Pierre Damonneville est un éleveur d’une quarantaine d’années. Homosexuel ayant fait son coming out il y a une dizaine d’années, il revient sur un parcours semé d’obstacles mais où la ténacité a fini par lui permettre de réaliser son rêve d’élever des vaches.
Par Marie Roy
Le milieu agricole, Pierre Damonneville l’a dans la peau. Fils et petit-fils d’agriculteurs, il sait très vite que son destin le mènera à travailler dans ce secteur. Mais, à la différence de ses parents qui cultivent les céréales et le tabac, Pierre est attiré par l’élevage : « Quand j’étais petit, j’étais toujours fourré chez le voisin qui élevait des vaches. Au grand dam de mon père d’ailleurs, qui voyait surtout que c’était du temps en moins que je passais sur la ferme ! »
C’est donc naturellement que ce Picard rentre au lycée agricole. Puis s’enchaînent 17 années à travailler dans le para-agricole : conseiller indépendant puis commercial pour une société de machines à traire et enfin conseiller pour une start-up.
« J’ai vécu dans le déni pendant 10 ans »
Parallèlement, au tout début de la vingtaine, Pierre réalise son homosexualité. Il choisit alors de ne le dire à personne : « J’ai vécu dans le déni pendant 10 ans, convaincu que dans le monde agricole, je ne pourrais ni m’installer ni prospérer à cause de mon orientation sexuelle ». Il poursuit : « Travailler dans le monde agricole, c’était mon but, donc j’ai totalement mis ma vie sentimentale entre parenthèses. »
En effet, le secteur agricole n’a pas la réputation d’être le plus ouvert et le plus inclusif sur les questions LGBTQI +. « C’est un milieu très traditionnel avec une grosse pression patriarcale. En plus, souvent, les exploitations sont familiales, la sphère privée et familiale sont mélangées et ça complique tout », confie Pierre. Concrètement, le Picard a dû faire face à une homophobie rampante à tous les stades de sa carrière : « Quand j’étais commercial, j’allais sur les exploitations. Et la première chose que faisait l’agriculteur, c’était de servir un café. Et, pour détendre l’atmosphère, une bonne blague homophobe. » À l’époque, Pierre serre les dents et encaisse.
Mais au cours de sa trente-deuxième année, Pierre décide de franchir le pas et de faire son coming out. D’abord auprès de ses proches avec lesquels « tout s’est étonnamment bien passé ». Puis dans le milieu professionnel. À ce moment-là, le futur éleveur travaille dans une start-up mettant en place des logiciels de gestion de troupeau et de commercialisation de bovins en ligne. « Ça a été très bien accepté. Mais c’était une start-up, donc l’ambiance était différente. Et puis le fils du patron était lui-même homosexuel. »
Le rêve de reprendre une exploitation
Mais, il se trouve que la jeune pousse met la clef sous la porte. Le trentenaire y voit l’opportunité de réaliser le rêve de sa vie : s’installer sur une exploitation pour devenir éleveur. Et attention, car Pierre ne veut pas faire n’importe quelle agriculture, pour lui, ce sera en bio ou rien : « Je voulais deux choses : être mon propre patron et respecter la faune et la flore. C’est-à-dire que je ne voulais pas travailler avec les pesticides, les engrais, les produits chimiques, bref, tout faire pour respecter l’écosystème en place. »
Alors, Pierre commence à sillonner la France à la recherche d’une ferme à reprendre. Au bout de trois ans, l’occasion se présente en Mayenne. C’est le coup de cœur. « J’ai donc démarré pour deux mois avec Martine et Alain, les propriétaires qui voulaient vendre la ferme, pour voir si ça collait. » Ensuite, Pierre décroche un parrainage à l’installation puis un contrat de vente en avril 2015 pour que la reprise se fasse en janvier 2016. Entre-temps, des accords de financements sont nécessaires et interviennent en octobre 2015.
Une banque aux propos homophobes
Si l’histoire de cette reprise tient ici en quelques lignes, l’affaire est moins simple qu’il n’y paraît. « J’ai eu énormément de mal à obtenir un prêt, sur cinq banques, cinq refus », confie Pierre. Pour lui, deux facteurs sont en cause. Le premier est qu’il s’agit d’une installation hors cadre familial : « Dans beaucoup de cas, c’est le fils qui reprend l’exploitation, les parents sont caution et restent propriétaires d’une partie des terres, ça conforte la banque. Mais moi, je voulais reprendre une ferme sans rien demander à mes parents ». L’autre raison serait l’homophobie. Et Pierre a un exemple très concret l’amenant à penser cela. En avril 2015, Pierre signe le compromis. Et, en juillet, Martine et Alain sont convoqués à la banque. Sans Pierre. À leur retour du rendez-vous, Pierre apprend que le banquier leur a déconseillé de faire un projet avec lui, leur disant qu’il n’aurait pas d’accord de financements et « qu’on avait encore jamais vu un homo reprendre une exploitation ».
Mais le trio se sert les coudes et fait front. Pierre reprend son business plan et réduit le montant des investissements. Et, après quelques nouvelles rencontres avec les banques et une stratégie différente, le projet est accepté. Pierre va enfin pouvoir élever des vaches. Depuis, les années sont passées et l’exploitation se porte bien, même s’il y a toujours des hauts et des bas. « Je suis une peu perçu comme l’empêcheur de tourner en rond : non seulement je fais du bio, mais en plus je suis homo. »
Avec toutes ces expériences et poussé par la présence d’un homosexuel dans l’émission l’Amour est dans le pré, Pierre décide, en 2017, de créer une page Facebook « Agriculteur et gay, et alors ? », aujourd’hui suivie par 3 600 personnes. « Moi, c’est surtout ça qui m’a empêché de parler pendant 10 ans, c’est que je pensais que j’étais le seul agriculteur homosexuel ». Pierre lance donc cette page pensée comme un endroit pour échanger et se soutenir. Surtout, voir que l’on n’est pas seul « et qu’être agriculteur, avoir une ferme et un mari est possible. » Depuis, Pierre épaule les agriculteurs qui font appel à lui via la page. Car si l’éleveur a mis 10 ans à faire son coming out, il est désormais pleinement engagé pour faire « bouger les choses ». Il explique : « Nous sommes de passage dans ce monde, et si par mon passage, je peux contribuer à rendre le monde agricole plus tolérant, ce sera déjà ça de gagné. »