Ouissem Belgacem, ex-joueur de football professionnel, est l’auteur du récit autobiographique Adieu ma honte. Dans son livre, il dénonce l'homophobie et l’hétéronormativité dans le monde du football français. Un an après la parution de son ouvrage (et au moment de sa sortie en “Poche”), quel bilan tirer ? Quel impact sur le sport préféré des français·es ? Interview.
Par Léa Taïeb
Un an après la parution de votre livre, quelles sont les retombées ?
J’ai reçu beaucoup de soutien de la part du grand public, des médias et même du monde de la mode. Même si des joueurs de foot m’ont félicité en privé, même si j’ai pu intervenir dans certains clubs de formation pour sensibiliser à la lutte contre l’homophobie, le milieu du football est resté particulièrement silencieux : je n’ai reçu aucun appel de la FFF (Fédération Française de Football) et mes échanges avec la LFP (Ligue de Football Professionnel) n’ont pas été constructifs. Ces organisations ne semblent pas vouloir prendre conscience de l’ampleur du problème. Elles nient l’homophobie pour ne pas se remettre en question, pour ne pas déployer un vrai plan de lutte. J’avais l’espoir que mon livre pourrait leur ouvrir les yeux.
À titre de comparaison, la Belgique a fait appel à moi dans le cadre du plan “Come Together”, un programme consacré à la lutte contre l’homophobie dans le football belge. Je ne comprends pas pourquoi d’autres nations me sollicitent alors que ma propre fédération ne se manifeste pas.
Vous avez eu l’occasion de rencontrer des joueurs en formation. Comment sensibiliser les jeunes générations ?
J’interviens dans des clubs (comme Toulouse, Monaco ou Auxerre), dans des établissements scolaires et dans des entreprises en tant que conférencier. Dans un premier temps, je partage mon témoignage : à quel point, je ne me suis pas senti à ma place dans ce sport, un sport que j’aime infiniment.
Puis, j’établis des parallèles entre différents types de discriminations. Je donne d’abord des exemples de discriminations sexistes et racistes pour ensuite transposer l’exemple et l’appliquer à l’homophobie. C’est par l’échange que j’essaie de déconstruire certains de leurs préjugés : on ne choisit ni son orientation sexuelle ni sa couleur de peau. J’ai le sentiment qu’après ces discussions aussi vives que constructives, ils sont plus ouverts, prêts à remettre en question leurs certitudes.
Après l’échange, on essaie d’organiser un match de foot, un moment qui fédère autour d’une même passion.
En 2022, quelles sont les actions qui sont mises en place par les organisations qui régissent le monde du foot français ?
Aujourd’hui, d’après mes informations, il n’y a pas vraiment de budget dédié à ce sujet. En 2022, ce sport qui brasse des milliards ne met pas à disposition de moyens financiers, humains et logistiques pour cette cause.
Régulièrement, des associations telles que Stop Homophobie ou Rouge Direct dénoncent les propos homophobes tenus lors de matchs. Mais, leurs actions semblent avoir un impact limité sur la politique des entraîneurs comme des clubs.
Pour le moment, la plupart considère que soutenir la cause consiste à brandir un drapeau LGBTQI+ une fois par an. C’est le cas de la Ligue de Football Professionnel qui demande à ses joueurs de porter des maillots floqués du drapeau arc-en-ciel sans les former à la lutte contre les discriminations homophobes*. Le pinkwashing prime : le budget investi pour ces coups de communication pourrait par exemple servir à recruter une personne en charge de la formation des joueurs.
Quels sont vos moyens d’actions pour lutter contre l’homophobie dans le foot ?
Je mise sur la jeunesse, sur l’éducation des nouvelles générations. Les adolescents sont encore ouverts au dialogue, leurs opinions sont en cours de construction contrairement à des joueurs professionnels déjà multimillionnaires. Il est possible de rendre les joueurs de demain plus inclusifs.
Mais, pour cela, il est nécessaire de revoir le discours des entraîneurs, des équipes encadrantes. Donc, avant toute chose, nous devons former les formateurs à l’inclusion des personnes LGBTQI+ pour qu’ils puissent, à leur tour, former les joueurs. Je lance, en ce moment, une association “Libre Ensemble” qui propose des formations aux cadres des clubs.
Comment expliquer l’inertie du monde du football sur le sujet des violences homophobes ?
C’est le problème de l’offre et de la demande : aujourd’hui, beaucoup trop de sponsors se disputent les revenus générés par le foot. Pour rester dans la course, ils ne sont pas prêts à faire pression sur des autorités comme la FFF ou la LFP, ils ne sont pas prêts à les inciter à mettre en place une politique inclusive à l’égard des personnes LGBTQI+.
Le ministère des sports n’a pas non plus de pouvoir d’influence puisqu’il octroie une très faible part du budget à ce sport. Si l’argent n’est pas un moyen de pression, comment peut-on réformer ce milieu ?
Quels dispositifs seraient nécessaires pour changer durablement ce milieu ? Pour qu’il y ait moins de carrières brisées et davantage de coming-out ?
J’aimerais que les personnes qui se trouvent à la tête du football cessent de fermer les yeux sur l’homophobie dans le football et qu’elles prennent le sujet à bras le corps en imposant des formations obligatoires comme c’est le cas pour la lutte antiraciste. Aussi, il est temps que l’on sanctionne les chants homophobes entonnés chaque week-end dans les stades.
Les fédérations comme les clubs devraient prendre exemple sur la Fédération Belge de Football ou sur des groupes comme LVMH, qui ont nommé des directeur·ices diversité et inclusion et qui ont octroyé un budget conséquent pour des projets consacrés à la lutte contre la LGBTphobie en leur sein.
J’aimerais que des joueurs dont le pouvoir d’influence est immense comme Mbappé ou Neymar s’engagent dans la lutte contre l’homophobie comme ils s’engagent pour d’autres causes tout aussi nécessaires. Si ces leaders d’opinion s’expriment sur la nécessité d’inclure les personnes LGBTQI+, ils seront suivis.
Quels sont vos projets pour démocratiser la lutte contre l’homophobie dans le football français ? Pour faire bouger les lignes ?
Je travaille sur deux projets audiovisuels dont une série documentaire que je tourne depuis septembre 2021. Après sa sortie, j’ai l’espoir que ce projet serve d’outil pédagogique dans les clubs, qu’il serve de base pour former les jeunes et les moins jeunes. J’espère qu’il sera visionné par un maximum de personnes.
Après la publication de mon premier livre, j’ai compris que les mots avaient le pouvoir d’apaiser les esprits, les cœurs. J’ai donc décidé d’écrire un second livre sur une autre thématique, dont la portée pourra être encore plus universelle.
En parallèle, j’interviens à l’étranger en tant que conférencier sur le sujet des violences homophobes dans le sport. Dans les pays d’Europe du Sud, virilisme et machisme sont encore très présents dans la société et le monde du sport. C’est pourquoi, il est nécessaire de témoigner.
*Certains joueurs s’en dédouanent sans être sanctionnés