En 2020 Marie Cau est devenue maire de la petite commune de Tilloy-lez-Marchienne (Hauts de France). Une victoire pas comme les autres puisque son élection a marqué un tournant historique en France : elle est devenue la première maire transgenre du pays. Patiente mais déterminée, elle nous livre son constat sur le monde de l’entreprise, l’état de la transphobie en France et les mesures à prendre pour faire avancer les mentalités.
Par Sarah Dahan
Vous avez vécu plusieurs vies professionnelles avant d’être maire. Vous avez exercé différents métiers dans l’informatique et le conseil : pensez-vous que vous n’auriez pas pu faire votre transition dans ces différents environnements ?
Tout à fait, j’ai observé de la transphobie et de l’homophobie dans le milieu professionnel. Lorsque je travaillais pour une grande société dans le Nord, une personne trans nous a rejoint. Une personne s’en est rendue compte et s’est dépêchée de le dire à tout le monde. Et tout le monde a été très énervé, surexcité, en colère contre cette personne, comme si c’était eux qui avaient été agressés, et là je me suis dit que c’était grave, on se serait cru au Moyen-Age, ils étaient prêts à la brûler en place publique. A tel point que la personne a dû quitter l’entreprise alors qu’elle était experte et compétente. Aujourd’hui, certaines grandes entreprises se revendiquent LGBTQI+ friendly et font un effort pour favoriser le recrutement de personnes LGBTQI+, mais elles sont encore minoritaires. Dans beaucoup de milieux, la transidentité n’est pas comprise et est l’objet d’un rejet.
De quelle façon est-il possible de faire avancer la tolérance? La formation ? La pédagogie ?
L’éducation. Il y a une véritable responsabilité des DRH. La loi leur impose en effet de veiller au bien être de leurs employé·es. Des outils législatifs existent, mais aujourd’hui même les DRH ne les comprennent pas et n’y sont pas formé·es. Il y a un véritable effort à faire pour intégrer cette problématique dans l’entreprise.
Vous même avez tardé avant de faire votre transition. Comment l’expliquez-vous?
Je ne pouvais pas prendre de risques, j’avais des enfants à charge, une maison à payer. J’ai donc mené une double vie. Dans mon précédent environnement de travail, il était dangereux de faire ma transition tout en gardant mon emploi.
Même avec votre expertise et votre expérience ?
Oui. Vous savez l’entreprise est un lieu de discrimination. Vous allez dans une entreprise, bizarrement il n’y a personne au-dessus de 45 ans. Il y a énormément de discrimination envers les seniors. Nous sommes dans une société discriminante. La plus grande discrimination reste celle liée à l’âge mais il faut lutter contre toutes les formes de discrimination.
Quel a été le déclic pour vous présenter à la mairie ?
J’ai 57 ans maintenant, ma carrière professionnelle est plutôt derrière moi, j’avais envie de vivre autre chose donc je me suis dit : pourquoi pas. C’était important d’avoir une nouvelle expérience de vie, un nouveau challenge.
Quel a été votre accueil de la part des élus et des administrés ?
Si j’avais milité en disant que j’étais une femme trans, je pense que je n’aurais pas été élue.
Pouvez-vous développer cela ?
A partir du moment où vous vous mettez dans une normalité, vous êtes une personne comme les autres et si vous vous démarquez en disant « je suis une personne trans » vous créez un clivage. Pour les personnes qui souhaitent faire de la politique, je pense qu’il est important de ne pas se coller une étiquette. Me concernant, les médias me présentent comme une femme transgenre, car c’est un fait historique, c’est la première fois que nous avons une maire transgenre en France. Pourtant, je n’ai pas fait campagne autour de ma transidentité. Je ne suis pas militante, je ne revendique pas ma transidentité en permanence, ce qui importait c’était mon projet pour le village. Cela m’a permis de gagner l’élection.
De quelle façon est-il possible de sensibiliser la population aux discriminations LGBTQI+?
C’est une diffusion par capillarité, au niveau des écoles, des institutions, des organisations professionnelles. C’est un travail de longue haleine, ce n’est pas un sprint mais un marathon. Il faut diffuser, diffuser, diffuser. Il y a des associations qui font déjà un important travail. Le Gouvernement est à l’écoute des associations. Nous sentons tout de même une réelle volonté de la part de l’Etat. Mais il faut encore je pense 10-15 ans pour que ça soit parfaitement intégré. Les gens ne s’intéressent qu’aux sujets qui les concernent, on ne peut pas leur en vouloir. Il faut éduquer. On ne peut pas tout savoir sur tout le monde, il faut être tolérant envers les gens qui ne savent pas. Il faut s’en faire des allié·es et ne pas les prendre à rebrousse poils.
La médiatisation du sujet, la présence de rôle modèle, permettent-ils d’aller vers davantage de sensibilisation de la part du grand public?
La médiatisation c’est important, je pense notamment au débat avec Dora Moutot sur France 2, enfin le pseudo débat, on m’avait dit de ne pas y aller. Aujourd’hui les gens ont vu où était la haine, je pense que c’était important de le faire, ça a été une victoire morale pour moi. Après il y a aussi l’action en justice, il y a des lois qu’il faut faire respecter. Aujourd’hui, il y a des gens qui continuent à déverser de fausses informations sur des personnes trans pour attiser la haine. Nous sommes des personnes qui, comme tous et toutes, souhaitons vivre, aimer, travailler, et avoir les mêmes droits que tout le monde.
Je m’opposerai toujours aux attaques violentes. Je veux donner une image de bienveillance et d’intelligence. Si vous êtes violent, on ne vous écoute plus.
De par votre victoire, vous avez ouvert la voie à des personnes trans qui voudraient se lancer en politique, c’est quelque chose qui vous importe ?
Je montre un chemin, j’ai des personnes qui m’ont dit « Vous m’avez donné le courage, je vais me présenter également ». J’ai reçu 2-3 messages en ce sens, ce n’est pas un raz-de-marée. Je pense que cela peut motiver aussi, certaines pourront se dire « Si elle l’a fait, alors pourquoi pas moi? ».