S’ils font débat, les quotas ont le mérite de faire bouger les lignes. Preuve en est : les conseils d’administration comptent de plus en plus de sièges occupés par des femmes dans le monde, pour mieux refléter la société et briser le plafond de verre. En revanche, la diversité ethnique, liée à l’âge ou des personnes LGBTQI+ est très peu représentée. Alors, où en est la discrimination positive liée à ces critères de diversité ? État des lieux.
Par Alexandra Tizio
La discrimination positive gagne timidement du terrain. D’ici juillet 2026, les grandes entreprises cotées en Bourse devront avoir un quota de 40% de femmes au sein de leur conseil d’administration. Cette directive adoptée par le Parlement européen mardi 22 novembre 2022, doit être transposée dans le droit national par les États membres d’ici un à deux ans, selon un communiqué de la Commission européenne, relayé par l’AFP. L’occasion de faire un tour d’horizon des quotas existants dans le monde.
La parité homme-femme, objectif numéro 1 dans les conseils d’administration
L’Europe montre la voie depuis plusieurs années déjà, avec la mise en place de quotas de femmes dans certains pays. La Norvège est le premier Etat à avoir agi dans ce sens, en obligeant les sociétés cotées en Bourse à réserver 40% des sièges de leur conseil d’administration à des femmes, en 2008. La Belgique, l’Espagne et la France ont suivi l’exemple. Depuis 2011, la loi Copé-Zimmermann impose un quota minimal de 40% de femmes dans les conseils d’administration et de surveillance. Résultat : la France est championne du monde, avec 46% des sièges occupés par des femmes, devant le Royaume-Uni (33%), l’Allemagne (32%) et les États-Unis (32%), selon les données collectées par IFA/Ethics & Boards en octobre dernier. En 2021, l’Hexagone a décidé d’aller plus loin en adoptant la loi Rixain, qui exige des quotas de femmes aux postes de direction des grandes entreprises.
Des quotas liés à d’autres critères de diversité pointent le bout de leur nez. En France, les entreprises d’au moins 20 salarié·es doivent employer au minimum 6% de personnes en situation de handicap. De l’autre côté de la Manche, la Confédération de l’Industrie britannique (CBI) a annoncé que les plus grandes boîtes du Royaume-Uni devraient avoir au moins une personne noire, asiatique ou issue d’une minorité ethnique (BAME) dans leur conseil d’administration d’ici 2021. Avec le Canada et l’Australie, le Royaume-Uni fait partie des pays dont le taux d’administrateurs locaux est au plus bas. Malgré ces quelques efforts, la parité homme-femme reste la priorité lors des discussions liées à la diversité dans les conseils d’administration, indique un rapport publié par Diligent le 12 septembre, lors du Sommet sur la gouvernance moderne. « La diversité en ce qui concerne l’origine ethnique, l’âge et la représentation des LGBTQI+ reste terriblement en retrait », observe Dottie Schindlinger, directrice exécutive du Diligent Institute dans un communiqué.
Des quotas LGBTQI+ en off ?
Dans le domaine professionnel, le système de quotas LGBTQI+ est délicat à instaurer. En France comme dans d’autres pays européens, il est illégal pour un recruteur d’interroger un·e candidat·e sur son orientation sexuelle. Mais certaines entreprises s’y prennent autrement. En Allemagne et en Autriche, Boston Consulting Groupe (BCG) s’est fixé un quota de 5% d’employé·es LGBTQI+ parmi ses effectifs. Le fichier d’inscription au réseau interne Pride@BCG permet au cabinet de conseil de faire une estimation du nombre de personnes LGBTQI+ au sein de l’entreprise, précisait un communiqué cité par Mind RH en septembre 2021. En Amérique du Sud, l’Argentine a instauré un quota historique en 2021 : les entités dépendant de l’État doivent embaucher au moins 1% de personnes transgenres. Ces dernières peuvent s’inscrire sur un registre si elles souhaitent intégrer le secteur public.
