Comment lutter efficacement contre les violences faites aux femmes ? En 2019, Priscillia Routier-Trillard a un déclic : celui de la puissance de l’entraide. Originaire du monde de la tech, elle se lance dans la création d’une application à destination des femmes et des personnes trans et non binaires victimes de harcèlement et de violence.
Par Chloé Consigny
Dans Paris, une femme est victime d’une agression dans la rue. Elle active le bouton d’alerte de l’application The Sorority. Moins d’une minute plus tard, des dizaines de femmes la rejoignent sur le lieu de l’agression et détournent l’attention de son agresseur. Parmi elles, une influenceuse Tik Tok (@lagrandeskinny) suivie par 260 K abonné·es et membre de la communauté. Elle partage une vidéo des faits, donnant à voir la force de frappe de l’application.
Effet de sidération
En France, les infractions pour outrage sexiste ont progressé de 21 % entre 2022 et 2023, la quasi-totalité des auteurs étant des hommes (97 %). Dans le même temps, les crimes et délits à caractère sexuel (hors cadre familial) ont enregistré une hausse de 6 %, selon le service statistique ministériel de la sécurité intérieure. À cela s’ajoutent chaque année 272 000 femmes victimes de violences physiques ou sexuelles de la part de leur conjoint ou ex-conjoint, tandis qu’une centaine de femmes sont tuées chaque année.
Des chiffres qui ont poussé Priscillia Routier-Trillard a créer sa plateforme. À la question de savoir si la population générale est suffisamment formée pour agir en cas de harcèlement de rue ou de violence familiale, elle déplore des attentes trop fortes envers les différents gouvernements et ajoute : « On ne peut pas se contenter de s’indigner face à l’augmentation des chiffres des violences faites aux femmes. À aucun moment, il n’est question de se mettre en danger. Il s’agit, en revanche, de prendre sa place dans l’humanité et de ne pas fermer les yeux face aux personnes qui ont besoin d’aide. L’idée de l’application est de jouer sur l’effet de sidération et d’arrêter l’agresseur avant que la confrontation n’aille plus loin », explique la créatrice. Très concrètement, lorsqu’une personne est agressée dans les transports en commun, elle active le bouton d’urgence. Les 50 utilisateurs et utilisatrices les plus proches sont alerté·es. Il leur suffit alors de se rendre sur le lieu de l’agression en prétendant connaître la personne ou tout simplement de l’appeler sur son téléphone portable. « La force de The Sorority repose sur le renversement de l’effet de sidération. Lorsqu’une personne est agressée, elle « freeze », c’est-à-dire qu’elle est incapable de réagir. Si au moment où elle est en danger, quelqu’un l’appelle ou se met à lui parler, elle va retrouver ses réflexes. Au même moment, l’effet de sidération va changer de camp et l’agresseur sera pris de court », explique la créatrice.
L’application étant entièrement gratuite pour les usagers, le développement s’est fait grâce à des opérations de crowdfunding et grâce au soutien de fondations. Aujourd’hui, The Sorority noue des partenariats avec des entreprises engagées qui apportent leur soutien financier, mais également des espaces relais : l’application étant dotée d’une cartographie très détaillée, il est possible de signaler aux utilisateurs et utilisatrices des safe place pouvant être des agences ou des enseignes de magasins. Autant de lieux sûrs sur le territoire, à condition que les salarié·s soient informé·es de l’existence de l’application.
De la place des hommes cis
Créée en 2019, The Sorority compte aujourd’hui 240 000 utilisateurs et utilisatrices. Entièrement gratuite, elle est accessible à toutes personnes dont le genre ressenti est féminin. Des femmes donc, mais également des personnes trans et non binaires qui, un jour ou l’autre, ont vécu l’expérience de la peur de l’agression par un homme. « À la création de The Sorority lorsque j’expliquais mon idée, il me fallait près de 20 minutes pour expliquer le principe à un homme cis. Les femmes, elles, comprenaient l’utilité de l’application en moins de 30 secondes », se souvient Priscillia Routier-Trillard.
Si pour l’heure, l’application n’est pas ouverte aux hommes cis, une version est aujourd’hui en bêta test pour permettre aux alliés, aux hommes victimes de violences et d’homophobie de bénéficier la communauté d’entraide. « Nous devons nous assurer qu’aucun conjoint, ex-conjoint violent ou harceleur ne soit présent sur la plateforme », explique Priscillia Routier-Trillard. Pour ce faire, la plateforme demande une double authentification (selfie et carte d’identité), tandis que chaque membre est ajouté individuellement par les modérateurs. « Nous allons mettre en place des marrainages afin que chaque nouvel entrant soit recommandé a minima par trois personnes de la communauté. Par ailleurs, la cloison entre les deux communautés en mixité pourra être levée uniquement en cas d’alerte et lorsque toutes les personnes concernées accepteront d’être aidées par l’autre genre », détaille la créatrice.
Plus de 700 alertes sont enregistrées chaque mois sur l’application, principalement dans la rue. Pour mettre les utilisateurs et utilisatrices en condition, des formations sont proposées chaque mois. Une personne est alors invitée à activer le bouton d’urgence. Les 50 personnes les plus proches sont alertées et peuvent se mobiliser par un appel, un texto ou une présence sur le lieu de l’agression. The Sorority est également en lien avec de nombreuses associations et conventionnée auprès du ministère de l’Intérieur « cela permet à la police et à la gendarmerie de connaître notre application et donc de faciliter la réponse lorsqu’une alerte est lancée depuis la plateforme », précise Priscillia Routier-Trillard.