« Les game designers ont une responsabilité éthique et sociale », Mickaël Dell’ova, player experience designer

« Les game designers ont une responsabilité éthique et sociale », Mickaël Dell’ova, player experience designer

Player experience designer dans l’industrie vidéoludique, Mickaël Dell’ova a connu des débuts difficiles en tant que personne neuroatypique et gay. Désormais, il utilise son expérience pour faire bouger les lignes et repenser la diversité dans un milieu à la traîne, armé de sa passion pour le jeu vidéo et de sa jovialité débordante.

Par Etienne Brichet 

« Mon amour pour les jeux vidéo remonte à mon enfance. J’ai grandi dans la dévalorisation au sein d’un milieu social modeste teinté de violences physiques et psychologiques. Mon père était un enfant de la DDASS issu d’une famille d’immigrés italiens. Il était alcoolique et homophobe. Ma mère était une femme très dure. Mes parents me rabaissaient constamment sur le plan physique ou intellectuel. À la maison, il n’y avait pas de livres, mais il y avait des jeux vidéo. Et c’est devenu mon exutoire, ma bulle ». À 39 ans, Mickaël Dell’ova est player experience designer au sein du studio finlandais Remedy Entertainment. Pour lui, les obstacles qu’il a rencontrés dans sa jeunesse alimentent son envie de bouger les lignes au sein d’une industrie en retard sur les questions d’accessibilité, d’inclusion, et de diversité des représentations LGBTQI+. 

« Des profils atypiques comme le mien, il y en a peu dans l’industrie »  

Cela fait maintenant plus de dix ans qu’il connaît l’industrie du jeu vidéo. S’il n’a pas un statut de « vétéran » comme peuvent l’avoir les grands noms du milieu, il souhaite apporter sa pierre à l’édifice. Son métier peut paraître obscur pour le commun des mortels, mais Mickaël le résume assez simplement : « Je fais appel aux connaissances que l’on a des joueurs, que ce soit leur profil psychologique, leur identité, leurs capacités, leurs motivations et leurs attentes, pour concevoir les jeux en intégrant leurs réflexions. La plupart des game designers ne font pas ce travail et restent dans une optique centrée sur eux-mêmes ». Pour lui, les joueurs et joueuses ne forment pas un bloc homogène : « Elles et ils sont motivés par des intérêts intrinsèques à leur personnalité. Certain·es aiment la narration et d’autres l’immersion. Elles et ils ont différentes facettes. Toutes et tous ne souhaitent pas des jeux difficiles et violents.» 

Son intérêt pour le point de vue des gamers vient notamment de ce qu’il perçoit comme un problème systémique dans l’industrie vidéoludique. « Les game designers sont majoritairement des hommes blancs, hétérosexuels et cisgenres. Ils ne connaissent pas leurs utilisateurs, voire les ignorent. C’est en partie pour cela qu’il manque de la diversité dans les idées », constate l’expert. Ce manque d’inclusion, Mickaël le considère comme une grave erreur de la part de l’industrie : « Des profils atypiques comme le mien, il y en a peu dans l’industrie du jeu vidéo. Comme le dit Anthony Babkine de Diversidays, c’est de la diversité que naît l’innovation. Avoir des personnes avec des sensibilités différentes, ça enrichit les réflexions ». Et il est vrai que le parcours de Mickaël est particulièrement atypique… 

« J’ai senti que le feu que j’avais toujours eu en moi, c’était le jeu vidéo »

Au départ, Mickaël ne s’était pas dirigé vers le milieu du jeu vidéo. Enfant, il voulait être magicien pour « changer la réalité » afin d’échapper à un quotidien de désamour et de dévalorisation. Une aspiration qu’il estime avoir retrouvée dans le game design. Mais pour arriver là où il en est aujourd’hui, il a dû prouver à son entourage et à lui-même qu’il était capable de porter à bout de bras ses projets. « J’ai longtemps cru que j’étais bête à cause de mon trouble du déficit de l’attention avec hyperactivité parce que j’avais des lacunes en sciences et en mathématiques. En réalité, j’étais créatif et j’avais une appétence pour la littérature, sauf que ce n’était jamais valorisé », se souvient-il. Après un bac littéraire, Mickaël se dirige vers des études de design graphique qu’il ne parvient pas à finir à cause de son TDAH, ce qui ne l’empêche pas d’obtenir un poste de graphiste et webdesigner pendant dix ans. 

