Avant la discrimination au travail, la discrimination en milieu scolaire persiste pour les personnes LGBTQI+. Que fait l’école pour informer correctement les élèves et leurs enseignant·es sur les questions d’identité de genre et d’orientation sexuelle ? Décryptage des mesures prises pour combattre les préjugés.
Par Aimée Le Goff
Pour faire une place aux questions d’identité de genre et d’orientation affective à l’école, il aura fallu attendre longtemps. Si l’Éducation nationale s’engage désormais pour faire reculer les LGBTphobies, un bref retour en arrière montre pourquoi l’inclusion scolaire des personnes LGBTQI+ reste un objet de luttes. En 2013, un rapport de Michel Techeynné, professeur missionné par Vincent Peillon, alors ministre de l’Éducation nationale, déplore que sur 12,1 millions d’élèves – premier et second degré confondus – au moins 730 000 « sont ou seront potentiellement directement concernés par les LGBTphobies au cours de leur scolarité ».
Une nouvelle « prise en compte positive »
Six ans plus tard, un moment de bascule ouvre la voie d’une prise de conscience. En janvier 2019, l’Éducation nationale lance la campagne Tous égaux, tous alliés, pour lutter contre la transphobie et l’homophobie dans l’enseignement primaire et secondaire. En plus de supports visuels et d’un espace numérique dédié, un guide d’accompagnement est mis en place pour tous les établissements. Il rappelle la définition d’un agissement LGBTphobe et explique « comment bâtir une politique de prévention », « accompagner les victimes » et apporter « des réponses éducatives proportionnées ». En parallèle, un plan national d’actions pour l’égalité, contre la haine et les discriminations anti-LGBT+ 2020-2023 est monté par la DILCRAH, une délégation interministérielle dédiée en partie à ces luttes.
Vincent Patigniez, enseignant et documentaliste dans un collège de Saran (Loiret), membre de l’Observatoire académique de lutte contre les LGBT-phobies, salue ces initiatives. « Il y a une avancée dans l’accompagnement des enseignant·es. Je remarque aussi de plus en plus de demandes sur ces sujets, notamment de la part de mes collègues, qui ne veulent pas commettre d’impairs ou qui se demandent comment éviter de développer des micro-violences ». Des questions pas vraiment abordées en cursus universitaire, avant d’enseigner.
Multiplier les ressources pédagogiques
La mobilisation de personnes ressources – délégués, CPE, référents égalité filles-garçons – est aussi encouragée, ainsi que la mise en place d’actions éducatives, notamment à l’occasion de la Journée internationale de lutte contre l’homophobie et la transphobie, le 17 mai. « C’est un travail intéressant qui peut faire se croiser beaucoup de matières et se poursuivre toute l’année », souligne Vincent Patigniez.
Le site du ministère recense par ailleurs des textes sur lesquels s’appuyer, dont une circulaire diffusée en 2018, qui rappelle que l’éducation à la sexualité « se fonde sur les valeurs humanistes de liberté, d’égalité et de tolérance, de respect de soi et d’autrui » et qui recommande des temps d’échange avec des parents. « Pour les élèves, on peut aussi mettre en place une bibliothèque de la diversité, avec des documents inclusifs, ajoute Vincent Patigniez. Cela permet à tout le monde de s’identifier, de sortir des lectures stéréotypées et de questionner les standards de genre. Dans mon établissement, au CDI, nous avons énormément d’emprunts ».
Une circulaire contre la transphobie
Un nouveau pas en avant est fait fin 2021, avec la diffusion de la circulaire Pour une meilleure prise en compte des questions relatives à l’identité de genre en milieu scolaire, signée par Jean-Michel Blanquer. Dans ce texte, le ministère reconnaît que les réponses apportées aux demandes d’enfants qui se questionnent sur leur identité de genre « sont disparates et souvent improvisées », et qu’elles « peuvent créer des situations préjudiciables au bien-être et donc à la réussite scolaire des élèves concernés ».
Utilisation des espaces d’intimité, prénom d’usage, normes vestimentaires…Des réponses concrètes sur la gestion du quotidien, telles que la mise en place d’horaires aménagés pour l’utilisation des vestiaires, ou l’autorisation d’utiliser les toilettes conformes à son identité de genre, sont énoncées pour la première fois noir sur blanc. « Cette circulaire est très claire et répond à beaucoup de questions », estime Vincent Patigniez. Un point à remettre en cause ? « L’autorisation des représentants légaux exigée pour le changement de prénom de l’élève dans l’établissement (hors documents officiels relevant de l’état civil, ndlr). Cela peut constituer un frein car la communication avec les parents n’est pas facile pour tout le monde ». Sur ce point, la circulaire préconise « d’instaurer un dialogue » avec la famille.
Une réalité encore difficile
Malgré ces efforts, la réalité vécue par les enfants et leurs parents est trop souvent cruelle. Chrystelle Vincent, mère de Lillie, petite fille transgenre de 10 ans, a dû faire face à la maltraitance scolaire lorsque son enfant a affirmé son identité : « Lillie a fait sa transition lors du premier confinement de 2020. Avant la rentrée de septembre, nous avons tenu à prévenir l’école, qui a organisé une réunion pour m’expliquer que mon enfant devait être réparé. Personne n’a pris en compte les recommandations de la DILCRAH. L’inspection académique a ensuite imposé à l’institutrice et à l’infirmière scolaire d’évaluer, durant plusieurs heures, le degré de souffrance de Lillie lorsqu’on l’appelle par son ancien prénom en classe. Ce violent outing a engendré un terrible mal-être ». Il faudra un appel au journal local, puis un effet de médiatisation boule de neige, pour que l’inspecteur académique, par voie de presse, autorise l’équipe éducative à genrer Lillie correctement.
Chrystelle Vincent connaît la circulaire diffusée fin 2021. « Elle a été mise en route quelques mois après le suicide d’une adolescente transgenre à Lille, ce qui a sûrement été un déclencheur. Je pense qu’il y a eu une demande de clarification de la part des familles mais aussi du corps enseignant, qui peut se sentir désemparé sans texte cadre ». Encore long, le chemin vers l’inclusion ? Pour Vincent Patigniez, un travail de sensibilisation reste à faire, « notamment auprès des enseignant·es stagiaires, pour une prise en compte de ces sujets le plus tôt possible ». Pour observer les effets significatifs de cette mobilisation, à l’école puis dans le monde de l’entreprise, il faudra donc attendre encore un peu.