Comment un groupe présent dans 120 pays au travers de 47 marques parvient-il à respecter ses engagements d’accueil de toutes les diversités ? Explications par Sébastien Bazin, à la tête du géant français de l'hôtellerie depuis 2013.
Par Chloé Consigny
À quel moment avez-vous pris conscience de la nécessité de créer une direction Diversité et Inclusion ?
Je suis à la tête de Accor depuis 11 ans maintenant. Les sujets Diversité, Equité et Inclusion sont arrivés il y a sept ans. En 2017, Patrick Mendes – qui était alors à la tête de la région Amérique du Sud -m’a demandé si je l’autorisais à participer à un forum d’entreprises engagées en faveur des personnes LGBTQI+ au Brésil. C’est lui qui m’a ouvert les yeux sur ce sujet. Accor était déjà engagé sur les questions de parité hommes / femmes, dans le cadre de l’initiative HeForShe. Les Nations Unies nous ont ensuite sollicité pour rejoindre l’association IGLTA (The International LGBTQ+ Travel Association), qui met en réseau les acteurs du tourisme dotés d’une politique d’inclusion des personnes LGBTQI+. Nous avons poursuivi notre travail en lien avec les Nations-Unis en Amérique latine et dans d’autres territoires. Nous avons formalisé davantage nos objectifs et nos actions, avec des données chiffrées nous permettant de mesurer notre progression.
Concrètement, quelles sont les actions mises en place ?
Nous sommes une industrie d’accueil. Accor embauche 100 000 personnes chaque année et accueille près de 300 millions de clients dans ses hôtels. Dans le mot accueil, il y a générosité, bienveillance, respect, mais aussi connaissance. C’est vrai pour le handicap, la diversité ethnique et toutes les diversités. Nous avons mis en place un code de conduite et des sessions de formation et de sensibilisation afin que nos collaborateurs puissent accueillir toutes les personnes, quelle que soit leur diversité. Concrètement, pour les personnes LGBTQI+ ce sont des mesures de bon sens. Il s’agit, par exemple, de ne pas proposer systématiquement des lits séparés lorsque deux personnes de même sexe se présentent à l’accueil d’un hôtel.
Le modèle Accor fonctionne notamment sous la forme de franchises. Parvenez-vous à diffuser ces formations au sein de tous vos établissements ?
Nous avons deux modèles économiques chez Accor. Nous sommes à la fois gestionnaires d’hôtels pour le compte de propriétaires. Dans ce mandat de gestion, nous prenons en charge l’embauche, la formation et la gestion au quotidien de l’ensemble du personnel. Nous avons donc la responsabilité du personnel, sans en être l’employeur juridique. Dans le second modèle de gestion, qui représente un tiers des cas, nous sommes distributeur d’une marque, c’est-à-dire que nous sommes franchiseurs. Pour prétendre à une franchise Accor, les franchisés doivent s’engager dans un strict respect des valeurs de Accor. Nous ne faisons aucune différence dans le comportement des collaborateurs, qu’ils soient franchisés ou managés. Lorsqu’un client arrive dans un hôtel Accor, il ne connaît pas le modèle économique. L’accueil doit donc être le même dans tous nos établissements. Le code de conduite doit être rigoureusement respecté, sinon la franchise peut être retirée. Nous auditons plus de 500 hôtels par an.
Dans le monde, 72 États ont une législation répressive à l’égard des personnes LGBTQI+, qui risquent parfois jusqu’à la prison ou la peine capitale. Comment composez-vous avec ces législations dans les pays où vous êtes présents ?
C’est une question très compliquée. Notre règle de base est la suivante : nous devons être en respect de la réglementation du pays où nous sommes présents. Nous ne pouvons pas nous implanter dans un pays sans en accepter sa législation. Il est cependant hors de question de dénoncer aux autorités des personnes homosexuelles séjournant chez nous. C’est donc un mélange subtil entre respect de la réglementation nationale, bon sens et générosité. Néanmoins, nous constatons que les personnes LGBTQI + voyagent peu dans ces pays.
La question de quitter ces pays a-t-elle été évoquée ?
À aucun moment. À titre d’exemple, nous sommes présents en Arabie Saoudite depuis très longtemps. Accor est un groupe très vocal sur de nombreuses thématiques. Par exemple, nous prenons position en faveur de la diffusion de musique et en faveur du travail des femmes dans nos hôtels. Bien sûr, un groupe hôtelier français ne peut, à lui seul, être à l’origine d’un changement de loi. En revanche, nous ne nous sommes jamais cachés de bousculer un certain nombre de gouvernements pour vivre dans le monde d’aujourd’hui. Par exemple, en Arabie Saoudite nous avons été les premiers à placer une femme au poste de directrice d’hôtel. Nous avons été remerciés par le gouvernement saoudien pour l’avoir fait. Si l’on veut faire bouger les lignes, il ne faut pas déserter.
Quel est, selon vous, le rôle sociétal du groupe Accor ?
Notre plus grand rôle est un rôle d’ascenseur social. Dans un hôtel, il existe une cinquantaine de métiers différents, depuis le plombier au réceptionniste, en passant par le bagagiste ou encore la sécurité. Nous avons la capacité unique de pouvoir offrir un job à celui ou celle qui n’a jamais été à l’université et qui n’a que ses tripes et son bon sens pour travailler. La plus grande noblesse de ce Groupe est sa capacité d’accueillir celles et ceux qui ont moins de privilèges que d’autres. Nos personnels habitent à moins de 5 km de nos hôtels. À chaque nouvelle implantation, la magie opère. Là où nous sommes moins bons, c’est que nous ne les retenons pas. La plupart partent au bout de trois ans, après avoir pris un peu de confiance en eux et finalement, j’en suis content. Nous avons récemment mis en place des indicateurs chiffrés. Cependant, les questions d’équité, d’inclusion et de diversité ne sont pas nouvelles. Elles ne font que mettre davantage de corps à notre cœur de métier : l’accueil.