Rainbow marketing : ces marques qui ciblent les personnes LGBTQI +

Rainbow marketing : ces marques qui ciblent les personnes LGBTQI +

Collections capsules, boutiques éphémères, collaborations avec des influenceurs : les marques multiplient les initiatives pour séduire la communauté LGBTQI +. Mais au final, les stéréotypes restent présents, démontrant un décalage entre intentions et réalité.

Par Fabiola Dor

Le 18 décembre dernier, à quelques jours de Noël, Franck Colacicco, alias Un Garçon Stupide sur les réseaux sociaux, a organisé un événement qui a attiré plus de 2000 visiteurs. L’influenceur beauté, suivi par plus de 2 millions d’abonnés sur TikTok, a ouvert une boutique éphémère au 14 rue d’Uzès, à Paris. Au programme : 2 500 produits de beauté offerts aux 1 250 premiers visiteurs. Pour orchestrer ce coup marketing, le créateur de contenu s’est entouré de plus de mille marques de cosmétiques LGBT-friendly, dont des poids lourds du secteur comme Fenty Beauty, Yves Saint Laurent ou Sephora.

Dans un registre similaire, la mode soutient également les droits des minorités sexuelles et de genre. Converse, Vans et Jean Paul Gaultier sont des alliés de longue date. De son côté, Levi’s lance depuis plusieurs années des collections arc-en-ciel et reverse une partie de ses recettes à la Fondation Le Refuge ( Propriété du Groupe SOS à qui appartiennent également têtu·connect et têtu·). 

Une évolution sociétale 

Pour Yannis Sioudan, consultant en communication et fondateur d’Interférence Press, une agence de relations presse engagée, ces collaborations témoignent d’une véritable évolution de la société : “Même si les marques ne sont pas toujours 100 % éthiques, elles adoptent désormais une démarche plus inclusive”. Et de poursuivre : “Il n’est pas anodin qu’autant de grands noms choisissent d’associer leur image à Un Garçon Stupide”. Cela leur permet de montrer leur engagement envers la communauté LGBTQ+ qui est, aujourd’hui encore, victime de nombreux stéréotypes. En effet, 63% de ses personnes LGBTQI + s’estiment mal représentées dans les produits de grande consommation, selon le rapport annuel Nielsen 2024 sur le marketing.

En revanche, pour éviter le pinkwashing, tous les experts s’accordent sur un point : ces initiatives doivent être soutenues par des actions concrètes et s’ancrer dans une vraie démarche RSE. “Les campagnes rainbow sans implication des personnes concernées et sans initiatives internes solides n’ont aucun impact”, prévient Marie Cayrel, fondatrice d’OVW, une agence d’influence marketing qui accompagne des créateurs de contenus inclusifs et engagés.

Nouvelles attentes des consommateurs 

Dans cette optique, Franck Colacicco, défenseur de la cause queer, tape en plein dans le mille avec sa campagne. Il incarne une beauté inclusive et décomplexée, et transmet un message fort à sa communauté : “C’est OK d’être gay et de se maquiller ”. Son approche résonne avec les nouvelles exigences des consommateurs : 71% des Français attendent des marques qu’elles se positionnent sur des enjeux sociétaux, et 63 % jugent essentielle une représentation diversifiée dans la publicité. C’est ce que révèle une récente étude Kolsquare sur la diversité et l’inclusion dans le marketing d’influence, publiée en novembre 2024. 

Cette tendance s’inscrit dans un contexte plus large, où la communauté LGBTQI+ bénéficie d’une plus grande visibilité, que ce soit à la télévision, dans les séries ou dans les publicités. Le marketing, reflet de la société, suit donc cette dynamique. “On voit de plus en plus de partenariats avec des influenceurs LGBTQI+, et les décideurs commencent à mieux comprendre nos réalités”, ajoute Marie Cayrel.

Impact financier 

Une stratégie payante ? Le rapport Kolsquare va en ce sens. Les publicités inclusives boostent les ventes de 3,46 % à court terme et de 16,26 % à long terme. Sophie Douez, autrice du livre blanc, souligne que les marques ont enfin saisi l’enjeu financier de cette cible et réalisent qu’en ne s’y adressant pas, elles se privent d’une part importante de leur audience. Cela explique pourquoi même les acteurs traditionnels, longtemps réticents à s’engager sur le segment de l’inclusion, veulent désormais leur part du gâteau.

Malgré ces signaux positifs, la réalité reste plus complexe qu’il n’y paraît. Les marques ont pris conscience du manque à gagner, « mais elles peinent encore à trouver la bonne approche, surtout sur les sujets LGBTQI + », constate David Schapiro, cofondateur de l’agence de Brand Content Boomerang, qui collabore avec de grands comptes tels que Red Bull, Lacoste ou la RATP. Pour certaines grandes entreprises, l’inclusivité reste un sujet sensible, perçu comme niche.

Un retour en arrière frappant a été observé chez Walmart en novembre dernier. La multinationale américaine spécialisée dans la grande distribution a cessé d’utiliser la dénomination « diversité, équité et inclusion » (DEI). Elle s’est aussi retirée de l’index de la Human Rights Campaign, un classement des entreprises en fonction de leur soutien aux personnes LGBTQI+. L’enseigne a aussi arrêté de financer les marches des Fiertés. Cela met en lumière un paradoxe : alors que de nombreuses structures se montrent fièrement inclusives, l’engagement reste fragile, souvent dicté par des intérêts économiques. Comme le déplore Auriane Dumesnil, cofondatrice de l’association Pépite Sexiste : “les marques évoluent moralement, mais leur principale boussole reste l’argent.”

Absence d’intersectionnalité

Pour Marie Cayrel, il est temps d’arrêter l’engagement de façade pour s’engager dans un véritable travail de pédagogie et de déconstruction. Elle cite l’exemple de Moodz, marque de boxers menstruels non genrés, qui, avec le soutien de Hanneli Victoire, consultant transgenre, a co-créé une campagne sensibilisant sur le fait que les règles ne sont pas exclusivement un sujet “féminin”. “Ce n’est pas seulement la promotion d’un produit, mais un message puissant pour éveiller les consciences”, explique la fondatrice de l’agence OVW. Les enseignes doivent passer la seconde pour mieux saisir la complexité de l’inclusion et de l’intersectionnalité. “Montrer un couple gay ne suffit pas pour soutenir la cause”, ajoute la créatrice de contenus qui milite pour une meilleure représentation des minorités et des réalités sociales.

Auriane Dumesnil, elle, déplore aussi un manque de convergence des luttes. “Même si les couples gays sont plus visibles, ces publicités restent souvent conçues pour une audience de TF1”, regrette-t-elle. Selon la militante, les marketeurs évitent encore des sujets sensibles comme la sexualité et continuent de cibler une population blanche, privilégiée et éduquée.

Enfin, certaines marques, comme Lego, cherchent à corriger le tir en explorant plusieurs axes pour diversifier leur produits. “Nous intégrons différentes origines culturelles et ethniques, ainsi que des structures familiales, des âges et des conditions variées”, conclut Lauren von Stackelberg, Chief Diversity and Inclusion Officer VP du groupe.