Si dans les pays anglo-saxons l’usage du genre neutre est facilité par la langue, en France, les spécialistes du recrutement se montrent encore très frileux. Ainsi, rares sont les annonces d’emploi rédigées en écriture inclusive et hormis les mentions légales H/F, les annonces restent très majoritairement rédigées au masculin. têtu·connect s’est penché sur la question. Quel est l’état de la réflexion au sein des cabinets de recrutements ?
Par Chloé Consigny
Ce que dit la loi
Selon l’article 1132-1 du Code du travail, sont jugées discriminantes et donc interdites, dans le texte d’une offre d’emploi, toutes mentions relatives « à l’origine, au sexe, aux mœurs, à l’identité de genre, à l’orientation sexuelle, à l’âge, à la situation de famille, à l’état de grossesse, à l’appartenance ou à la non-appartenance à une ethnie, une nation ou une race, aux opinions politiques, aux activités syndicales ou mutualistes, aux convictions religieuses, aux caractéristiques génétiques, à l’apparence physique, au lieu de résidence, au patronyme, à l’état de santé ou au handicap ». Quelques rares exceptions existent, à l’instar des annonces d’emploi pour des missions de mannequinat ou encore pour la recherche de comédiens ou comédiennes, dans ces cas précis, il est possible de spécifier dans sa requête un âge ou un genre recherché.
Cependant la mention des genres H/F n’est en rien obligatoire. « Si la loi stipule qu’une annonce d’emploi ne doit écarter personne, elle n’impose pas de mention de genre. Pourtant, pour se prémunir de toute discrimination, les chargé·es de recrutements choisissent majoritairement d’apposer la mention H/F en haut de l’annonce. L’offre d’emploi est ensuite généralement rédigée exclusivement au masculin », observe Marion Cosar, directrice générale de l’École du Recrutement qui ajoute, « je pense qu’il s’agit globalement de méconnaissance et de mauvaises habitudes. Des années durant, la norme pour la rédaction d’offres d’emplois était l’utilisation exclusive du masculin ».
Changement de paradigme
Depuis quelques années, un changement de fond s’opère. Les spécialistes du recrutement ont ainsi pris à bras le corps le sujet de la non-discrimination. Ainsi, au sein d’un groupe tel que Michael Page, la rédaction d’offres d’emploi répond à un cadre strict. « Nous ne travaillons pas selon la demande de nos clients. La rédaction d’annonces s’inscrit dans un cadre très normé permettant d’éviter toute discrimination », explique Fatine Dallet, directrice exécutive, Micheal Page, France qui ajoute : « j’ai rejoint le cabinet il y a quinze ans. A cette époque, j’étais très régulièrement confrontée à des remarques sexistes lorsque je présentais une femme pour un poste dans l’industrie. Depuis lors, les pratiques ont profondément changé, du fait de la loi, mais aussi de nos clients qui se sont eux-mêmes remis en question. Je dirai qu’aujourd’hui nous sommes confrontés à une pratique discriminatoire une à deux fois par an, contre une fois par mois il y a dix ans. Nous sensibilisons nos clients avant chaque lancement de recrutement au fait que nous n’accepterons ni cautionneront aucune discrimination. En interne, nous avons mis en place un cadre pour l’écriture de nos annonces et nous formons nos consultantes et consultants à l’écriture inclusive. Au-delà de nos équipes, nous sensibilisons et formons également nos clients. Il est impératif qu’à la lecture d’une annonce, chaque talent, quel que soit son genre, se sente légitime à postuler ».
Nouveaux process
Marion Cosar a fondé L’École du Recrutement, avec une conviction forte, celle que le recrutement doit passer par des méthodes à la validité scientifique éprouvée. « Beaucoup de chargé·es de recrutements ont appris sur le tas et se sont dotés de pratiques plus ou moins fiables et plus ou moins justes », explique-t-elle. L’École du Recrutement enjoint les spécialistes RH à faire un effort spécifique, en pensant nativement l’inclusion lors de la rédaction des annonces. « Les discriminations de genre entrent en compte à chaque étape du recrutement et particulièrement lors des annonces. Ainsi, les mots utilisés dans une annonce d’emploi ont une incidence sur les personnes qui y répondent », explique Marion Cosar. Et de poursuivre « par exemple, si une start-up mentionne dans son annonce la présence de babyfoot et de jeux-vidéos sur le lieu de travail, elle se coupe de toute une partie de candidats et candidates qui ne se retrouvent pas du tout dans ce genre de divertissements ».
Un nécessaire effort dans la rédaction des offres d’emploi
Reste qu’écrire de façon inclusive n’est pas chose aisée. « Je vous mets au défi de réussir à rendre neutre une annonce initialement rédigée au masculin. Cela donne des tournures alambiquées et complexes. Pour qu’une annonce soit inclusive, il faut qu’elle ait été nativement pensée de manière neutre », explique Marion Cosar. Et l’exercice ne convient pas à tous. Certains experts du recrutement comparent l’effort nécessaire à celui réalisé pour ne pas tutoyer ou vouvoyer son interlocuteur. Néanmoins, quelques techniques fonctionnent, à l’instar de l’emploi de mots épicènes, ou encore du remplacement de certains adjectifs par des adjectifs neutres. Il est ainsi possible de remplacer « qualifié » par « apte à ». Il convient enfin d’éliminer tout vocabulaire viriliste, encore trop souvent à l’œuvre dans certaines annonces. « Par exemple, les formulations telles que « homme de terrain », peuvent facilement être remplacées par « vous aimez le terrain », explique Fatine Dallet.
L’écriture inclusive : un terrain glissant
Si tous les spécialistes du recrutement sont aujourd’hui sensibilisés au genre neutre, aucune en revanche ne s’essaye à l’usage du pronom IEL, ni à l’écriture inclusive. « Nous le constatons en effet très rarement », souligne Marion Cosar, qui ajoute, « cela enverrait pourtant un message très fort à destination des candidats et des candidates ». Les deux principaux freins à l’usage de l’écriture inclusive restent la peur de laisser de côté les personnes dyslexiques, mais également le côté clivant des débats qui, sur la scène médiatique actuelle, séparent parfois de manière très virulente les pro des anti.
Aligner ses engagements à l’externe et à l’interne
Le caractère inclusif d’une offre d’emploi doit se faire en reflet d’une culture d’entreprise. Gare donc aux annonces bullshit qui prônent des valeurs non effectivement défendues au sein de l’organisation. « Il est indispensable que les annonces soient suivies d’actions concrètes. Pour nous, en tant qu’acteur de l’emploi, il n’y a rien de pire qu’un candidat ou une candidate qui, à la suite du premier entretien, revient vers nous en nous disant que l’entreprise n’a rien à voir avec ce qui lui a été initialement présenté ! », conclut Fatine Dallet.
Pour aller plus loin : Comment féminiser ses annonces? Par L’Ecole du Recrutement.