Aujourd’hui, l’écriture inclusive est un débat permanent, à l’école, sur les plateaux télé, à un dîner de famille ou encore entre collègues. Justement qu’en est-il de l’écriture inclusive au bureau ? Ce mode de communication s’est-il démocratisé ? Si oui, quelle est la marche à suivre pour qu’un langage égalitaire s’impose dans le monde professionnel ? Réponse en cinq questions.
Par Léa Taieb
Quelles entreprises mettent en place l’écriture inclusive ?
En 2018, la néobanque Shine (start-up fondée en 2018 et devenue propriété du groupe Société Générale en 2020) se lance et communique en utilisant l’écriture inclusive. Pourquoi ce choix ? “Pour que l’on se sente inclus.e en tant qu’entrepreneur.e, quel que soit son genre”, répond Estelle Zeliszewski, content manager. Et de poursuivre : “depuis notre création, on s’engage à ce que nos design, nos visuels et nos équipes incarnent la diversité”. Dans le cas de Shine, l’écriture inclusive est une mesure parmi tant d’autres (comme l’instauration d’un congé deuxième parent allongé) pour soutenir l’égalité femme-homme et promouvoir l’entrepreneuriat au féminin (car, seul un tiers des personnes qui entreprennent sont des femmes).
Certains grands groupes prennent désormais en compte les différentes identités de genre. C’est le cas du bailleur social 3F qui a adopté ce langage dès 2016. Carole Thomas, la directrice de la communication et du marketing digital a d’abord formé ses équipes. “On sait que la majorité des personnes qui se charge de la question du logement sont des femmes, donc autant adapter notre vocabulaire aux personnes auxquelles on s’adresse”, explique-t-elle. Elle a ensuite formé le département RH à l’écriture inclusive. “Pour inciter des femmes ingénieures à postuler chez nous, on a partagé des offres d’emploi non excluantes”, explique la directrice communication. Aujourd’hui, elle travaille à ce que les documents de communication interne soient personnalisés ou dégenrés.
Pourquoi l’écriture inclusive est-elle de plus en plus bienvenue dans les entreprises ?
Aujourd’hui, des grands groupes comme des institutions publiques manifestent de l’intérêt pour la communication non sexiste. “Il n’y a pas un jour sans que l’on tombe sur une affiche publicitaire avec un message écrit de façon inclusive”, remarque Raphaël Haddad, fondateur et directeur associé de Mots-Clés, une agence spécialiste de la communication non sexiste.
Peu importe la motivation, l’essentiel c’est que l’on comprenne qu’une entreprise, ce n’est pas un boys’ club
D’après ses observations, certaines entreprises adoptent l’écriture inclusive pour préserver leur réputation des bad buzz, le sexisme dans la communication étant responsable d’un quart des polémiques. Les sociétés dont le cœur de métier est scientifique pratiquent l’écriture inclusive dans le but de féminiser leurs effectifs, atteindre la parité et revaloriser leur marque employeur. “Une étude a d’ailleurs montré qu’une offre d’emploi rédigée en langage ouvert [l’ensemble des systèmes de signes qui permettent de communiquer] augmente l’intention des femmes de candidater de 20 points par rapport aux offres au masculin”, informe Clémentine Otto-Bruc, chargée de missions chez uniQ en son genre, une agence de communication spécialiste des questions de genre.
Les médias et entreprises de presse aussi, s’intéressent à ce langage pour rajeunir et féminiser leur audience. “Peu importe la motivation, l’essentiel c’est que l’on comprenne qu’une entreprise, ce n’est pas un boys’ club”, espère le fondateur et directeur associé de Mots-Clés.
Concrètement, l’écriture inclusive en entreprise, ça donne quoi ?
Déjà, ce mode de communication permet de faire apparaître d’autres genres que le genre masculin. Il s’ouvre aux femmes (avec notamment la féminisation des noms de métier) comme aux personnes non binaires. Aussi, contrairement aux idées reçues, l’écriture inclusive ne repose pas sur la présence excessive de points médians. Il existe de nombreuses techniques pour rendre la langue française plus égalitaire sans la rendre illisible. “On opte pour des formules neutres, non genrées, plus facilement reprises par nos collaboratrices et collaborateurs”, explique Carole Thomas.
Quelle est la meilleure méthode pour démocratiser l’usage de l’écriture inclusive ?
L’entreprise peut diffuser à l’ensemble de ses salarié.e.s un guide de l’écriture inclusive. “Ce n’est pas la méthode la plus efficace : le guide devient intéressant seulement quand la nécessité d’ouvrir le langage est comprise en amont. Sans cette connaissance, certain.e.s salarié.e.s peuvent facilement se braquer et refuser le code qu’on leur impose”, estime Clémentine Otto-Bruc.
L’ écriture inclusive ne repose pas sur la présence excessive de points médians.
On peut aussi sensibiliser à la communication non sexiste via des formations théoriques accompagnées d’ateliers pratiques. C’est l’occasion de prendre conscience que la règle du masculin qui l’emporte est excluante et existe depuis le 17ème siècle. “Lors de ces ateliers, les participant.e.s lisent un texte rédigé au féminin générique. Cela permet aux hommes de mieux comprendre l’occultation que vivent leurs collègues féminines au quotidien. Ils touchent du doigt le fait que l’écriture produit des inégalités et des stéréotypes de genre”, constate Raphaël Haddad, fondateur et directeur associé de Mots-Clés.
Pourquoi les petites et moyennes entreprises peinent à s’y mettre ?
Dans la plupart des petites structures, il n’existe pas de direction RH et encore moins de direction égalité et inclusion. Par conséquent, il est rare qu’un.e employé.e se saisisse de la question de l’écriture inclusive et milite pour sa mise en place. Aussi, certaines PME et jeunes start-ups n’osent pas mettre en place une communication non sexiste par peur des réactions de leurs client.e.s. Même dans l’univers des néo-banques, l’écriture inclusive peine à s’imposer : “l’écriture inclusive est encore trop clivante pour être reprise dans l’écosystème start-up”, constate Estelle Zeliszewski, content manager de Shine.