En France, les salarié·es sont de plus en plus nombreux à se fédérer au sein d’Employee Ressource Groups (ERG) LGBTQI+, des réseaux internes dont la vocation est d’agir sur la politique D&I de leur entreprise. Issue du monde anglo-saxon, cette pratique nécessite, pour porter ses fruits, le soutien plein et entier des instances dirigeantes, mais aussi la mobilisation d’allié·es.
Par Arnaud Lefevre
Un lancement avec moins de strass et paillettes, mais un baptême néanmoins réussi. Quelques mois après Engie, qui avait inauguré en grandes pompes son réseau LGBTQI+ Friends fin 2021 en présence de la directrice générale du groupe et de l’ancienne ministre déléguée chargée de l’Égalité femmes-hommes, la Diversité et l’Égalité des chances Elisabeth Moreno, Accor a célébré en comité plus restreint, au début de l’été, le lancement de « Together », son Employee Ressource Group (ERG) LGBTQI+ & allié·e·s. Une grande satisfaction pour Florent Rispoli, VP Talent & Culture du groupe hôtelier et instigateur de cet ERG.
Des associations, puis des réseaux internes
Réseaux internes, les ERG visent à rassembler des salarié·es qui partagent les mêmes centres d’intérêt ou sensibilités, afin d’influer sur la politique du groupe dans un domaine précis. Apparues durant les années 1970 aux Etats-Unis en ciblant initialement les problématiques raciales, ces structures se sont ensuite développées dans les autres pays anglo-saxons et se sont élargies à d’autres thématiques, à commencer par les femmes dès les années 2000, puis le développement durable, ou encore le handicap. Elles ne cessent de faire des émules dans l’Hexagone. Bien qu’aucune statistique ne soit disponible, c’est le cas, tout particulièrement, de celles tournées vers la communauté LGBTQI+. Parmi les pionniers en France, se trouvent l’ERG EAGLE consacré aux personnes LGBTQI+ et créé en 2000 par IBM France, ou encore l’association loi 1901 Personn’Ailes créée par les collaborateurs et les collaboratrices d’Air France en 2001. « Les réseaux n’existant pas à l’époque, nous avions alors opté pour une association de type loi 1901 non seulement pour sensibiliser l’ensemble du personnel à la cause LGBTQI+, mais également pour inciter la direction à mettre en œuvre des actions d’information et de prévention sur le VIH, notamment en direction des équipes navigantes amenées à se déplacer dans des pays où l’épidémie se répandait », rappelle Sébastien Corolleur, son président. Aujourd’hui, Personn’Ailes compte près de 500 membres.
Des marges de manœuvre octroyées par le top management
Tandis que d’autres associations LGBTQI+ et gay friendly ont depuis émergé dans le secteur public ou para-public (« Gare ! » à la SNCF, « Flag ! » au sein du ministère de l’Intérieur…), la plupart des grandes entreprises cotées (AXA, BNP Paribas, Ubisoft…) et, surtout, des filiales françaises de sociétés américaines (Dell EMC, Google, Meta…) se sont quant à elles dotées, plus récemment, d’un ERG LGBTQI+. Une tendance qui peut s’expliquer par la libération progressive de la parole dans les entreprises autour de ces thématiques, mais pas seulement. « Les ERG renvoyant une image de modernité et d’ouverture, notre direction D&I milite pour leur multiplication au sein du groupe, note Florent Rispoli. La mise en place de Together a d’ailleurs été d’autant mieux accueillie que l’équipe D&I, qui doit traiter de problématiques diverses, manque de ressources pour approfondir les réflexions et les démarches afférentes à la thématique LGBTQI+. En ce sens, nos conseils et nos actions sont précieux pour elle. » C’est pourquoi certaines instances dirigeantes autorisent les responsables d’ERG à travailler sur l’animation de leur réseau pendant leur temps de travail. D’autres vont même plus loin. « L’entreprise, plus précisément l’équipe diversité, nous alloue un budget spécifique pour faire fonctionner HEINEKEN Open & Proud (HOP), notre ERG pride », témoigne Antoine Legrand, influence manager chez Heineken France.
Une organisation à mettre en place
Si tout semble concourir au succès de ces réseaux internes, leurs promoteurs se veulent pourtant prudents. « Faire de la communication, c’est très bien. Mais l’objectif d’un ERG est d’aller au-delà, à savoir d’obtenir des avancées (droits…). A défaut, celui-ci peut rapidement s’éteindre », met en garde Florent Rispoli. Pour éviter cet écueil, la priorité consiste à doter le réseau d’une gouvernance, avec a minima un noyau d’une dizaine de collaborateurs qui se réunissent régulièrement afin de déterminer les lignes directrices et l’agenda. La présence d’un sponsor issu du top management est primordiale », estime Florent Rispoli, dont l’avis est unanimement partagé. Mais une fois que le réseau est sur les rails, la question du maintien du dirigeant dans ce noyau peut se poser. « Au bout d’un an, nous avons voulu que HOP gagne en indépendance vis-à-vis de la management team », rapporte par exemple Antoine Legrand. Un choix qui n’affecte toutefois pas le mode de fonctionnement des ERG, qui travaillent systématiquement main dans la main avec le département D&I. « Notre but est de faire avancer les choses au sein du groupe, pas de le clouer au pilori au motif que sa politique en faveur de l’inclusion des diversités LGBTQI+ n’apparaît pas suffisamment volontariste », pointe le responsable d’un ERG pride.
Recherche collaborateurs engagés désespérément…
La deuxième condition pour transformer l’essai repose sur la capacité de la structure à rassembler. « Pour cela, il convient de l’ouvrir au maximum aux allié·es, c’est-à-dire aux collaborateurs et collaboratrices qui ne s’identifient pas comme des personnes LGBTQI+ mais qui partagent les valeurs du réseau », insiste Alicia Gallard, consultante chez ENGIE Consulting et membre de la communauté « Friends by ENGIE ». Cette dernière recense actuellement environ 70 membres en France et 300 dans le monde. Cette quête de forces vives implique en amont la rédaction d’un manifeste dans lequel la vocation de l’ERG sera détaillée, puis la mise en œuvre d’une campagne de communication dans les différentes entités du groupe. La tâche n’est cependant pas évidente. « De fait, l’engagement dans un ERG réclame un investissement personnel conséquent, prévient Alicia Gallard. Ce faisant, il est extrêmement difficile d’attirer des membres actifs. »
Sortir des sentiers battus
Enfin, le troisième pré-requis repose sur la capacité à faire vivre le réseau sur la durée, ce qui suppose des réunions fréquentes pour renouveler sa feuille de route. En fonction des entreprises, ces rendez-vous peuvent avoir lieu sur un rythme hebdomadaire, mensuel, bimestriel ou trimestriel. Les initiatives lancées par le réseau peuvent ensuite prendre différentes formes : négociation de droits (congé parental…), publication de guides, réalisation de clips vidéo, organisation de webinaires ou d’événements, dispense de formations aux managers pour les sensibiliser sur les problématiques LGBTQI+, etc. « Pour que le message passe mieux auprès des salarié·es, il est important que les actions menées soient le plus ludiques possible », recommande Antoine Legrand.