En mai dernier, Diversidays, association française qui agit pour l’égalité des chances dans la Tech, livrait les résultats de son étude sur la diversité et l’inclusion dans le monde des start-up. Malgré un affichage fort en faveur de l’inclusion et de la diversité, les start-up françaises recrutent encore massivement dans des cercles restreints. Comment inciter les jeunes pousses à recruter et à travailler autrement ? Le point avec Anthony Babkine, fondateur de l’association et Chloé Sebagh, responsable communication et des études.
Par Léa Taïeb
Quelles conclusions tirez-vous de cette étude? Les start-up sont-elles aujourd’hui inclusives ?
Même si de plus en plus de start-up mettent en place des politiques diversité et inclusion, elles sont comme toutes les entreprises, elles peuvent faire beaucoup mieux. Aujourd’hui, 39% des salarié⋅es de start-up interrogé⋅es déclarent avoir été victimes d’une discrimination (sans que l’on connaisse précisément la nature de la discrimination, les discriminations LGBTphobes ne peuvent donc pas être distinguées des autres) à l’occasion d’un parcours de recrutement au sein d’une start-up. D’autres chiffres interpellent également dans cette étude. Une grande majorité de Français.es associent cet écosystème à des valeurs positives comme l’innovation et la performance. Pour autant, seules 20% des personnes actives s’autorisent à postuler dans ce type d’entreprise. C’est ce que l’on appelle une discrimination d’accès : dans ce milieu, un profil-type domine et il correspond encore à celui d’un homme de moins de trente ans issu d’un milieu privilégié et diplômé d’une grande école de commerce. Dans ce contexte, une femme lesbienne, par exemple, peut avoir plus de difficultés à se projeter, à trouver sa place qu’un homme hétérosexuel. Elle pourra plus souvent être la cible de discriminations (en raison de son genre et de son orientation sexuelle). C’est la double, voire la triple peine.
Dans votre étude, on apprend que les PME inspirent plus confiance sur le plan éthique que les start-up. En quoi les start-up ne sont pas à la hauteur de leur réputation ?
Les jeunes entreprises jouent sur l’idée qu’elles innovent aussi bien dans ce qu’elles proposent que dans leur mode de management (en responsabilisant leurs salarié·es ou en généralisant le travail hybride, par exemple). Malgré cette promesse de renouvellement des pratiques managériales (incarnée notamment par la figure du CHO – chief happiness officer), elles peinent à diversifier leurs équipes. Comment expliquer cette uniformité ? En général, les fondateurs s’entourent de personnes évoluant dans le même environnement. Contrairement à ce qu’ils laissent entendre, ils n’évoluent pas dans leur mode de recrutement, pas non plus dans leur management. Ce qui explique pourquoi les PME (48%) sont finalement perçues comme des employeurs plus responsables que les start-up (35%).
Quels conseils donner à une start-up qui n’a pas les moyens de ses ambitions pro-diversité ?
Déjà, commençons par rappeler que c’est une question d’envie et non de moyens purement financiers. En tant qu’entrepreneur⋅e, il faut commencer par se poser des questions : “est-ce que j’ai envie que toutes les personnes qui travaillent dans mon entreprise puissent trouver leur place ?” “Est-ce que j’ai envie de lutter contre les stéréotypes et les discriminations ?” Si la réponse est oui, il est alors possible de mettre en place des actions sans se ruiner, sans avoir besoin de recruter une personne supplémentaire pour gérer ces questions. Une jeune entreprise peut se lancer en imposant des fondamentaux comme l’égalité salariale, en diffusant des offres d’emploi inclusives, en nommant, par exemple, un ou une référent·e sur les sujets LGBTQI+, en donnant de la visibilité à des rôles modèles… Dans un second temps, si la start-up en a les capacités financières, elle peut se doter d’un⋅e responsable diversité et inclusion qui organiserait des moments (de façon plus ou moins informelle) pour libérer la parole, engager le dialogue et dissiper les incompréhensions de chacun⋅e. Dans le même esprit, les responsables RH peuvent mettre en place des formations à destination des managers puis de l’ensemble des salarié⋅es de la structure.
Comment faire pour que le milieu évolue de façon structurelle ? Comment faire bouger les lignes ?
Aujourd’hui, une part croissante des offres d’emploi émane des jeunes entreprises. Or, les start-up peinent à recruter de nouveaux talents. Cette pénurie freine leur développement. Pour se sortir de cette situation, certaines optent pour une nouvelle méthode de sourcing et placent au cœur de leur stratégie leur politique diversité et inclusion. Les nouvelles générations, plus exigeantes que les précédentes, incitent les entreprises à remettre en question leur modèle. D’après notre précédente étude réalisée avec PwC et Occurrence, 95% des jeunes actifs français souhaitent que leur entreprise s’engage davantage pour la diversité et l’inclusion.
Quel peut être le rôle des fonds d’investissement et des autres acteurs qui accompagnent les start-up?
Les fonds d’investissement peuvent jouer un rôle incitatif. Souvent, les investisseurs attendent que les entreprises qu’ils accompagnent progressent en matière de recrutement, de bien-être et de fidélisation des employé⋅es. Pour tenir leurs promesses, les entreprises sont incitées à se fixer des objectifs sur une année (comme une meilleure inclusion des personnes LGBTQI+) et à auditer leur stratégie grâce à des outils comme Mixity. Les fonds d’investissement pourraient, par exemple, leur demander de s’engager dès la signature du pacte d’actionnaires.
Par ailleurs, le ministère de l’Économie et des Finances peut agir en imposant de nouveaux critères pour décider des entreprises qui feront partie du Next40 et de la French Tech 120. Elisabeth Moreno, ancienne ministre déléguée chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, de la Diversité et de l’Égalité des chances, avait par exemple lancé une réflexion autour d’un index diversité et inclusion (qui mesure le niveau d’inclusion d’une entreprise en fonction de cinq critères) pour que les start-up cherchent aussi l’hyper responsabilité, au-delà de l’hyper croissance.
Quels sont les dispositifs déployés par Diversidays pour diversifier le monde start-up ?
Le secteur du numérique est le deuxième secteur qui recrute le plus. Pour autant, la demande de talents n’est pas du tout comblée. Face à ce constat, nous avons mis en place le dispositif DéClics Numériques qui présente les métiers du numérique à des publics sous-représentés dans la Tech, à l’instar des femmes, des personnes en situation de handicap (visible ou non), des personnes issues des quartiers prioritaires de la ville. Ce dispositif permet à des personnes « éloignées » du secteur de la Tech (en raison de leur âge, genre, origine sociale et/ou culturelle, handicap, orientation sexuelle, identité de genre) de comprendre qu’elles ont un rôle à jouer, qu’elles sont à leur place, qu’elles peuvent y trouver un emploi. Nous avons également co-fondé Tech Your Place avec la fondation Mozaïk, un mouvement qui réunit les entreprises de la Tech qui agissent en faveur de plus de diversité et d’inclusion grâce à des programmes de formation, l’échange de bonnes pratiques et un meilleur sourcing des talents.