L’intersexuation concerne 1,7 % de la population mondiale (chiffre Unesco). Pour ces personnes nées avec des caractéristiques inclassables selon une norme genrée (garçon ou fille), la réponse des médecins est souvent l’intervention chirurgicale dès l’enfance. Avec Chair Tendre, série diffusée sur la plateforme France·tv slash, la scénariste et réalisatrice Yaël Langmann livre une immersion dans la vie d’une adolescente intersexe. Rencontre.
Par Chloé Consigny
Pour quelles raisons as-tu choisi de te pencher sur le sujet de l’intersexuation ?
Quand j’avais 17 ans, c’est-à-dire l’âge des personnages de la série, j’avais un ami rayonnant, hyper assumé dans sa sexualité. Un jour, à la faveur d’une MST quelconque, il se rend chez son médecin. À la vue de ses cicatrices, le médecin s’interroge. Mon ami lui explique qu’il a été opéré trois fois de l’appendicite. Ce qui n’est pas possible, lui répond le médecin qui lui explique alors qu’il est sans doute une personne « hermaphrodite », selon le terme utilisé à l’époque. À la suite de cette annonce, j’ai vu mon ami sombrer. Cette personne qui était heureuse dans son genre s’est totalement effondrée. Cela m’a marqué. Comment les mots d’un médecin peuvent à ce point bouleverser les fondations d’un individu ? À cela s’ajoute un second élément déclencheur. À 14 ans, je me suis rasée la tête. Avec mon corps d’adolescente, j’ai été durant deux années dans un entre-deux identitaire. Quand j’entrais aux toilettes des filles, on me demandait d’aller aux toilettes des garçons et inversement. Ce vide identitaire dans lequel je n’étais ni fille ni garçon a été pour moi un immense vertige.
Combien de temps a-t-il fallu pour voir émerger le projet ?
J’ai commencé à écrire sur ce sujet il y a dix années. Lorsque je présentais ce projet, je faisais face à trois types de réactions. La plus répandue était la négation de l’existence même de l’intersexuation. On me répondait tout simplement que ce n’était pas un sujet, car cela n’existait pas. Il y a eu également des réactions de rejet, voire de dégoût. La dernière réaction a été de me demander si j’étais moi-même une personne inter. Le chemin a donc été très long jusqu’à ce que je rencontre ma productrice Clara Laplace avec qui nous nous sommes énormément battues. Ensemble, nous sommes allées voir France·tv slash qui a tout de suite compris. Et, entre-temps, le monde avait changé.
Constates-tu une demande plus forte de représentations de minorités dans les scénarios de la part des producteurs et des diffuseurs ?
Oui, mais… Je dirai que c’est toujours mieux si cela concerne un personnage secondaire ou tertiaire. Il est toujours plus difficile de faire avancer un projet avec pour personnage principal une personne qui représente une minorité. Par exemple, lorsque j’ai proposé mon projet, certains producteurs m’ont opposé que ce type de série ne serait regardé que par des personnes intersexes. Ce qui est bien sûr faux. On se passionne chaque jour pour des personnages qui ne nous ressemblent pas.
De quelle façon as-tu travaillé à l’élaboration du scénario ?
Plus je me penchais sur le sujet et plus je me rendais compte qu’il me fallait déconstruire mes croyances pour pouvoir appréhender le quotidien de mon personnage principal. J’ai donc écrit le scénario main dans la main avec les personnes du “Collectif intersexe activiste”. J’ai également rencontré des médecins. Si certains vieux pontes prennent des décisions d’autorité, beaucoup se montrent impuissants et dépassés. À l’issue de la diffusion de la série, j’ai été contacté par de nombreuses personnes intersexes ainsi que par des parents d’enfants inter. La communauté, dans sa grande majorité, a très bien reçu le projet. Ce qui pour moi est un grand soulagement. Mon seul point de vigilance absolu était de rendre l’intrigue crédible au regard d’un parcours d’intersexuation.
Chair tendre participe à rendre davantage visibles les personnes intersexes qui sont finalement très peu visibles dans le paysage actuel. Comment l’expliques-tu ?
L’intersexualité est souvent cachée par les parents. Ceux-ci sont confrontés à des choix très difficiles au moment de la naissance de leur enfant. D’ailleurs, très souvent, aucun choix ne leur est laissé. On leur explique que leur enfant est malade et qu’il faut « corriger une anomalie ». Pour la personne concernée, l’intersexualité lorsqu’elle n’est pas expliquée par les parents, est découverte au moment de l’adolescence. Cette période est particulièrement difficile dans la construction d’un individu. Ce qui explique que les personnes concernées ne se rendent pas visibles. D’ailleurs, dans la série, un seul acteur est une personne intersexe. Il s’agit de Lysandre qui joue le rôle de Loé, membre d’un collectif intersexe. C’est lui qui accompagne Sacha, le personnage principal, dans sa quête d’identité.
La série a-t-elle donné davantage de visibilités aux personnes inter ?
Je ne sais pas si Chair tendre à un rôle de représentation, néanmoins, la série montre que dans notre société, il existe des personnes qui ne sont pas identifiées comme fille ou comme garçon. La série a, je pense, permis aux gens du collectif intersexe de prendre la parole dans la presse nationale et dans les médias généralistes. Par exemple, à l’issue de la diffusion de la série, la journaliste Giulia Foïs a consacré un entretien d’une heure à Lysandre. Les personnes intersexes ont ainsi pu s’exprimer en voix propre. Si la série a aidé, alors j’en suis particulièrement fière.
Et inversement, y a-t-il eu des retours négatifs ?
Il y en a eu effectivement, même si je n’ai pas tout regardé, loin de là. Les remarques les plus virulentes ont été formulées par des personnes qui n’étaient pas du tout concernées par l’intersexuation et qui trouvaient inadmissible qu’une personne cis et hétéro comme moi s’empare de ce sujet. Qu’importe, comme je l’ai dit, mon seul point de vigilance absolu, était de rendre l’intrigue crédible au regard d’un parcours d’intersexuation et de ne surtout pas trahir le vécu des personnes inter.
Quels sont tes projets à venir ?
Je vais continuer à questionner l’identité. Avec une série qui explorera la masculinité et la représentation des corps.