A l’occasion du webinaire “être LGBTQI+ dans les métiers de l’éducation” du 14 avril, têtu·connect donne la parole aux diversités au sein de l’Enseignement.
Par Léa Taïeb
Stanne Husson-Steinbach, 59 ans, est une personne non binaire. Depuis une trentaine d’années, iel enseigne à l’école maternelle. Au départ, son identité de genre n’a pas été comprise voire rejetée par son entourage professionnel. Depuis 2016, iel travaille dans une école “hyper ouverte” et plutôt en phase avec sa pensée queer. Retour sur son parcours au sein de l’Éducation Nationale.
Par Léa Taïeb
“Enfant, j’étais un garçon dans un corps de fille. J’étais vraiment un garçon”, affirme Stanne Husson-Steinabah. “Je disais à mes parents de m’appeler Thierry et ils s’exécutaient”, poursuit-iel. Puis, l’adolescence et les premières règles ont débarqué dans sa vie. À 11 ans, son corps de fille-femme s’impose à iel. Sa mère lui déclare de façon très pragmatique : “tu es une fille”. On cesse de l’appeler Thierry. Iel rentre dans un collège de filles et doit porter un uniforme, une jupe. “C’était le drame absolu”, commente-t-iel.
Quelques années plus tard, iel intègre un lycée public mixte. “Je plaisais aux garçons et certains garçons me plaisaient”, confie-t-iel. Et d’ajouter : “je m’identifiais aux hommes qui me plaisaient. Ils étaient ce que j’aurais voulu être”. Jeune adulte, iel commence une vie de personne hétérosexuelle cisgenre. “Même si j’avais plutôt l’impression de vivre des histoires d’amour homosexuelles puisque je me ressentais garçon”, explique-t-iel.
“Je voulais offrir la possibilité aux enfants de vivre comme ils et elles se sentent”
Jeune adulte, iel est décidé à devenir prof, sa vocation. “Parce que j’ai tellement souffert à l’école, je voulais offrir la possibilité aux enfants de vivre comme ils et elles se sentent. Je voulais leur offrir un cadre bienveillant, un cadre qui inclurait tout le monde”, explique-t-iel.
Son père l’en empêche. Iel s’oriente alors vers des études de pharmacie. Ce n’est pas un franc succès. Iel se réoriente pour étudier la cosmétologie. Pendant un temps, ses questionnements sur son identité de genre se dissipent. “J’allais quand même voir un psy parce que j’avais des problèmes d’anorexie. Je savais que quelque chose clochait, mais je ne savais pas quoi”, précise-t-iel.
En 1991, Stanne s’écoute enfin et passe le concours pour enseigner. Iel commence à travailler dans des écoles en zone d’éducation prioritaire.
“Se présenter comme non binaire, c’est militer pour la nuance”
Du côté de sa vie privée, même si son identité de genre et son orientation sexuelle posent toujours question, elle se marie et partage à son époux “son malaise”. Après trois enfants et deux grossesses extra-utérines, elle comprend qu’elle n’aura plus d’enfants. “C’est là que tout est ressorti, j’ai fait mon coming-out en expliquant que je ne me sentais ni homme ni femme”, décrit-iel. Iel a alors 36 ans. Aujourd’hui, elle a plutôt tendance à définir la non-binarité comme un état d’esprit, une façon de ne pas penser les choses de façon manichéenne. “Je milite pour la nuance”, traduit-elle.
En septembre 2000, Stanne change radicalement de style vestimentaire. “Je suis passée du carré blond et petite robe à fleurs aux cheveux très très courts, treillis et rangers”, se souvient-iel. Les parents d’élèves réagissent à peine. “On me disait simplement que j’étais plus belle avec mon look d’avant”.
Peu de temps après, iel rejoint un établissement installé dans un quartier plus bourgeois. Là-bas, iel reçoit un accueil plutôt hostile : la directrice coopère peu et refuse de l’appeler par son prénom d’usage, l’inspecteur ne comprend pas non plus sa non-binarité et exerce de nombreuses pressions à son égard. “Et certains parents avaient peur que je pervertisse l’identité de genre de leur enfant”.
“Les parents me demandent comment ils doivent m’appeler”
En 2016, iel ne supporte plus cet environnement de travail et les discriminations au quotidien. Elle intègre alors un établissement reconnu d’excellence (par l’Éducation nationale), “celui que je me réservais pour mes dernières années d’enseignement”. Même si la directrice est très tolérante, une inspectrice lui rappelle qu’iel doit utiliser le prénom qui est inscrit sur ses documents officiels pour se présenter. Stanne commence alors des démarches pour que son nom d’usage devienne son nom officiel. En 2017, elle obtient la reconnaissance de son prénom d’usage.
Dans cette école, le corps enseignant comme les parents sont plutôt bienveillants. “On me demande comment on doit m’appeler, comment me désigner, par quel pronom”, remarque-t-iel. Et de poursuivre : “malgré cette ouverture d’esprit, les personnes cisgenres ont du mal à penser autrement, ce que je peux tout à fait comprendre. La langue française est tellement marquée par la binarité des genres qu’il est difficile d’en sortir”. Pour l’illustrer, iel raconte une histoire-devinette : un garçon et son père sont en voiture. Ils ont un accident. Ils sont amenés à l’hôpital. Là-bas, la personne qui doit opérer l’enfant refuse en déclarant : je ne peux pas l’opérer, c’est mon fils. Qui est cette personne ? “La plupart des personnes donnent leur langue au chat. Parce qu’elles n’imaginent pas que le médecin peut être une femme, donc la mère de l’enfant. Si on va plus loin dans le raisonnement, on s’imagine encore moins, que l’enfant puisse avoir deux pères…”
Sur le plan de son enseignement et de son rapport avec ses élèves, Stanne ne va pas à l’encontre de la vision fille-garçon dans laquelle les enfants de cinq ans baignent. “Je vais simplement leur suggérer que tous les enfants peuvent utiliser tous les jouets. Je vais parler de façon inclusive, sans rien imposer”, explique-t-iel.
Et la suite comment iel l’envisage ? “J’attends de ne plus être discriminé en tant qu’enseignant queer. Mais, j’ai déjà l’impression que les mentalités évoluent, que j’ai droit à plus de respect, plus de protection de la part de ma hiérarchie”, conclut-iel.
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