Aujourd’hui encore, la séropositivité reste mal connue et nourrit de nombreux stéréotypes. Faut-il en parler au travail ? S’expose-t-on à des discriminations sérophobes ? Quel est le rôle de l’entreprise pour lutter contre ces stigmatisations ?
Par Léa Taïeb
« Aujourd’hui, on peut vivre avec le VIH, nous ne sommes pas dans la situation de Philadelphia [film sur la sérophobie dans un cabinet d’avocats de Philadelphie dans les années 90]. En 2021, une personne porteuse du VIH mise sous traitement a la même espérance de vie que la population générale », explique Caroline Izambert, directrice plaidoyer de l’association Aides. Précisons que – dans la plupart des cas – son traitement n’altère en rien ses compétences et sa capacité à mener à bien ses missions professionnelles.
Malgré les avancées thérapeutiques, les stéréotypes sur les personnes vivant avec le VIH (PVVIH) sont toujours aussi tenaces dans le milieu professionnel comme dans le reste de la société. « Depuis les années 90, le niveau d’information n’a pas tellement évolué », remarque Caroline Izambert. Et d’ajouter : « il arrive qu’une personne, après avoir mentionné son statut sérologique, cesse d’être invitée aux afterworks par peur qu’elle refile le virus ». Même constat du côté du rapport « VIH/hépatites, la face cachée des discriminations » réalisé par Aides. En 2017, près de la moitié des personnes interrogées par l’association avait peur d’être contaminée si leur voisin de travail avait le SIDA.
En 2021, un séropositif ne peut pas devenir pompier
En France, les personnes porteuses du VIH sont souvent perçues – à tort – comme des personnes fragiles. Ce qui explique pourquoi 31% des personnes interrogées par Aides jugent les séropositifs inaptes à exercer le métier de policier ou de pompier. D’ailleurs, l’État français est – pour le moment – du même avis. Aujourd’hui, les PVVIH ne sont pas autorisées à travailler au sein de la police, de la gendarmerie, de l’armée et des pompiers même si leur charge virale est indétectable. « Il s’agit d’une discrimination en raison de l’état de santé », écrivent les auteurs de la tribune « Stop aux discriminations liées au VIH par l’État français », publiée dans Libération en décembre 2020. Sans être exclues de certaines fonctions, des porteurs du VIH sont freinés dans leur ascension professionnelle parce que victimes des stéréotypes. « Il y a des employeurs qui cessent de leur proposer des missions à l’étranger. Ils s’imaginent que le traitement d’un séropositif est trop lourd et empêche de voyager », rapporte la directrice plaidoyer de l’association Aides.
Faire part de sa séropositivité à sa hiérarchie ou à ses collègues est une décision personnelle, non une obligation légale.
Taire son état sérologique par peur des discriminations
Dans ces conditions, certaines personnes séropositives décident de taire leur état de santé pour se préserver de la sérophobie. Elles sont d’ailleurs tout à fait dans leur droit. D’après le Code civil, faire part de sa séropositivité à sa hiérarchie ou à ses collègues est une décision personnelle, non une obligation légale. D’autres comme Dimitri, 28 ans, préfèrent en discuter librement. Quelques semaines après son arrivée chez Renault, le jeune homme a dévoilé sa séropositivité à ses collègues les plus proches, « de façon tout à fait informelle ». Depuis, tout va bien : il n’a jamais été la cible de remarques ou comportements discriminants. « C’est en parlant que l’on peut faire évoluer les mentalités, rendre le monde professionnel moins craintif et rassurer sur l’absence de risque de contamination au bureau », estime-t-il.
Déconnecter le VIH de la cause LGBT+
Pour que la séropositivité ne gêne pas l’insertion professionnelle, quels dispositifs les entreprises peuvent-elles mettre en place ? « Il faut considérer la question du VIH comme on considère toutes les autres maladies et déconnecter ce virus de la thématique LGBT+ », recommande Catherine Tripon, porte-parole nationale de l’Autre Cercle, une association qui milite pour l’inclusion des personnes LGBT+ au travail. Et de rappeler : « l’orientation sexuelle comme l’identité de genre n’ont rien à voir avec l’état de santé ». Quant à Aides, l’association attend des entreprises qu’elles veillent à ce que les PVVIH ne soient pas stigmatisées sur leur lieu de travail et qu’elles sanctionnent avec force les auteurs de discriminations. D’autant qu’après une humiliation, les salariés séropositifs ont tendance à délaisser leur traitement. Donc, si l’entreprise échoue à jouer son rôle, c’est la santé (physique et mentale) du salarié qui en paiera le prix. « En plus de lutter contre la sérophobie, l’employeur doit continuer à se mobiliser contre toutes les formes de discriminations. Car, souvent, les victimes de sérophobie sont déjà victimes d’homophobie, de transphobie ou de racisme », alerte Caroline Izambert.