C’est une constante assez répandue dans le cerveau humain que celle de focaliser sur les extrêmes. Pourtant, entre les masculinistes qui déplorent une virilité en déclin et les militants pro-féministes, il existe une myriade de masculinités silencieuses. Quelles sont-elles ? Comment ces masculinités se comportent-elles dans la sphère professionnelle ?
Par Chloé Consigny
La scène se passe dans une école maternelle. Une meute de jeunes garçons s’adonne à une démonstration de force. Des coups sont portés. Ils sont accompagnés du jeu favori du moment : le mégenrage. Sous leurs rires, Joseph devient Josette, tandis que Charles devient Charlotte.
L’exclusion de la masculinité fait rire le moqueur et souffrir les victimes, même si aucun ne sait encore pourquoi.
Mise à l’écart et absence de représentations
Si la masculinité hégémonique est considérée comme dominante, c’est parce qu’elle reste à ce jour la plus bruyante. La distinction semble s’opérer dès les premières années de vie en collectivité, comme l’explique Paul, un trentenaire francilien : « Les groupes de mecs, cela n’a jamais été mon truc. Je me souviens qu’à l’école, c’était un peu obligatoire « tu es un garçon, donc tu restes avec les garçons ». Je pense que c’est pour cette raison que je n’ai jamais aimé les sports collectifs ».
En grandissant ces masculinités peinent à trouver leur place, faute de représentations, et particulièrement pour les hétérosexuels qui évoluent en dehors de la communauté Queer. « Quand j’étais petit, j’aurais aimé avoir une référence me permettant de m’identifier au genre masculin », se souvient Adam, un quarantenaire parisien. « On m’a des années durant traité de pédé, alors que je suis hétérosexuel. Durant mon enfance, j’aurais aimé avoir un référent en termes de genre qui me permette de me situer. Quelqu’un qui aurait pu me dire que je n’étais pas un dominant hégémonique et que c’était une bonne nouvelle. Quelqu’un qui confirme que j’étais moi aussi un homme ».
Plus facilement alliés ?
Au fil des années, ces hommes ont noué davantage de relations interpersonnelles avec les femmes et les personnes minorisées. « Je n’ai que des amies. Parce que c’est beaucoup plus facile de dire à une femme qu’on est triste, qu’on ne réussit pas quelque chose, que son couple va mal. Avec un homme, ce genre de discussion est beaucoup plus compliquée. Il y a une bataille d’ego et l’impression permanente d’être jugé et jaugé », explique Paul. Une prédisposition qui peut permettre à ces hommes de devenir alliés des femmes, des minorités et des personnes LGBTQI + « Il est certain que lorsque l’on connaît la marge, que l’on en vient, on est davantage capables de se sentir concernés par les discriminations. Il est également certain que la part des hommes les plus privilégiés échappe à la connaissance d’une partie de l’expérience en société », explique Mélanie Gourarier, Anthropologue, chercheuse au CNRS et autrice de l’ouvrage Alpha mâle aux éditions Seuil.
Trouver sa place en entreprise
Adam a dû apprendre à composer avec cette masculinité hégémonique. Un long travail a été nécessaire. Il a notamment rejoint un groupe de parole réservé aux hommes afin de se confronter à ses peurs. Au travail, il a inventé son chemin. Il est aujourd’hui chef d’entreprise. « Je ne m’imaginais pas dans un grand groupe à devoir faire face à des hommes dominants. La naissance de mon entreprise vient en grande partie de mon incapacité à me positionner par rapport à la meute. Finalement, je constate aujourd’hui que les choses changent. En réunion, je fais régulièrement face à des directeurs de business unit à la masculinité hégémonique. Dans ces moments, je suis armé de la fierté d’avoir créé mon entreprise. J’arrive tel que je suis, c’est-à-dire avec mes chemises à fleurs. Finalement, je me rends compte que cela ne déclenche pas de rejet chez eux. Je dois sans doute faire amende honorable sur ce point. C’est peut-être moi qui me mettais des barrières en imaginant à priori des réactions négatives ».
Aujourd’hui, la valorisation de la masculinité dans la société tend à évoluer. C’est ce qu’explique Daniel Welzer-lang, sociologue et spécialiste de l’identité masculine : « Dans les années 1990, les hommes non virilistes et non machos étaient considérés comme des homosexuels. L’homme violent était alors au pouvoir. Aujourd’hui, le regard “complaisant” que la société portait sur l’homme violent a changé. Il est bien sûr encore présent dans tous les milieux. Néanmoins, je constate que cette catégorie d’hommes n’est plus majoritaire chez les moins de 30 ans où d’autres formes de masculinités s’affirment. Le vrai changement adviendra avec la disparition du genre, probablement dans quelques générations. »
Paul, pour sa part, évolue au sein d’une administration. Au quotidien, il voit poindre un changement : « le travail est à mon sens moins genré qu’auparavant et je suis entouré de plus en plus de cheffes. Bien sûr, il y a toujours des hommes à l’égo surdimensionné qui ne supportent pas d’avoir tort, interrompent les autres sans même savoir de quoi il retourne et sont constamment dans un rapport de force. Je constate néanmoins que ces hommes sont de loin les moins appréciés par les équipes. Tout cela m’amène à penser qu’ils sont en voie de disparition ».
Quatre types de masculinités
Dès 1995, la sociologue australienne Raewyn Connell a théorisé une catégorisation des masculinités dans un ouvrage intitulé : « Masculinités. Enjeux sociaux de l’hégémonie ». Elle distingue quatre types de masculinités. Les masculinités hégémoniques font référence à des caractéristiques de « dominants », selon un archétype de la masculinité patriarcale et s’accompagnent notamment de misogynie, d’homophobie, et de domination violente. Les « masculinités complices » font référence aux individus qui transmettent et reproduisent la représentation dominante qu’est la masculinité hégémonique. Viennent ensuite les « masculinités subordonnées » pour qualifier les hommes qui n’incarnent pas une norme présupposée et attendue de la masculinité. Enfin, les « masculinité marginalisées » renvoient à l’expression de la masculinité d’individus présentant d’autres caractéristiques que celles de la masculinité hégémonique et qui de ce fait, se trouvent en position d’infériorité et de marginalité.
À noter que ces catégorisations ne sont pas destinées à décrire le réel. Elles sont des théorisations qui permettent de comprendre les mécanismes à l’œuvre au sein de la société.