« En France, la mise en place de quotas se fait en off, même si cela reste interdit. Pas à l’étape du recrutement, mais avec la masse salariale présente dans les entreprises. Le but est de comprendre la population des salarié·es, créer des produits représentatifs de la société, mettre en place des politiques d’inclusion & diversité, et attirer des talents issus de la diversité », révèle Maud Grenier, fondatrice de l’agence PeoplePro.
Les pays anglo-saxons sont plus ouverts à la collecte et à l’utilisation des statistiques à caractère personnel. Maud Grenier, qui a vécu en Angleterre il y a quatre ans, se souvient avoir dû compléter des questionnaires portant sur son genre, son âge, son ethnicité ou encore son orientation sexuelle, lors de candidatures. En 2016, un rapport publié par le gouvernement britannique a imposé un quota de 10% de personnes LGBT à la BBC. Du côté des États-Unis, en septembre 2020 la Californie a obligé les entreprises cotées en Bourse à réserver au moins un siège à un individu issu d’une « communauté sous-représentée » au sein de leur conseil d’administration. Mais le 1er avril 2022, un juge de la Cour supérieure de Los Angeles a statué que cette politique était inconstitutionnelle. Les entreprises californiennes ne sont donc plus tenues de respecter ces quotas LGBTQI+ et éthniques. Dans les conseils d’administration du classement Fortune 500, les personnes LGBTQI+ ne détiennent que 0,5% des sièges, rapporte Diligent.
Une politique à double tranchant
La diversité au sein des entreprises est bénéfique pour au moins deux raisons : briser le plafond de verre et favoriser la performance. « Si l’entreprise est diversifiée, elle sera plus à même de répondre aux attentes sociétales de ses client·es, de ses fournisseur·es et de l’ensemble des parties prenantes. Quand on arrive à confronter harmonieusement des univers différents, on est plus créatif, innovant et performant », souligne Valentine Poisson, consultante spécialisée diversité & inclusion pour AlterNego. Plusieurs rapports publiés par McKinsey établissent en effet une corrélation entre la diversité et la performance des entreprises. Selon Valentine Poisson, « le fait d’avoir une bonne visibilité des personnes LGBTQI+ aux instances dirigeantes est bénéfique pour les collaborateur·ices car ce sont des rôles modèles qui envoient un excellent message pour lutter contre tous les phénomènes d’autocensure. Et au-delà des salarié·es LGBTQI+, cela induit potentiellement un sentiment de fierté, d’être dans une entreprise qui respecte un principe d’équité, de justice. » À l’externe, « c’est un enjeu de marque employeur, qui permet d’attirer les talents parce que ces valeurs sont de plus en plus importantes dans le choix de l’entreprise ».
Cependant, la mise en place de quotas divise. Selon un sondage Cegos, 67% des salarié·es dans le monde (59% en France) et 65% des DRH/RRH (58% en France) y sont favorables. Pour Valentine Poisson, il est essentiel d’avoir des objectifs réalistes et non politiques. « Le problème de la loi Rixain, c’est qu’à l’échelle nationale, quand les femmes sont très minoritaires dans un secteur très peu féminisé, atteindre les 40% n’est pas simple », souligne-t-elle. Et de soulever une autre problématique : « Ça peut être mal vécu par les personnes qui en font l’objet, car elles ont le sentiment d’être promues sur des caractéristiques sociodémographiques et non pour leurs compétences ; et puis ça peut stigmatiser les populations. C’est aussi mal vécu par les autres qui peuvent se dire “J’étais plus compétent mais ils ont mis une femme parce que c’est une femme” ». Un avis que partage Maud Grenier : « Mettre en place des quotas peut avoir un effet positif sur des évolutions qui prennent du temps, tant que les compétences priment. »
Une politique de quota peut être un accélérateur de prise de conscience du retard pris en termes de représentativité des diversités dans les organes de décision. Elle ne peut pas être le seul et unique moyen d’arriver à cette fin ; elle est complémentaire à des actions de connaissance des diversités, de leurs singularités et des atouts qu’elles peuvent apporter à une société.