Peut-on être out sur LinkedIn ? 

Peut-on être out sur LinkedIn ? 

Du « placard » professionnel au personal branding sur les réseaux sociaux, quatre salarié·es et entrepreneur·ses témoignent de leur expérience de LinkedIn en tant que personnes LGBTQI+.

Par Aimée Le Goff 

«Comme la politique, la religion ou l’argent, l’orientation affective est un sujet tabou en France, relève Maud Grenier, consultante et formatrice RH à la tête de son entreprise depuis 2020. Aujourd’hui certifiée « Top Voice » sur LinkedIn, cette ancienne salariée a fait le choix de prendre la parole sur les sujets de diversité et d’inclusion (D&I), après un coming out professionnel partagé sur le réseau social en 2022. « Ce premier post a reçu 2500 likes et m’a permis de m’émanciper de la deuxième vie que je m’étais inventée en entreprise ».

S’exprimer sur des réseaux internes

Pour Thierry Mattera, responsable média pour le groupe Société Générale, la prise de parole s’est faite progressivement sur les réseaux ces trois dernières années. Ses interventions autour des sujets D&I sur LinkedIn varient entre utilisation personnelle, prises de parole via l’ERG Pride & Allies de Société Générale, et autres posts sur la page LGBTQI+ & Allies Finance, qui regroupe les ERG LGBTQI+ & allié·es du marché banques et assurances. « En cas de remarque, les gens savent que je lève tout de suite la main. Cela constitue sans doute mon personal branding, les gens voient que je me positionne. J’essaie aussi de faire en sorte qu’on adopte une approche intersectionnelle et qu’on fasse le parallèle avec toutes les diversités en entreprise, qu’il s’agisse de handicap, d’origines, de parité, etc. »

Revendiquer son identité et devenir un rôle modèle

Si la part des sujets D&I abordés sur les réseaux reste difficile à mesurer, Thierry Mattera s’enthousiasme des nouvelles voix qui émergent sur LinkedIn, et dont l’écho se traduit parfois par des dizaines de milliers de likes. « Ces rôles modèles, très actifs, ont une audience et un engagement croissant. Ma vision est peut-être biaisée, mais j’y vois le signe d’un intérêt de plus en plus prononcé pour ces sujets », analyse le salarié.

Comme Maud Grenier, Dorith Naon, 30 ans, compte parmi ces nouvelles voix. Ambassadrice des sujets d’inclusion en entreprise, elle publie depuis deux ans des post viraux et des « tutos » qu’elle a combinés dans un livre, Linkedin, Booste ta visibilité, aux Éditions Vuibert. Sa popularité n’a cessé de croître depuis son premier post en 2022, dans lequel elle revendiquait son profil, ses tatouages et son orientation affective. « À l’époque, je rêvais de travailler dans la communication. Je voyais LinkedIn comme un réseau académique, normé, j’avais peur de ne pas trouver ma place. J’ai fait le pari de l’authenticité, j’y suis allée à fond ». Sa première publication atteint plus de 23 000 likes et conduit, de fil en aiguille, à 2 millions de vues et plus de 200 propositions d’emploi. « Je pense que mon franc-parler dénote, commente l’influenceuse, aujourd’hui chroniqueuse et formatrice. Il y a encore beaucoup de langue de bois sur LinkedIn. J’ai reçu de nombreux messages de personnes qui m’ont partagé leur difficulté à être out au travail ».

Laisser les mauvaises portes fermées

Se sentir les épaules d’un rôle modèle en ligne est aussi une question de timing. « J’avais 34 ans quand j’ai fait mon coming out sur LinkedIn, j’avais déjà une vie construite, une expertise que je pouvais revendre, je savais où je voulais aller, résume Maud Grenier. À 20 ans, quand on démarre, ou quand on a la pression économique de trouver rapidement un emploi, c’est plus compliqué. Il faut aussi être à l’aise avec le fait d’être davantage exposé·e aux discriminations ». Pour Dorith Naon, si s’exposer sur LinkedIn risque de fermer des portes, c’est que « ce sont de mauvaises portes, celles d’entreprises problématiques avec qui il ne faudrait de toute façon pas collaborer ».

En janvier 2023, Daniel Duchemann, aujourd’hui social media manager pour le site réunionnais masanté.re, s’est un peu retrouvé porte-parole malgré lui, après avoir dénoncé, dans une lettre ouverte sur LinkedIn, l’homophobie subie chez son ancien employeur. « Les réseaux sociaux, pour moi, c’était juste un canal. Je venais de quitter mon entreprise avec qui les choses s’étaient très mal terminées. Je me suis demandé quelle résonance cette publication pourrait avoir au sein de Welcome To The Jungle, l’employeur qui m’a recruté par la suite et où je suis resté un an et demi ». Sa mobilisation s’avère fructueuse : un groupe LGBTQI+ est créé en interne avec quatre volontaires pour sensibiliser les salarié·es aux questions d’inclusion. « L’impact a été plus fort en interne qu’en externe. Aujourd’hui, j’ai de l’énergie à mettre dans d’autres projets, je préfère par exemple m’investir dans le monde associatif plutôt que dans le monde virtuel ». 

Les discriminations persistent en ligne

« Après ma lettre ouverte, j’ai eu de bons retours mais j’ai aussi reçu des commentaires méchants, très violents, poursuit Daniel. Cette vague négative m’a affecté, j’ai dû faire face à beaucoup d’anxiété. Je ne fais pas de personal branding aujourd’hui et c’est en partie pour éviter cela ». Quand Maud Grenier a franchi le cap de révéler son orientation affective sur LinkedIn, les messages discriminants se sont aussi multipliés. « On m’a reproché d’être la cause de la baisse de la natalité en France, on me disait que ce type de contenu n’avait rien à faire sur LinkedIn… ».

En parallèle, la consultante a reçu beaucoup de témoignages de femmes lesbiennes partageant leurs difficultés à être out dans leur entreprise.  « Selon le milieu dans lequel on travaille, les conséquences peuvent être importantes : pas de congé ‘‘second parent’’, impossibilité de faire bénéficier sa conjointe de la mutuelle, etc. ». En regardant l’avenir, l’entrepreneuse s’enthousiasme de l’arrivée sur le marché de l’emploi de la nouvelle génération, plus affirmée et plus éclairée sur les sujets D&I. « J’admire les jeunes créateur·ices de contenu qui s’assument, qui sélectionnent les entreprises en fonction de leur positionnement sur ces sujets, en passant par exemple par des plateformes comme Jobs make sense ». 

Après deux ans de mobilisation active sur les réseaux, Dorith Naon se sent quant à elle « encore très seule sur LinkedIn ». Sa mobilisation continue de faire mouche. « Le fait de me positionner transmet toujours un message encourageant, estime-t-elle. Passer ces messages sert mon intérêt, mais aussi celui des autres ».