À 23 ans, Louis Feghlou, étudiant en médecine, réunit plus de 30 000 followers sur son compte Instagram, Loulou parfois. Entre pédagogie et militantisme, il y partage les sujets liés à son parcours de transition. Et ouvre volontiers la chasse aux tabous sur la transidentité.
Par Aimée Le Goff
Les idées, les projets, le ton de la voix…Tout, dans les propos de Louis Feghlou, laisse transparaître une attitude décomplexée. Depuis cinq ans, le jeune homme partage sur Instagram et sur TikTok les informations sur son parcours de transition, sous son pseudo Loulou parfois.
« J’ai remarqué que plus je partageais ce que je vivais, plus ça intéressait du monde, y compris les personnes non concernées, mais curieuses. Les hommes trans ont trop peu de visibilité en France, et les gens sont très peu documentés ».
Sortir des cases, le plus possible
Né sous X, Louis Feghlou est élevé par sa mère. Vers l’âge de 4 ans, il se rend compte qu’il est un garçon et rejette tout ce qui s’apparente au « féminin ». « C’était très difficile parce que ma mère essayait de me mettre dans ces cases. Moi, j’essayais justement d’en sortir le plus possible ». Il rencontre son père biologique à 14 ans, un homme gabonais, attaché à ses valeurs chrétiennes et africaines. D’emblée, Louis le mentionne comme un géniteur plutôt qu’un père, « parce qu’on ne rattrape pas quatorze années de vie comme ça ». Il ajoute : « pour accepter ma transition, il a dû faire un petit travail sur lui-même, notamment vis-à-vis de la religion, mais aujourd’hui, nous avons un bon lien ».
Un parcours pour être en accord avec soi-même
À 18 ans, il découvre par hasard, à la télévision, un documentaire sur la transidentité. « J’ai appris l’existence des personnes trans et la possibilité d’un parcours qui permet de vivre en accord avec soi-même. Un monde nouveau s’est ouvert à moi, et j’ai entamé beaucoup de recherches ». Sur les réseaux, il tombe sur plusieurs comptes, « surtout des profils américains, plus nombreux à être out en ligne ». À sa majorité, il commence la prise d’hormones et se décide pour une mammectomie. Son compte Instagram prend de l’ampleur et à 20 ans, Louis commence à enchaîner tables rondes, interviews et rencontres avec des Youtubeurs.
Pour être suivi par un personnel médical adapté, il passe par la plateforme BDDTrans, un annuaire qui rassemble les établissements formés aux parcours de transition. « Mon hystérectomie m’a coûté 2 500 euros mais au moins, j’étais dans un hôpital adapté, les chirurgiens sont habitués et il n’y a pas de transphobie, confie-t-il.
« La transphobie ne m’atteint quasiment plus »
Si son coming out est bien perçu par ses amis et sa mère, « une femme très ouverte sur ces sujets », une partie de sa famille d’origine algérienne et musulmane fait preuve de transphobie à son égard. « Ce sont des gens que je ne vois presque plus. Sinon, la plupart de mes amis sont issus de la communauté LGBTQI +, et ma compagne m’a connu via les réseaux. Je n’ai rien eu à leur apprendre ».
Sur les réseaux, la transphobie persiste, entre messages maladroits – on lui demande encore son ancien prénom – questions intimes ou, plus grave, incitations au suicide et menaces de mort. Louis relativise : « on ne peut pas éviter le contenu négatif en ligne. En majorité, je reçois surtout des choses positives ». Cette prise de recul n’a pas toujours été évidente. « Plus tôt, c’était très difficile de subir les jugements de valeur et les insultes. J’étais une éponge émotionnelle. Maintenant, avec les connaissances que j’ai emmagasinées, la déconstruction que j’ai acquise et la confiance en moi développée à travers ces années de transition, cela ne m’atteint quasiment plus ».
« Beaucoup de choses changeraient avec plus de prises de parole »
« Petit dictionnaire sur la transidentité », « quatre choses que vous ignorez sur la prise de testostérone », « trois questions à se poser »… Le ton de ses posts est clairement pédagogue. Louis y tient et revendique une réelle proximité avec ses abonné·es. « Il y a un côté familial que les gens aiment bien. Je partage aussi beaucoup de leurs expériences quand iels le désirent ». Les tabous, il le martèle, doivent être démontés. « Les gens savent que la phalloplastie existe. Je ne vois pas pourquoi je m’abstiendrais d’en parler dans le détail, c’est une opération qui sauve des vies. C’est primordial d’ouvrir des portes ». En plus de la méconnaissance et de la transphobie du milieu médical, Louis pointe du doigt le manque d’éducation sexuelle en France, le grand silence sur le plaisir féminin, et d’autres sujets jamais abordés, « par pudeur ». « Forcément, en conséquence, on grandit et on se construit de façon biaisée ».
« Cela ne regarde pas les personnes avec qui j’étudie »
Installé à Paris pour ses études de médecine, Louis est en année de césure, le cursus et les stages restant difficilement compatibles avec les opérations. S’il opte pour la pédagogie sur les réseaux, il marque une nette séparation entre sa vie numérique et ses études. À la fac, il n’est pas out, n’en ressent pas le besoin. « Les études, c’est un autre milieu, dans lequel je n’ai pas envie d’en parler. Je pars du principe que cela ne regarde pas les personnes avec qui j’étudie ou je travaille. En fait, je n’imagine aucune réaction de leur part ». Pour faire valider son année de césure, il a envoyé un certificat médical, sans trop de précisions supplémentaires. Bien sûr, il a conscience des « fuites » possibles dues à sa visibilité. « Si quelqu’un vient m’en parler, même avec de bonnes intentions, je lui explique que je préfère que cela reste entre nous ». Pour la suite, il envisage de travailler aux urgences, et rêve depuis longtemps de Canada.
Beaucoup d’infirmières et médecins suivent son compte et se forment, à force de volonté, à travers son profil. Militer pour une formation en médecine inclusive, en revanche, n’est pas son combat. « C’est un peu vain. La transphobie en études de médecine est tellement ancrée, binaire, caricaturale. Je ne suis pas sûr d’avoir la force de m’engager sur ce terrain ».
Son compte : @loulouparfois