L’observation du milieu sportif professionnel est riche d’enseignements pour l’entreprise. Car ces deux mondes affrontent des défis communs en matière d’inclusion des personnes LGBT.
Par Stéphanie Gatignol
Sur une pelouse comme dans les couloirs d’une entreprise, quelqu’un qui n’est pas bien dans ses baskets n’est pas concentré sur ses performances. Ancien joueur de foot invité du Webinar Têtu Connect consacré à l’invisibilité des LGBT+ dans le sport, Ouissem Belgacem en témoigne avec force dans Adieu ma honte*, ce récit autobiographique dans lequel il raconte son chemin vers l’acceptation de son orientation amoureuse et analyse son échec à intégrer une équipe pro.
Si le sport constitue un cadre particulier du fait de sa médiatisation, il est confronté aux mêmes défis que les autres milieux professionnels en matière d’inclusion des LGBT+. Car, que ce soit dans les vestiaires ou l’open-space, trop de personnes se cachent et perdent leur énergie en dissimulation. Quelques avancées notables ont, certes, marqué l’actualité récente, comme la sortie du livre du patineur Guillaume Cizeron** ou la diffusion sur Canal + du documentaire Faut qu’on parle*** dans lequel six sportifs en exercice évoquaient leur homosexualité, mais ils sont rares à franchir le pas. A ce jour, aucun footballeur français en activité n’est sorti du placard.
LE ROLE MOTEUR DES INSTANCES DIRIGEANTES
Derrière le silence d’un athlète ou d’une chef comptable lesbienne, ce sont les mêmes réticences. Peur de voir sa carrière entravée, de subir des discriminations dans l’environnement machiste d’une usine ou au sein d’un club qui tolère que des insultes homophobes soient passées dans le langage courant. Dès lors, comment faire en sorte qu’ils puissent évoluer dans un contexte qui les rassure et leur permette d’être à 100 % de leurs capacités ?
Pour Pascale Reinteau, co-présidente de la Fondation Inclusion pour un Environnement Respectueux (FIER), la détermination des instances dirigeantes est fondamentale. « Si le président d’un club pro annonce qu’il soutiendra ses joueurs gays, s’il mobilise ses partenaires économiques pour être sur la même ligne, si l’équipe est motivée pour créer un environnement propice à l’inclusion, cette volonté pourra ruisseler et redescendre dans tous les villages de France. » Un engagement qui implique à la fois des paroles fortes, des actions de sensibilisation sur les comportements inacceptables et des sanctions pour contrer les dérapages. Ni la remarque discriminante dans un bureau, ni l’injure sur le terrain ne sont acceptables. Les entraîneurs et les arbitres comme les DRH doivent en avoir conscience. Et réagir par un carton rouge (voire plus) selon la gravité du tacle.
LE BUSINESS, NERF DE LA GUERRE
Après la parution de son livre en avril, Ouissem Belgacem dit avoir reçu des messages de soutien de la part de ses amis dont certains évoluent en équipe de France. Mais, toujours en privé. Aucun, regrette-t-il, ne s’est manifesté publiquement pour soutenir la cause qu’il défend. « Je ne leur en veux même pas. Ils savent qu’ils ont tout à y perdre ! La Fédération et la FIFA n’ont pas créé d’environnement propice à cette prise de parole et je ne pense même pas à des joueurs potentiellement gays.» D’évidence, sans engagement de la gouvernance, aucun travail de fond n’est possible, sinon du saupoudrage.
Le salut peut-il venir des sponsors ? Directeur RSE et Communication de la Ligue Nationale de Rugby, dont la Société Générale est le partenaire historique, Thomas Otton y croit fermement. Selon lui, c’est le réalisme économique qui poussera les mentalités à évoluer. « Aujourd’hui, les grandes marques sont obligées d’aller sur le terrain de l’inclusion et ce sont elles qui feront bouger les instances sportives parce que ces dernières n’auront plus d’autre choix que de les suivre. » Fin juin, alors que la UEFA refusait à Munich d’illuminer son stade aux couleurs de l’arc-en-ciel pour protester contre la politique hongroise envers les minorités sexuelles, plusieurs sponsors de l’Euro se sont démarqués de cette décision : Heineken ou Volkswagen ont affiché des panneaux publicitaires en mode Rainbow Flag au bord de la pelouse.
EST-CE BIEN COMPRIS ???
Même s’il salue leur réaction, Ouissem Belgacem en espère encore plus. « J’attends le jour où ils diront à un joueur qui tient des propos homophobes : tu portes un maillot où nous figurons, tu dégrades notre image, tu es sanctionné. Et j’aimerais que les discriminations soient toutes combattues avec la même fermeté.» Seul un travail collectif peut, selon lui, changer la donne. Le soutien d’Antoine Griezmann qui a fait la couverture de Têtu en 2019 et affiché sa solidarité avec la communauté LGBT par un tweet lors du « Rainbow Gate » est un beau geste, mais « seul, il ne pourra rien. Le foot est gangréné dans toutes ses strates – institutions, centres de formation, joueurs, fans etc. – et la solution ne peut venir que de leurs efforts combinés. » Dans les arènes sportives ou n’importe quel cadre de travail, l’impulsion des dirigeants est un préalable, l’émergence de rôles-modèles et allié(e)s indispensable, mais chaque individu doit être ciblé par le dispositif anti-homophobie. Et s’il faut éduquer et éduquer encore, il convient aussi de s’assurer que le message est reçu 5 sur 5. « Quand on porte un bracelet arc-en-ciel, encore faut-il comprendre ce qu’il signifie », martèle Ouissem.
LES BENEFICES DE L’ESPRIT D’EQUIPE
L’an passé, l’ancien joueur du XV de France Christian Califano a accepté d’entraîner l’équipe parisienne LGBT Friendly des Coqs Festifs lors d’une journée Portes Ouvertes. Pour lui, le plan de lutte Plaquons l’homophobielancé par la LNR « a fait bouger beaucoup de choses » dans le monde de l’ovalie. Et, ces derniers mois, celui-ci a encore marqué des points. Dès la saison prochaine, les personnes transgenres pourront intégrer ses compétitions officielles. Le maillot du Biarritz Olympique est sponsorisé par l’application de rencontres gay Grindr. Et, pour la première fois, en juin 2021, via le documentaire de Canal +, un pro français en activité a fait son coming-out. Jérémy Clamy-Edroux est pilier droit à Rouen. « Un des postes les plus virils et les plus testostéronés, rappelle Christian Califano. Et s’il ne va pas bien physiquement ou mentalement, tout l’édifice s’en ressent.» Le collectif a donc pleinement intérêt à ce que ce coéquipier puisse donner le meilleur de lui-même. Une stratégie à méditer au sein de l’entreprise…
A lire, à voir…
*Adieu ma honte. Ouissem Belgacem. Fayard. 18 €
**Ma plus belle victoire. Guillaume Cizeron.XO. 16,90 €
***Faut qu’on parle. Documentaire à revoir sur Canal + jusqu’au 17 septembre.