La drag queen engagée pour la lutte des droits de la communauté LGBTQI + et contre le VIH/sida, était hier porteuse de la flamme Olympique à Paris. Un symbole fort de visibilité à l'adresse de toutes les diversités. Retour sur le parcours d'une artiste engagée.
Par Chloé Consigny
Depuis mai 2022, Arthur se consacre entièrement à la carrière de Minima Gesté, son personnage Drag qu’il a imaginé en 2015. Pas question pour autant de tirer un trait sur la vie de bureau. L’entreprise, il y retourne très régulièrement, mais en Minima Gesté. Bingo, blind-test et réseaux sociaux ont fait d’elle une host hautement convoitée par les entreprises.
Au départ, Minima n’a pas d’autre vocation que celle « de s’amuser entre copines ». Pourtant, en 2016, suite à un Dragathon, on lui propose d’être l’host d’une soirée. « C’était payé 20 balles et un Mars, mais j’étais tellement contente ». Une toute première animation qui sera suivie de beaucoup d’autres. Depuis 7 ans, elle anime un Bingo tous les dimanches à La Folie dans le 19ème. Elle est également l’host hebdomadaire d’un blind-test et d’un brunch. « Ces trois événements sont mes vitrines. C’est par exemple à La Folie que j’ai été repérée par un spectateur qui m’a ensuite proposé d’animer un bingo au sein de son entreprise ». Le 8 décembre 2021, Minima Gesté se produit dans les locaux d’Amazon. Une date clé qui amorce sa carrière de Drag en entreprise.
Effet de mode
Au moment de notre rencontre, elle termine une année 2023 « insane » durant laquelle la demande des entreprises a explosé, particulièrement lors du mois des Fiertés. Au total, Minima Gesté a animé 22 événements au mois de juin. Faute de pouvoir honorer toutes les dates, elle en a transmis certaines à des copines. En France, ces prestations sont surtout l’apanage des très grands groupes ; GAFAM et autres mastodontes cotés en Bourse qui, en interne, sont dotés de réseaux Pride. Ces ERG (Employee Ressource Groupe) créés à l’initiative de salarié·es ont vocation à faire émerger de nouveaux sujets et à organiser des événements internes. « J’ai conscience que les Drags en entreprise sont un effet de mode. Il y a dix ans, les entreprises organisaient des escape-game ou faisaient appel à des magiciens. Aujourd’hui, elles font appel aux Drags pour animer leurs événements internes, mais je ne sais pas ce qu’il en sera dans dix ans ». En attendant, Minama Gesté travaille. « Je ne pense pas que nous ayons encore atteint le sommet de la vague et j’aime surfer ».
Incompréhension et statu quo
Si Minima Gesté aime surfer, Arthur craint la douche froide. Il a d’ailleurs longtemps hésité à faire du Drag sa profession. Ingénieur et responsable européen d’un logiciel en colorimétrie, il tente d’abord de concilier les deux univers. Celui d’un CSP+ au sein d’une multinationale le jour et celui de Minima Gesté le soir. À cette époque, rien ne filtre dans son entreprise. « Mes collègues étaient des cinquantenaires. Ils parlaient de leurs enfants ou de bricolage. Deux occupations très éloignées des miennes. Je ne faisais donc pas mention du Drag au travail. » Tous ses jours de congés sont consacrés à Minima Gesté. Lorsque, fin 2021, la demande s’accélère, il parle à son chef et demande un mi-temps. « Il m’a répondu, « je ne comprends pas, mais j’accepte ». Je n’avais pas envie de lui expliquer. Je voulais juste un statu quo pour conserver une position stable ». Quelques mois plus tard, il quitte son entreprise. « Minima Gesté, c’est comme un gaz, cela occupe tout l’espace que tu lui donnes. En voulant concilier les deux, je faisais tout à moitié. En bon ingénieur, j’ai dû faire une quinzaine de tableurs Excel pour peser le pour et le contre avant de prendre ma décision. J’avais déjà trois bookings hebdomadaires, c’est-à-dire une rentrée d’argent stable. Alors je me suis lancé ».
Pinkwashing et homophobie
Les bookings affluent et les entreprises en redemandent. À ce jour, Minima Gesté est l’une des rares Drags à être host en entreprises et ses bingos sont particulièrement plébiscités. En 2023, elle est intervenue au sein de groupes tels que Leboncoin, Accor, Webedia, Prose, Moët Hennessy, Amazon, Google ou encore Warner Bros. Si on lui oppose de participer au pinkwashing ambiant en servant de caution queer aux multinationales, elle explique : « Je travaille dans les entreprises parce que j’y ai toujours travaillé. J’affiche sur les réseaux mes collaborations parce que la présence de Minima Gesté dans de grandes entreprises n’est pas neutre. À mon niveau, j’agis ». Cependant, tout n’est pas toujours rose. Lors d’un call avec une boite de consulting – signataire de la charte de l’Autre Cercle – on lui fait comprendre que le conseil d’administration la juge « un peu trop pédé ». « À 9h du matin, j’ai fait face à une homophobie crasse. Je n’ai bien sûr pas travaillé avec eux. Mais si, un jour, ils reviennent vers moi, alors, c’est certain, j’irai ! Il faut bien comprendre que les gens des conseils d’administration ne viennent pas aux événements internes. Je parle à des salarié·es qui savent que leurs entreprises ne sont pas parfaites, mais qui, justement, ont envie de faire bouger les choses ». Minima Gesté ne se prive jamais de parsemer ses animations de références. « Par exemple, dans un bingo, à chaque fois que je tire la boule 69, je pose la question « que s’est-il passé le 28 juin 1969 à New York ? ». Quatre-vingts pour cent des gens sont incapables de répondre. Au début, je m’en offusquais, maintenant j’explique. Cela m’oblige à sortir de ma bulle queer ». Autre thématique pour laquelle elle s’engage, le VIH et le Sida. « Quand je suis en Drag, les gens me regardent. Ma voix doit servir à porter des causes qui me sont chères ». Chaque année avec d’autres Drags, elle organise le Sidragtion, une récolte de fonds dans les rues de Paris à destination du Sidaction.