L’identité de genre à spécifier dans les formulaires en ligne n’a pas de valeur légale. Pour les entreprises, est-elle encore nécessaire, modifiable, obsolète ? Aperçu des contraintes et choix auxquels faire face.
Par Aimée Le Goff
Le 9 janvier 2025, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a statué sur le cas de SNCF Voyageurs. L’association de défense des droits LGBTQI+ Mousse avait initialement saisi la Cnil (Commission nationale de l’informatique et des libertés) pour s’opposer à la collecte de la civilité des personnes dans les formulaires en ligne de la société de transports. Dans son arrêt début janvier, la CJUE lui a donné raison en décrétant que l’identité de genre « n’est pas une donnée nécessaire pour l’achat d’un titre de transport ». Aux yeux de la loi française, l’utilisation de l’appellation « monsieur » ou « madame » ne constitue pas non plus un élément d’état-civil. En entreprise, faut-il donc la supprimer, l’ajuster ou la conserver selon certaines circonstances ?
Ajout d’une troisième mention
Le spécialiste de la vente entre particuliers Le Bon Coin, propriété du groupe Adevinta, a fait le choix de conserver la mention de genre pour ses comptes utilisateurs, mais en ajoutant une troisième case en plus des options « madame » et « monsieur ». « Après discussion avec d’autres marketplace du groupe, dont certaines installées en Allemagne, et qui ont plus d’avance sur ce sujet, nous avons ajouté une case « non spécifié », indique Eve Chaumond, product owner en charge de l’opération. C’est une initiative qui s’inscrit plus largement dans notre politique de D&I, avec d’autres décisions. Toutes nos communications par exemple sont déjà non genrées. Pour la civilité, nous hésitions à nommer cette troisième mention ‘‘non genré’’ ou ‘‘autre’’. Nous avons lancé une concertation, sollicité les ERG et fait appel à notre creative writer pour présenter nos fonctionnalités. Après un brainstorming, nous avons finalement opté pour la mention « non spécifié » qui nous a semblé plus qualitative et plus méliorative ». L’ajout permet de répondre aux besoins des personnes qui ne souhaitent pas donner leur civilité, ou qui ne se reconnaissent dans aucune des deux autres mentions.
Vérification d’identité et besoins de ciblage
Une petite subtilité est à préciser, poursuit Eve Chaumond : « À l’inscription, on ne demande pas la civilité de nos utilisateur·ices qui ont un compte particulier. Mais iels peuvent y accéder et renseigner l’information en accédant aux paramètres de leur compte. En revanche, pour les comptes professionnels, nous devons la demander ». Pourquoi faire la distinction entre les deux types de comptes ? « Nous avons besoin de davantage d’informations pour les comptes pro car les parcours de création de ces types de comptes sont plus longs que pour les particuliers, et des vérifications supplémentaires sont nécessaires pour confirmer leur identité ». L’identité professionnelle des comptes utilisateurs ferait l’objet de davantage de vérifications en raison du DSA (Digital service Act), un règlement européen équivalent au RGPD mais adapté aux marketplace et autres sites de vente en ligne. L’objectif de cette réglementation ? La lutte contre les trolls. Un autre motif était à prendre en compte pour ne pas faire complètement disparaître la mention de genre, précise Eve Chaumond : « Historiquement, la civilité est une information requise par d’autres services, chez les publicitaires par exemple, pour permettre un ciblage plus pointu ».
Dans le service public, des changements ont aussi été opérés ces dernières années. En 2022, la Direction générale des finances publiques (DGFIP) a ainsi demandé à ses agents de ne plus s’adresser aux contribuables en utilisant leur civilité. Les courriers des impôts ne comprennent donc plus les mentions « madame » ou « monsieur » en tête de page.
Les vieux systèmes informatiques, freins au changement
Dans d’autres secteurs, des complications persistent. Yann, membre fondateur de l’association Fransgenre, a rencontré des difficultés avec sa banque lors de ses démarches de transition administrative. « Je suis toujours en train de me battre pour que l’établissement change mon titre de civilité. J’ai menacé de saisir le Défenseur des droits, ce qui pourrait faire bouger les choses. Ma conseillère était très gênée et a fait remonter le dossier jusqu’au siège. Il semblerait que le système informatique pose problème pour effectuer le changement ». Même cas de figure chez Ernest, dont la banque n’a pour le moment pas accepté d’effectuer le changement. « J’avais beau dire que la mention de genre ne fait pas partie de l’état civil, on me répondait que le logiciel empêchait la modification ».
Le changement peut effectivement être complexe selon la configuration informatique. « Tout dépend de l’âge et de la construction du système, indique Arnaud Dars, engineering director chez Le Bon coin. Il ne suffit pas seulement de faire la modification sur la page web. Il faut aussi faire le changement partout où cette information est stockée et diffusée, ce qui implique la totalité du système informatique. Plus le système est ancien, plus l’information est stockée de manière désordonnée, plus elle est coûteuse à changer. Dans notre cas, l’information peut être diffusée dans une dizaine de bases de données pour différents usages. Nous avons la chance d’avoir des informations centralisées grâce à un système assez moderne, donc c’est plus facile ».
Impact à évaluer
En cas de modification ou de suppression, l’impact sur les autres fonctionnalités du service et sur les équipes CRM (Customer Relationship Management, ou Gestion Relation Client en français) doit aussi être évalué pour éviter les bugs.
Le changement peut donc prendre du temps, et n’est pas sans rappeler d’autres combats. En 2012, la mention « mademoiselle » disparaissait progressivement des formulaires administratifs suite à la diffusion d’une circulaire du Premier ministre, pour ne plus imposer aux femmes de préciser leur statut marital. Si cette distinction n’est pas officiellement interdite aux services marketing d’une entreprise, elle reste perçue comme discriminante par les associations féministes.