À ses 30 ans, il se lasse et a l’impression de tourner en rond.  « J’ai senti que le feu que j’avais toujours eu en moi, c’était le jeu vidéo. J’ai décidé de retourner à l’école pour faire une licence dans le jeu vidéo à l’université Paul Valéry à Montpellier en passant par une validation d’acquis professionnel, étant donné que je n’avais pas eu mon BTS », raconte le concepteur. À la fin de ses études, il rejoint Ubisoft où il développe son attrait pour l’UX, ou expérience utilisateur. « Selon moi, à partir du moment où l’on doit prendre les joueurs par la main pour tout leur expliquer, on perd l’immersion. J’avais tout ce qu’il fallait pour être UX designer, c’est-à-dire la personne qui va s’appuyer sur les sciences cognitives pour créer des mécaniques intuitives. Il faut réorganiser les informations pour qu’elles soient digestes, et c’est un travail que je faisais déjà tous les jours avec le TDAH », s’amuse-t-il.  

« Trop geek pour être gay, trop gay pour être geek » 

En tant que joueur et player experience designer, Mickaël a pu observer de très près la façon dont sont pensées les représentations LGBTQI+ dans les productions vidéoludiques. Lui qui a souvent eu l’impression d’être « trop geek pour être gay et trop gay pour être geek », constate que les personnes minorisées dans ce milieu ne sont pas prises au sérieux. « Je suis usé par les grosses productions où j’ai souvent pu entendre des horreurs. Dans ce milieu, les mecs gays sont considérés comme des sous-hommes. Quand on sort du cliché dans lequel on nous a enfermé pour taper du poing sur la table et proposer des idées, ça dérange », s’agace le concepteur.

Son envie de créer des mondes virtuels passe avant tout par une vision ouvertement politique qui, même si elle est encouragée depuis quelques années par des initiatives de diversité et d’inclusion dans l’industrie, n’est pas toujours vue d’un bon œil. « Les game designers ont une responsabilité éthique et sociale. Il faut réfléchir à la façon dont on s’adresse aux joueuses et aux joueurs, notamment à travers les représentations LGBTQI+. Sachant que les jeux vidéo touchent principalement les enfants et les adolescent·es, peut-être que mettre en avant des personnages queer peut participer à réduire les propos et actes queerphobes. Nous devons donc réfléchir à ce que nous montrons, surtout si les jeux peuvent être salvateurs pour de jeunes joueurs qui ont connu une enfance similaire à la mienne », souligne Mickaël. 

«  Il faut réfléchir à la façon dont on s’adresse aux joueurs, notamment à travers les représentations LGBTQI+ »

Aujourd’hui, il pense à la suite de sa carrière, loin des gros studios de jeu vidéo qui l’épuisent. Cette année représente un test pour le concepteur qui compte mettre en place un projet qui lui tient à cœur. « J’ai fondé l’EthicALL Game Jam qui aura lieu en fin d’année. C’est un concours de création de jeu vidéo ouvert à toutes et à tous. Le but sera de créer des jeux vidéo en trois jours en intégrant des questions d’inclusion, d’accessibilité, d’empathie et de collaboration », s’enthousiasme Mickaël. Il compte par ailleurs retourner sur les bancs de l’école, mais cette fois-ci en tant que professeur. « Je vais rejoindre l’école Brassart à la rentrée où je vais donner des cours sur le game design en intégrant les neurosciences, l’accessibilité, l’inclusion et les représentations LGBTQI+. Je veux parier sur le futur en transmettant mes connaissances à des étudiants », assure le game designer.

Constamment en train de penser à ce qui vient après, Mickaël aimerait également, à long terme, ouvrir son propre studio de jeu vidéo : « Je veux faire des jeux narratifs, immersifs, qui puissent toucher, éduquer, sensibiliser les joueurs à des sujets de société profonds à travers des approches innovantes en game design. Mais surtout, je compte bien mettre à profit tout ce que j’ai appris, notamment sur ce qu’il ne faut pas faire dans l’industrie. Pour moi, le jeu vidéo est une fenêtre sur le monde qui peut permettre d’imaginer un monde meilleur ».