Pas facile pour une entreprise de s’emparer du sujet du VIH. A l’occasion de l’événement « Séropositivité en entreprise » organisé par TÊTU Connect, aucune entreprise n’a souhaité s’exprimer. Nous avons laissé la parole à trois experts du sujet : la professeure Christine Rouzioux, virologue et présidente d'ARCAT, Camille Spire, Présidente de AIDES ainsi que Bruno Lamothe, Référent accès aux droits et aux soins, lutte contre la sérophobie (Association les Séropotes).
Par Chloé Consigny
Maladie chronique découverte en 1981, le VIH engendre aujourd’hui encore de nombreux fantasmes, stigmas et discriminations. Pourtant, en trente années, la médecine a fait d’importants progrès. L’actualité majeure est celle de l’arrivée de nouveaux médicaments, disponibles en France dès la fin de l’année 2021. « Il existe désormais des médicaments qui pourront être administrés par piqure une fois tous les deux mois. Il s’agit là d’une avancée considérable qui met fin à des prises de comprimés quotidiennes. Il faut bien avoir à l’esprit qu’au début de l’épidémie, les médicaments consistaient à 25 prises de comprimés par jour avec de nombreux effets secondaires », rappelle la Professeure Christine Rouzioux, virologue et présidente d’Arcat. Les progrès sont tels que le VIH est désormais considéré comme une infection chronique. « Il y a encore énormément de préjugés vis-à-vis du VIH, et pour beaucoup encore, le VIH est synonyme de mort. Aujourd’hui, en France, il est extrêmement rare de mourir du VIH. Par ailleurs, les personnes qui prennent un traitement ne transmettent plus le virus. Cela a un impact à la fois individuel et collectif. Enfin, l’espérance de vie d’une personne séropositive est similaire à celle d’une personne séronégative », rappelle Camille Spire, Présidente de AIDES.
Certaines populations restent plus exposées que d’autres
Malgré les progrès des traitements, toutes les populations ne sont pas exposées de la même façon. « Globalement toutes les populations susceptibles d’être discriminées sont aujourd’hui plus susceptibles d’être contaminées par le VIH », explique Camille Spire qui cite les populations de détenus (hommes et femmes), les communautés de migrants, les travailleurs du sexe ou encore les personnes transgenres. A cela s’ajoute des difficultés socio-économiques qui limitent l’accès au soin de certaines personnes séropositives. « Prenons l’exemple d’une femme de ménage séropositive qui se lève tôt, a de longs trajets, souffre de diabète, doit soulever des charges lourdes et doit également s’occuper de ses enfants. Il est certain que son usure sera très supérieure à celle d’une autre personne séropositive. En partie à cause du VIH mais aussi et surtout du fait de son mode de vie. Son état de santé deviendra au bout d’un moment un réel problème pour son employabilité. Malheureusement c’est de cette typologie de personnes dont l’entreprise s’occupe le moins car elle reste une variable d’ajustement », déplore Bruno Lamothe, Référent accès aux droits et aux soins, lutte contre la sérophobie, Association les Séropotes. Un constat largement partagé par la Professeure Christine Rouzioux : « L’intégration de ces personnes dans les entreprises est fondamentale. Le suivi et l’information peuvent lui permettre d’accéder au soin. Pourtant, l’accompagnement de ces patients est souvent bien plus tardif qu’au sein d’une communauté gay qui est plus informée ».
Quel rôle des entreprises ?
Sur le sujet du VIH, les entreprises sont aujourd’hui en retrait. « Lorsque l’on rencontre des entreprises, elles nous disent souvent, « je fais ça parce que j’ai des engagements sociétaux, mais, en interne, je n’ai pas de problème avec le VIH »», constate Bruno Lamothe. Pourtant dans les rangs des collaborateurs, la demande est réelle : « Il faut bien avoir à l’esprit que le sujet du VIH touche tous les collaborateurs d’une entreprise. Récemment j’ai organisé une conférence au sein d’un très grand groupe. En amont de la conférence, il n’y avait qu’une trentaine de personnes inscrites. La DRH du groupe a alors choisi d’anonymiser les inscriptions. Dix minutes plus tard, nous comptions 150 inscrits. C’est là le signe que les personnes ont peur de s’afficher comme intéressées par les thématiques prévention du VIH et sérophobie », constate Bruno Lamothe. Tous les experts présents s’accordent à dire que le rôle d’une entreprise est double, il s’agit d’une part d’informer et d’autre part d’instaurer un climat de non-acceptation de la discrimination quelle qu’elle soit, afin de permettre à chacun de pouvoir s’exprimer. Prudence cependant à ne pas tomber dans l’écueil du « VIH washing ». « Je constate qu’il y a aujourd’hui une tendance forte à la multiplication des formations en entreprise. Cependant, une simple sensibilisation de deux heures au VIH ne peut en aucun cas suffire. Il faut œuvrer à la mise en place d’un climat bienveillant et à l’instauration d’une culture d’entreprise inclusive. En aucun cas, cela peut se mettre en place en deux heures », conclut Camille Spire.
Comment vit-on et travaille-t-on avec le VIH en 2021 ?
Une personne séropositive sous traitement, c’est une personne salariée « presque » comme les autres. « Presque », car le sida affaiblit les défenses immunitaires et rend les personnes séropositives vulnérables face à l’occurrence d’autres virus. Concrètement, être séropositif, c’est avoir un traitement quotidien dont l’observance stricte est fondamentale. Avoir son traitement impose de passer en pharmacie tous les trente jours. Cela signifie qu’une personne salariée doit aligner son calendrier d’accès en pharmacie sur son calendrier professionnel. Par ailleurs, tous les trois ou six mois, un check-up complet et un rendez-vous de suivi sont nécessaires pour la prolongation du traitement. Ce rendez-vous est non arbitrable. Certaines personnes se voient donc dans l’obligation de poser un jour de congés afin d’éviter ce risque d’arbitrage par des managers qui ne sont pas au fait de leur situation. Enfin, certains pays ne sont pas bienveillants quant à l’accueil des personnes séropositives. Il existe une cartographie des pays à risques pour les personnes séropositives. Or, les managers et DRH n’ont souvent pas connaissance de cette cartographie. Pourtant, une meilleure information pourrait permettre aux collaborateurs concernés de refuser des missions avec moins d’artifices et de mensonges.