Qu’est-ce qu’un mot réflexe ? Jessica Hollender et Isabelle Pailleau sont respectivement psychopédagogue et psychologue, toutes deux thérapeutes familiale systémique et spécialistes des organisations. Elles officient au sein de La Fabrique à Bonheurs. Pour TÊTU Connect, elles reviennent sur les « mots réflexes » et leurs incidences sur les personnes qui reçoivent ces paroles, notamment à l’occasion d’un coming-out.
Par Jessica Hollender et Isabelle Pailleau – La Fabrique à bonheurs
Qu’est-ce qu’un mot réflexe ?
Selon le dictionnaire, un réflexe est une réponse motrice inconsciente ou involontaire provoquée par une stimulation sensitive ou sensorielle. Un réflexe est aussi une réaction très rapide, anticipant toute réflexion, en présence d’un événement : on parle alors de « réflexe de défense ».
Notre intention n’est pas de déresponsabiliser ceux qui adressent ce type de mots, mais il nous semble nécessaire de faire la différence entre une personne qui emploie consciemment des mots blessants et excluant, puis sort un « Oups, ce n’est pas ça que j’ai voulu dire » et une personne qui n’aura pas encore conscience de l’impact des mots prononcés sur son interlocuteur, par méconnaissance ou maladresse.
Même si les deux situations ont besoin d’être éclairées et éduquées, de comprendre que les mots ont un impact sur celui à qui ils l’adressent, il vaudra mieux diriger son énergie au bon endroit. Avec la première, l’énergie sera essentiellement centrée sur soi-même pour ne pas chercher à convaincre et se protéger alors qu’avec la seconde l’énergie sera dirigée vers l’autre pour accueillir, créer du lien et faire de la pédagogie.
Exemple concret
Nous avons interrogé notre collègue et amie Béatrice sur son coming-out familial et professionnel. Voici ses mots « Je présente une amie à mes parents. Un mois après je reviens et je parle de mon prochain voyage avec cette amie. Ma mère me demande alors « qui est vraiment cette fille pour toi ? ». Je me lève, je vais éteindre la télé et je réponds « Effectivement, c’est plus qu’une amie ». Ce à quoi ma mère répond « Ah ben c’est con, nous n’aurons pas d’autres petits enfants ».
Pour son coming-out professionnel, elle se rappelle avoir d’abord parlé de son ex petit copain, puis, quand l’environnement lui a semblé sécure, elle s’est lancée. Ainsi, lorsque ses collègues lui ont demandé si elle partait en vacances avec son petit copain, elle a répondu « c’est une petite copine ». Cela lui a pris quelques mois à peine pour le dire.
Notre carte du monde peut s’agrandir en venant s’ajuster avec celle des autres. Pour cela, il faudra faire preuve de patience et de pédagogie
Exemple concret de réponses réflexes
Qu’il s’agisse de la réponse réflexe de ses parents ou des collègues, on peut identifier que chacun répond avec sa propre carte du monde, sans intention de blesser tout en le faisant. Si l’on reprend le coming-out familial, la réponse « Mince, nous n’aurons pas de petits-enfants supplémentaires » ou « nous respectons ton choix », même dites avec bienveillance, rendent bien compte du fait que l’autre ne connait pas le sujet. Pour autant, notre carte du monde peut s’agrandir en venant s’ajuster avec celle des autres. Pour cela, il faudra faire preuve de patience et de pédagogie.
Lorsque nous parlons de carte du monde, nous entendons l’ensemble du bagage familial, culturel, éducationnel et personnel de chaque individu. Cela créé un filtre entre l’individu et le réel. Une manière de voir le monde en partant de soi. Échanger avec l’autre permet d’enrichir sa carte et de découvrir d’autres points de vue, d’autres possibles.
Qu’est-ce que ces mots disent de celui qui les prononcent ? Quels effets sur celui qui les entend ?
Ces mots disent bien la méconnaissance de celui qui les prononcent. Ils peuvent aussi dire la peur, les croyances, un bagage éducatif et culturel qu’il est important de réactualiser. Autant pour la génération de nos parents ou grands-parents, certains sujets pouvaient être « aveugles » et leur ignorance « compréhensible », autant pour les nouvelles générations, c’est moins acceptable. Nous avons aujourd’hui des rôles modèles qui portent suffisamment haut les couleurs d’une diversité de genre et d’identité, et ses enjeux, pour avoir conscience du poids des mots.
L’effet sur celui qui les entend peut se ressentir sur une large palette émotionnelle allant de l’irritation à la colère, du découragement à la tristesse. Quoiqu’il en soit il en ressort toujours un sentiment d’incompréhension, voire un ressenti de rejet, pour ce que l’on est et que l’on ne peut pas modifier. Cela participe au renforcement du sentiment « Personne ne pourra jamais comprendre ce que je suis profondément ».
De la même manière que l’on ne choisit pas la couleur de ses yeux ou de sa peau, l’on ne choisit pas son identité de genre.
Pour autant, la palette émotionnelle peut aussi s’élargir d’émotions plus agréables lorsque l’on est soutenu par ses parents, par ses amis, par ses collègues qui prennent notre défense face à des paroles, et répondent à notre place. Le sentiment d’une acceptation totale peut alors s’activer.
A la fin de l’histoire. Béatrice et sa femme Julie ont un petit Simon qui va très bien et fait le bonheur de sa mamie.