Impossible pour un entrepreneur de déconnecter vie personnelle et vie professionnelle. A 35 ans, Cyril Neves est à la tête des Petits Bidons, une start-up engagée qui commercialise des produits ménagers respectueux de l’environnement via un marketing inclusif. Une création d’entreprise qui fait suite à un long itinéraire personnel de questionnements et de choix. Pour têtu·connect, il revient sur son parcours.
Par Chloé Consigny
L’histoire de Cyril Neves est celle d’un cheminement. Au sortir d’une école de commerce, il fait ses classes au sein des plus grandes entreprises du CAC 40. L’Oréal d’abord, puis Danone, où il officie en qualité de chef de produit et chef de marque. A l’époque, pas question de s’afficher ouvertement gay. « J’avais beaucoup de mal à me projeter et je n’étais pas tout à fait au clair avec ma situation personnelle. Mon coming out a donc tardé. Chez l’Oréal, comme chez Danone, je n’étais pas très ouvert à parler de ma vie personnelle. Je me contentais d’échanger des banalités », se souvient-il.
Cheminement personnel et changement de vie professionnelle
Durant sept années, il passe sous silence son orientation sexuelle. « A l’époque, dans ces entreprises, il n’existait pas à ma connaissance de rôles modèles qui auraient pu m’inspirer. Chez l’Oréal, l’ambiance était finalement très différente selon les divisions et les pays. Mon équipe était très hétéronormée ». Même s’il concède qu’il n’a jamais eu peur d’un outing ni de son impact sur ses relations au travail, il n’était pas alors prêt à s’afficher ouvertement au sein de l’entreprise. La situation se corse davantage lorsqu’il rejoint le groupe Danone. « J’ai senti la structure moins ouverte. Finalement, si mon chemin personnel avait été fait, je pense que j’aurais pris la parole chez l’Oréal. Je ne suis, en revanche, pas du tout certain que je l’aurais fait au sein d’une entreprise comme Danone », analyse-t-il avec le recul. En 2015, il rencontre la bonne personne et se sent alors prêt à s’affirmer tel qu’il est. A 30 ans, il décide de quitter la multinationale alimentaire « J’étais arrivé en fin de parcours chez Danone et je ne me sentais plus en phase avec les valeurs de l’entreprise et les missions qui m’étaient confiées. J’avais alors envie de changer radicalement de parcours, de faire quelque chose avec du sens, en phase avec la personne que j’étais devenue ». Une évidence qui le mène à l’entrepreneuriat. La même année, il lance Les Petits Bidons, entreprise de produits ménagers écologiques à la fabrication naturelle et française.
Triple peine et marketing inclusif
Son crédo : proposer des détergents différents. Loin de ceux que l’on trouve en rayons des supermarchés et qui ne comportent aucune mention des formules de fabrications. Au lancement, il tombe des nues : « on a plusieurs fois ironisé sur le fait que j’étais un homme s’intéressant à des produits ménagers ». Une petite phrase qui va le renforcer dans ses convictions. « Il faut bien avoir à l’esprit que lorsque l’on parle de produits ménagers c’est la triple peine pour les femmes. D’une part, ce sont elles qui, le plus souvent au sein du foyer, prennent en charge les tâches ménagères. D’autre part, ce sont aussi elles qui font les courses. Enfin, elles sont souvent celles qui ont la fibre écologique et qui donc s’intéressent à la composition des produits », précise le fondateur des Petits Bidons. Pas question pour autant de renforcer les stéréotypes en tombant dans l’écueil du marketing genré ne s’adressant qu’exclusivement à des femmes ou des mères de famille. Son marketing se veut inclusif et s’adresse à toutes et à tous. Les codes couleurs sont neutres afin de convenir au plus grand nombre. Pour l’heure, les achats des produits Les Petits Bidons sont majoritairement réalisés par des femmes. « Nous n’avons pas révolutionné le marché, mais petit à petit, nous donnons à voir autre chose que ce qui est proposé en rayon des supermarchés ».
Rainbow team
Les Petits Bidons emploient désormais 12 personnes. Le fondateur porte également ses engagements à l’interne. « J’avais pour ambition de créer une entreprise au sein de laquelle chacune et chacun se sentent libres d’être ce qu’ils sont et de parler de ce qu’ils veulent », se souvient Cyril Neves qui ajoute « m’étant moi-même longtemps autocensuré je souhaitais que chacune et à chacun de mes collaborateurs·trices s’épanouissent dans mon entreprise. Cela passe par des petits riens. Par exemple, le code vestimentaire. Si un collaborateur·trice souhaite venir en tong et en short, il ou elle le peut. Je pense que nous passons suffisamment de temps au travail pour ne pas avoir à y jouer un rôle ». Sur son lieu de travail, il est ouvertement gay et il parle librement de son union. « C’est devenu un non sujet. Je ne fais pas de grandes annonces, je parle simplement librement de mon compagnon ». Une liberté de ton qui infuse au sein des équipes qui au quotidien se retrouvent sans faux semblants. « Je suis assez admiratif de la génération Z qui a une vraie liberté de ton et ose aujourd’hui aborder des sujets en entreprise, qui, à mon époque étaient tabous ».
Des produits à l’image de la société
Au-delà de l’aspect interne, cette inclusivité affirmée influe sur la conception des produits. « Cette liberté de ton, ces échanges nourrissent de manière très forte nos réflexions dans la construction de la marque », constate l’entrepreneur, qui ajoute « finalement la pluralité mon équipe agit comme un garde-fou qui permet de vérifier que tous les produits que nous proposons matchent bien avec l’ensemble des sensibilités. La libération de la parole a ceci de vertueux : elle permet le débat et la création de produits en phase avec les attentes de la société ».