité. Dans d’autres pays, comme au Canada, la présomption de maternité existe », souligne Melissa Camara. Elles endossent volontiers le rôle de première de cordée, notamment en entreprise. « À chaque fois que j’arrivais en entreprise, j’étais le premier cas. C’est-à-dire le précédent de tout. Il m’a fallu expliquer et travailler de concert avec les RH pour faire appliquer mes droits. Par exemple, depuis l’adoption de la loi PMA, les salarié·es en parcours PMA sont protégé·es. Il m’était donc possible de bénéficier de jours rémunérés. Cela a été une longue bataille, de même que mes indemnités journalières d’accueil de naissance qui ont été renseignées sur mon bulletin de salaire même si cela était avec la mention « congés paternité » », détaille Fanchon Mayaudon-Courtel.
Des combats nécessaires et souvent fastidieux qui bénéficient par la suite largement à toutes les femmes, qu’elles soient lesbiennes ou non.