Maitre Caroline Mecary est spécialiste du droit des familles, avocate aux barreaux de Paris et de Québec. A l’occasion de TÊTU Campus, elle revient sur la liberté d’expression qui, en France, n’est pas « absolue ». Elle revient également sur la notion de discrimination qui, en droit, correspond à des comportements extrêmement précis. Dans quels cas peut-on avoir recours à la justice et quels outils sont disponibles pour faire face à ceux qui outrepassent les règles ?
Par Chloé Consigny
La liberté d’expression est l’un des socles de la démocratie. « La Cour européenne des Droits de l’Homme dit très clairement qu’il n’y a pas de liberté d’expression sans acceptation d’une idée ou d’une opinion qui peut nous choquer. C’est le corollaire de la liberté d’expression. S’il n’y a pas de possibilité d’énoncer une opinion ou une idée qui peut choquer une partie de la société, aussi infime soit-elle, alors, il n’y a pas de liberté d’expression », explique en préambule Maitre Caroline Mecary, avant d’ajouter : « La liberté d’expression est donc très grande. Néanmoins, en France, elle n’est pas absolue. La loi de juillet 1881 sur la liberté de la presse pose des limites. La première limite est celle des injures. On peut tout dire à l’exception des injures, c’est-à-dire des propos avec un caractère outrageant. La deuxième limite est la diffamation. Par diffamation, on entend imputer un fait précis qui porte atteinte à l’honneur et à la considération d’une personne. Enfin, la troisième limite est celle de la provocation et de l’incitation à la haine ». Ce cadre juridique étant fixé, comment faire lorsque l’on est victime d’une injure ou d’une diffamation ? Car, dans les faits, rares sont les injures qui se règlent devant les tribunaux.
Rares sont les injures qui aboutissent à une plainte
« La totalité des faits ne sont pas forcément appréhendés par le droit », explique l’avocate. En effet, si une personne se fait traiter de « sale pédé » sur un réseau social, elle peut tout à fait porter plainte. « Cependant, la lourdeur du processus judiciaire qui est en même temps une garantie pour les libertés, fait qu’une insulte sur un réseau social n’engendrera pas une plainte et que les choses se résoudront plus probablement dans un rapport de force », constate Maitre Caroline Mecary. Et quand bien même la diffamation est portée devant un tribunal et elle est avérée, celle-ci n’aboutit pas forcément à une condamnation. « Par exemple, le tribunal peut estimer qu’une enquête a été faite de bonne foi et qu’un énoncé est nécessaire à l’information du public », explique l’avocate.
Un arsenal juridique pour faire face à la discrimination
Si ce n’est pas parce qu’un propos est perçu comme blessant qu’il est opposable en termes de droit, il existe un champ sur lequel il est tout à fait possible de se défendre au regard de la loi : celui de la discrimination. Reste qu’il faut s’entendre sur la définition de discrimination. « A l’heure actuelle, tout le monde parle de discrimination. Si ce terme est galvaudé dans nos vies quotidiennes, en droit il correspond à des comportements extrêmement précis. Le droit du travail est très fourni en ce sens et il existe un arsenal de textes qui interdisent de refuser d’embaucher et de licencier quelqu’un pour une raison discriminatoire. Au total, il existe dix-neuf critères de discrimination qui vont de la couleur de peau à la situation familiale en passant par l’apparence physique », explique l’avocate. Reste qu’il n’est pas facile voire impossible pour un candidat de prouver qu’il n’a pas été embauché en raison de sa couleur de peau ou de ses origines. « Sauf si votre employeur potentiel vous a envoyé un courrier dans lequel il explique clairement que votre couleur de peau ne correspond pas à ce qu’il recherche pour son entreprise, la discrimination à l’embauche reste très difficile à prouver », constate Maitre Caroline Mecary, qui ajoute : « en revanche, dans l’exécution du contrat de travail il est plus facile d’arriver à démontrer que vous avez été victime de discrimination parce que vous êtes syndicaliste ou encore parce que vous êtes une femme enceinte. Il est également interdit de procéder à un licenciement pour des raisons discriminatoires. Dans tous ces cas, il est possible de s’appuyer sur un arsenal juridique important et d’envisager de saisir le conseil des prud’hommes ».
Quels recours, sans passer par la justice ?
Comment faire donc pour sanctionner des mots et des remarques déplacées sans en passer par les tribunaux ? « Si cela se passe dans l’entreprise. Il existe des recours hiérarchiques. Chaque collaborateur, qu’il soit témoin ou victime à la possibilité de signaler des mauvais agissements. Il appartient à l’employeur d’y mettre bon ordre et d’y remédier », explique Maitre Caroline Mecary. Car pour la professionnelle, « ne pas porter plainte ne veut pas dire se taire ! ». Et de conclure : « Aujourd’hui, la société civile a une plus grande intolérance à toute une série de comportements. Prenons l’exemple de #MeTooInceste. Il y a aujourd’hui des chapes de plombs qui s’ouvrent et qui permettent de ne plus laisser passer des situations inacceptables ».