LGBT et religion en entreprise : le double tabou

LGBT et religion en entreprise : le double tabou

S’il n’est pas toujours simple pour une personne LGBTQI+ d’être visible au sein de son organisation, il est plus difficile encore d’être visible lorsque l’on est LGBTQI + et croyant·e. Cette double diversité est une intersectionnalité particulièrement mal appréhendée en entreprise. 

Par Chloé Consigny

« Je pense que la plupart des gens ont une idée préconçue sur le fait qu’on ne peut être en même temps homosexuel et catholique pratiquant », explique Ghislain. Il ajoute : « mon coming out au sein d’une grande banque du CAC 40 a surpris certain·es de mes collègues. Cependant, à partir du moment où je ne fais pas de prosélytisme au sein de mon entreprise (même si je ne cache pas ma Foi), je ne l’ai pas ressenti comme une difficulté supplémentaire. Cela n’a malheureusement pas été le cas dans mon entourage personnel où la religion est omniprésente et où mon coming out a été très mal vécu, du fait même de la religion catholique. » En France, placer côte à côte religion et orientation affective ou identité de genre crée instantanément un malaise. 

Déconnexion cognitive

Pour Jamal Ouazzani, créateur de jins, Podcast sur l’amour, la sexualité, le genre pour les Arabes et/ou musulman·es et auteur du livre « Amour, révolutionner l’amour grâce à la sagesse arabe et ou musulmane », le sujet devient plus complexe encore lorsqu’il s’agit d’intersectionnalité LGBTQI + et de religion musulmane. « Il faut bien avoir à l’esprit que les stéréotypes et les biais de représentation sont féroces. Si une femme lesbienne, d’origine maghrébine, visible au sein de son entreprise, explique qu’elle fait le ramadan, il y a quelque chose d’absolument inaudible pour la plupart des cerveaux. Ces deux informations mises ensemble sèment une déconnexion cognitive totale ». Une incompréhension qui mène alors très souvent au rejet : « il n’est pas rare que cette femme soit qualifiée de personne radicalisée par ses collègues », déplore Jamal Ouazzani

Le cabinet de conseil et de formation Convivencia, qui intervient dans le domaine des enjeux liés à la laïcité et à la gestion du fait religieux au travail a récemment été appelé à la rescousse au sein d’une école, où les formations aux violences sexuelles et sexistes (VSS) étaient sous le joug de la frange la plus radicale de parents catholiques et musulmans. « Les gens confondent souvent opinion et religion », explique Farah Maiza, Associée, au sien du cabinet Convivencia. Elle ajoute : « de même qu’ils confondent opinion et orientation affective. Dans nos sessions de sensibilisation, nous nous employons à opérer une distinction entre ce qui relève de l’opinion et qui peut être puni par la loi de la connaissance du fait religieux ».

Ce que dit la loi

En France, la laïcité est un principe constitutionnel qui implique une séparation stricte entre l’État et la religion. Cette approche se traduit par une neutralité de l’État et des restrictions sur l’expression religieuse dans l’espace public. Mais qu’en est-il au sein de l’entreprise ? La Cour de cassation a établi que « le principe de laïcité instauré par l’article 1er de la Constitution n’est pas applicable aux salariés des employeurs de droit privé qui ne gèrent pas un service public ». En ce sens, une entreprise privée qui n’exerce pas de mission de service public n’entre pas dans le champ de la laïcité. « Il faut bien avoir à l’esprit que le droit encadre très peu le fait religieux en entreprise. Les entreprises se doivent donc de déterminer leurs propres règles », explique Lucie Roche, directrice de Convivencia. Si l’entreprise doit respecter la liberté religieuse de l’ensemble de ses interlocuteurs (clients, salariés et fournisseurs), quelques textes de loi permettent cependant aux entreprises de poser un cadre. Ainsi, la loi du 8 août 2016 introduit la possibilité pour les employeurs d’inclure une clause de neutralité dans le règlement intérieur de l’entreprise. Cette clause peut limiter l’expression des convictions personnelles, y compris religieuses, des salarié·es, mais elle doit être justifiée et proportionnée. Dans le même temps, le Code du travail interdit toute forme de discrimination fondée sur les convictions religieuses, que ce soit lors du recrutement, de la formation, de la rémunération ou de la rupture du contrat de travail. 

Sensibiliser, adresser un message clair

Pour les experts de la question, aborder le fait religieux en entreprise nécessite en premier lieu de prendre position. « Ces questions nécessitent de poser un cadre managérial. Si la position de l’entreprise sur le fait religieux n’est pas claire, cela ne peut que mal se passer », constate Farah Maiza. Le niveau zéro est donc de commencer par connaître la position de l’entreprise. Ensuite, il s’agit de sensibiliser à l’interne. De la même façon que l’approche des diversités LGBTQI +, l’inclusion des personnes croyantes se fait par apports de connaissances. Ensuite, il faut s’attaquer à l’intersectionnalité. Là encore, il s’agit d’expliquer et de faire preuve de pédagogie, afin d’embarquer le plus grand nombre. « Pour une personne Queer et musulmane, la difficulté reste l’absence de représentations. Pourtant, il existe certaines ressources qui peuvent permettre aux personnes concernées d’apaiser leur rapport à leur intersectionnalité », détaille Jamal Ouazzani. C’est ce que permet notamment la lecture d’ouvrages et l’écoute de podcast. À titre d’exemple, l’ouvrage de Jamal Ouazzani, Amour a été récemment commandé par une entreprise en guise de cadeaux à destination des salarié·es. « Un moyen efficace de faire passer un message de manière moins frontale », constate l’auteur. 

Rôles modèles

Pour arriver à une inclusion prenant en compte l’intersectionnalité, religion et orientation affective ou identité de genre, le chemin semble encore extrêmement long et particulièrement au sein des entreprises privées qui souhaitent se tenir éloignées des questions religieuses. Les choses évoluent avec le développement des rôles modèles. « Il faut bien avoir à l’esprit qu’une personne croyante et LGBTQI + visible au sein d’une organisation créée un précédent. Cela envoie un message fort à destination de l’ensemble des collaborateurs et des collaboratrices dans l’entreprise : celui d’une tolérance zéro envers les discriminations. Néanmoins, il est également essentiel de ne pas instaurer de hiérarchie dans l’acceptation, c’est-à-dire qu’un homme blanc catholique et homosexuel serait plus « acceptable » qu’une personne transgenre et musulmane », conclut Jamal Ouazzani. 

Trois ressources pour aller plus loin :