Pride@leboncoin : les coulisses du réseau 

Pride@leboncoin : les coulisses du réseau 

La marketplace la plus utilisée en France pour le commerce entre particuliers (40 millions d’utilisateurs) reste assez discrète côté communication. De quelle façon, le groupe s’empare-t-il des sujets LGBTQI + en interne et à l’externe ? Éléments de réponse avec Arnaud Dars et Elisa Hery, deux membres engagés du réseau Pride@leboncoin. 

Par Chloé Consigny

Tout a débuté il y a cinq ans. Lors d’une discussion entre collègues. « Nous commencions à connaître plein de monde dans l’entreprise et, pourtant, nous ne connaissions absolument aucune personne homosexuelle. Nous nous sommes dit que ce n’était statistiquement pas possible », se souvient Elisa Hery. Au départ, le groupe prend la forme d’une simple discussion Slack, baptisée « LGBT and Friends ». Le premier événement rassemble une quarantaine de personnes, au sein d’un bureau parisien qui compte un millier de salarié·es. « Il a fallu nous structurer et communiquer pour faire comprendre à chacun et chacune que cet espace existait », se souvient Elisa Hery. L’ERG travaille sa communication et son identité visuelle avec la création d’un logo. Au fil des années, le réseau prend de l’ampleur. Parmi les avancées notables : une présence lors de l’onboarding de chaque nouveau talent leboncoin. Chaque recrue débute par une semaine de découverte de l’entreprise. Au cours de cette semaine, le réseau dispose de 45 minutes avec le talent afin de lui présenter ses actions. « C’est pour nous essentiel. Cela permet à chaque personne qui arrive chez leboncoin de savoir que cet espace existe », poursuit Elisa Hery. La mise en place de cet onboarding a pris du temps. D’abord parce qu’il a nécessité un important travail de préparation et de rédaction, mais également, car il a fallu trouver les bons interlocuteurs. « À l’époque, nous étions tous des salarié·es du bas de l’échelle, si j’ose dire. Nous ne savions pas vraiment à qui nous adresser », se souvient Elisa Hery. 

Allié·es et top management 

Le réseau prend une nouvelle ampleur, lorsqu’un membre du Comex s’y engage. « Cela nous a permis d’être davantage reconnus en interne et de débloquer des fonds », se souvient Elisa Hery. Chose rare dans les entreprises françaises, Pride@leboncoin compte en son sein plusieurs alliés masculins. C’est-à-dire des hommes hétérosexuels qui s’engagent pour la cause LGBTQI +. Ils sont statistiquement sous-représentés parmi les alliés, à la différence des femmes hétérosexuelles très souvent plus présentes. Parmi eux, Guillaume Grillat. « À la création de l’ERG, nous étions deux. Mais nous avons très vite été rejoints par Guillaume Grillat, un allié très engagé dont le rôle a été déterminant dans l’émergence et le développement du réseau », souligne Elisa Hery. Les membres du Comex prennent aussi leur place, à l’instar d’Arnaud Dars, le CTO de la marketplace. « Mon engagement est le fruit d’un constat : en tant qu’homme blanc cis et hétérosexuel, j’ai des privilèges. Je peux utiliser ces privilèges. Bien sûr, je ne suis pas partout. Cependant, par ma position dans l’entreprise, il m’est très facile de dire à quelqu’un « les propos que tu tiens sont insupportables ». Je dois utiliser ma position d’allié et de membre du Comex pour faire bouger les lignes », nous explique-t-il. 

Arnaud Dars réalise aujourd’hui le chemin parcouru et souligne l’engagement des membres de l’ERG qui prennent du temps, en dehors de leur temps de travail, pour faire vivre ce réseau. « Avant, nous étions une entreprise faussement inclusive. Je m’explique : nous les hétéros, nous avons cette fausse croyance qu’il suffit de ne pas être exclusifs pour être inclusifs. Avec la naissance du réseau, nous avons eu un allégement de la charge mentale pour l’ensemble des salarié·es. Pour les personnes queers, il n’est plus nécessaire de dissimuler le prénom de son ou sa partenaire ». 

Nombreux projets

Le temps fort de l’année pour le réseau reste le mois de juin. À l’occasion du Pride Month l’an dernier, leboncoin a organisé en interne un blind test avec la drag queen La Big Bertha. D’autres actions sont menées, à l’instar d’une séance de cinéma organisée pour l’ensemble des salarié·es du groupe. Le film choisi est GIRL qui relate l’histoire d’une jeune danseuse trans. L’ERG vient également en conseil auprès des services RH. Récemment, par exemple, lorsqu’il a fallu expliciter le sujet de la transidentité en vue d’une embauche. Régulièrement l’ERG fait circuler la parole en interne, via des témoignages de collaborateurs et de collaboratrices. « Nous avons par exemple proposé un talk autour de la question : peut-on être out dès l’entretien d’embauche ? », explique Elisa Hery. L’autre sujet de fond est celui de la mise en place de toilettes non genrées dans les espaces de bureau. Pour ce faire, l’ERG travaille de concert avec le CSE (Comité social économique). « Il existe une législation qui indique le nombre de toilettes par genre selon la population par site. C’est à partir de cette limite que nous travaillons à créer des toilettes non genrées. Cependant,  il existe déjà en interne des toilettes sans signe distinctif. Nous avons également ajouté des corbeilles à protection périodiques dans toutes les toilettes », détaille Arnaud Dars. En lien avec le CSE, l’ERG est parvenu à négocier un nouvel accord à destination de personnes en parcours de PMA qui bénéficient de jours de congés supplémentaires. « Pour prétendre à ces accords, il faut être libre de parler à minima de sa situation personnelle. Dans ce contexte, avoir un environnement de travail inclusif est fondamental », analyse Elisa Hery. Le réseau dispose d’un budget désormais officialisé dans les lignes RH et qui permet à l’ERG de mener des actions tout au long de l’année. 

Possible shit storm 

À l’externe, le développement du réseau a un impact sur les activités du groupe. Ainsi, une réflexion a été menée pour savoir s’il était nécessaire de demander aux usagers de la plateforme leur genre. Il a été finalement convenu de proposer un tiers genre neutre. « C’est grâce à Olivia, une personne de l’ERG que nous avons ajouté ce tiers genre dans notre formulaire de déclaration. L’usager peut ainsi remplir : homme, femme ou non spécifié. J’ai donné mon go à Olivia dans une discussion globale afin de lui donner ma caution managériale pour le faire », détaille Arnaud Dars. 

En matière d’image, la marketplace est directement exposée à la vindicte populaire. En un seul week-end, le site peut enregistrer 20 millions de visiteurs, tandis qu’un habitant de l’Hexagone sur deux possède un compte sur leboncoin. « En tant que grande marque B2C, leboncoin touche aujourd’hui plus de la moitié des Français. Arborer un logo aux couleurs LGBTQI + durant le mois des fiertés à un impact fort. Le week-end où nous avons changé notre logo, nous étions tous et toutes en veille, prêts et prêtes à répondre à un éventuel shit storm (déchainement de critiques virulentes en ligne, NDLR). Nous avons bien sûr eu des commentaires hostiles, néanmoins, rien d’impactant », conclut Arnaud Dars.