Mixity, start-up Tech For Good, a réalisé une étude sur les tendances en matière de diversité et d’inclusion auprès des entreprises qu’elle a accompagnées en 2021. Résultat : même si l’inclusivité gagne du terrain, le bien-être de la communauté LGBTQ+ n’est pas encore une priorité. Sandrine Charpentier, CEO de Mixity nous explique pourquoi il y a encore des progrès à faire.
Par Léa Taïeb
Concernant l’inclusion des personnes LGBTQ+ en entreprise, quels sont les principaux enseignements de l’étude que vous avez menée ?
En accompagnant nos clients comme en réalisant cette étude, nous avons constaté que les entreprises étaient jusqu’ici particulièrement engagées sur les sujets d’égalité femme-homme ou de handicap. Moins sur les questions liées à l’orientation sexuelle et à l’identité de genre. Seules 37% des entreprises évaluées mènent une politique active en faveur de l’inclusion des personnes LGBTQ+ et 35% condamnent les attitudes homophobes et transphobes dans un document formalisé en interne. Ce sont surtout les grands groupes internationaux qui montrent l’exemple, tandis que certaines PME et ETI peinent à prendre conscience que l’orientation sexuelle et l’identité de genre ne concernent pas uniquement l’intime, mais aussi le bien-être des employé.e.s au travail.
Est ce que certains secteurs sont plus en avance que d’autres ?
Ces derniers mois, plusieurs entreprises du monde des médias, comme Vivendi par exemple, ont pris conscience que leur recrutement comme leurs contenus se devaient de représenter la société. Même chose pour les entreprises de la Tech qui ont mis en place de nombreuses actions (mise en avant de rôles modèles, remise en question des processus de recrutement, communication en faveur d’une diversité d’orientations sexuelles et d’identités de genre, personne référente formée) pour valoriser les employé.e.s LGBTQ+ et les protéger des discriminations. Dans des environnements plus traditionnels comme le BTP ou l’industrie, la prise de conscience peut prendre plus de temps et nous avançons avec une politique des petits pas.
On le voit : de plus en plus de grands groupes se mobilisent pour inclure l’ensemble de leurs salarié.e.s. Pour autant, la majorité des entreprises françaises peine à s’engager aux côtés de la communauté LGBTQ+. D’où vient cette incapacité à s’ouvrir ?
Même si de plus en plus de responsables RH sont sensibilisés, certaines directions générales sous-estiment l’utilité d’une politique diversité et inclusion (qui aborde les questions d’orientation sexuelle et d’identité de genre). En effet, elles n’ont pas encore identifié le problème. De leur côté, une majorité de salarié.e.s LGBTQ+ ne se sentent pas libres de faire leur coming-out.
Pour garantir l’épanouissement de toutes et tous, nous conseillons aux entreprises qui nous consultent de libérer la parole sur le sujet LGBTQ+, de représenter différentes orientations sexuelles et identités de genre dans leur communication interne et dans les documents à destination des futur.e.s candidat.e.s. C’est aussi en parlant qu’une entreprise s’engage.
Comment inciter les entreprises à mettre en place une politique en faveur de la diversité et de l’inclusion ?
Je considère que c’est à la direction générale d’impulser ce changement, c’est elle qui peut faire évoluer les pratiques. Pour l’inciter à agir, nous insistons sur l’impact de la diversité et de l’inclusion sur les performances sociales et économiques de l’entreprise. Il y a un véritable intérêt “business” à s’engager sincèrement. Par exemple, une entreprise qui permet à ses salarié.e.s LGBTQ+ de s’assumer agit en faveur de leur épanouissement et de leur productivité.
Autre argument : dans le secteur de la Tech, nous assistons aujourd’hui à une véritable guerre des talents. Dans ces conditions, les entreprises se demandent comment faire pour attirer et retenir ce capital humain. Pour répondre à cette problématique, nous conseillons à nos clients de mettre en place une vraie culture d’inclusion, un environnement LGBTQ+ friendly. Puisqu’on sait que 75% des personnes en recherche d’emploi s’intéressent aux actions diversité et inclusion de leur futur employeur.
Orange et Ostrum Asset Management arrivent en première position de votre classement dans leurs catégories respectives (grands comptes/ETI pour la première, PME/start-up pour la seconde), quelles mesures ces deux entreprises ont-elles mises en place pour favoriser l’inclusion des personnes LGBTQ+ ?
Orange a commencé à prendre en compte l’identité de genre des personnes non binaires dans son processus de recrutement et dans ses documents RH. Cette démarche montre aux personnes concernées qu’elles ne sont pas invisibles, qu’elles comptent dans l’entreprise. Dans sa communication interne, le groupe met en avant le parcours de personnes LGBTQ+ pour rappeler que chez Orange, seules les compétences comptent.
Ostrum Asset Management mène une politique volontariste pour l’inclusion des personnes LGBTQ+. L’entreprise comme chacun des membres du Comex soutient le réseau interne LGBT+ du groupe « All Equals » (rattaché à Natixis). Ostrum AM a également intégré les sujets LGBTQ+ au parcours de sensibilisation suivi par l’ensemble de ses collaborateurs.
Selon vous, comment pourraient évoluer les conditions de travail des personnes LGBTQ+ ?
Actuellement, les lignes bougent et la communauté LGBTQ+ est plus visible aussi bien dans l’entreprise que dans les médias. Cependant, la réalité n’est pas si simple. Dans l’entreprise, 22% des employé.e.s ont fait l’expérience ou ont été témoins de LGBTQphobie. Dans la société, les violences homophobes et transphobes sont encore quasi-quotidiennes. Pour lutter contre ces violences et discriminations, les entreprises qui s’engagent doivent servir de modèle et faire la promotion des actions mises en place en donnant des exemples concrets.
Pour relativiser ce constat : aujourd’hui, il est sûrement plus facile d’affirmer son orientation sexuelle ou son identité de genre dans certains environnements professionnels. Nous espérons que les secteurs les plus évolués sur ces sujets vont influencer tous les autres. Et nous observons déjà que de plus en plus d’entreprises prennent conscience qu’il y a un sujet, qu’il y a des actions à mener. Les entreprises qui “prennent conscience” de cette réalité seront celles qui passeront bientôt à l’action. Reste encore à éduquer, sensibiliser pour que les responsables RH comme les directions générales se sentent légitimes pour agir sur ces sujets d’inclusion.