En France, de plus en plus d’entreprises de la Tech, proches de la culture anglo-saxonne, s'ouvrent à une diversité de profils et de compétences. Pour autant, difficile d’affirmer que les salarié.e.s de ce secteur sont plus respecté.e.s et moins discriminé.e.s qu’ailleurs. On vous explique pourquoi en cinq questions.
Par Léa Taïeb
Qu’est-ce qu’une entreprise inclusive ?
C’est une entreprise qui s’engage sincèrement (pas de pinkwashing) à ce que l’ensemble de ses salarié.e.s – peu importe leur genre, identité de genre, orientation sexuelle, milieu social, couleur de peau – puisse s’épanouir en son sein. Plus concrètement, il s’agit d’une entreprise qui se remet en question et qui met en place des groupes de réflexion, des dispositifs, des moyens pour faciliter l’intégration de toutes les communautés.
“C’est une entreprise qui prend au sérieux l’inclusivité toute l’année et non le temps d’une journée seulement”, observe Elie Sic-Sic, le fondateur de Tell Me The Truffe, une agence de communication positionnée sur les sujets de handicap et de diversité. Et de poursuivre : “Un.e responsable RH ou un.e manager qui comprend que l’orientation sexuelle ou l’identité de genre relève aussi de la vie professionnelle, agit en faveur de l’intégration de toutes et tous. Si une personne n’ose pas dire qu’elle est en couple avec quelqu’un du même sexe, elle ne va pas non plus oser déclarer son conjoint auprès de sa mutuelle. Sa famille sera alors moins bien protégée en termes de santé, ce qui est un droit fondamental”.
En quoi les entreprises de la Tech seraient-elles plus inclusives ?
Commençons par rappeler que ce secteur d’activité est loin d’être homogène. Il est composé de grands groupes américains (des entreprises suivant le modèle des GAFAM) établis depuis des dizaines d’années comme de jeunes pousses. Dans ces conditions, difficile de généraliser.
Les géants de la tech nés à San Francisco – berceau des gender studies et de la lutte LGTQ+ – sont clairement plus avancés sur le terrain de l’inclusion. Leurs employé.e.s sont incités à se regrouper en fonction de leurs intérêts personnels, de leur appartenance et à former des communautés. Cette culture anglo-saxonne se retrouve aussi dans les bureaux français. “Les salarié.e.s en étant plus éduqué.e.s sur les questions d’orientation sexuelle et d’identité de genre sont potentiellement plus ouvert.e.s”, estime Antoine-Benjamin Lequertier, président de LGBTech et salarié chez Facebook.
Dans ce secteur en tension, les boîtes peinent à recruter. Pour élargir leurs viviers de recrutement (et parfois par conviction), certaines mènent des politiques LGBT-friendly. Une stratégie gagnante quand on sait que l’inclusion est un critère qui influence de plus en plus la décision des jeunes diplômé.e.s à rejoindre ou non une entreprise.
Malgré cela, les entrepreneurs du secteur peinent à incarner la société dans laquelle on vit. Déjà, la grande majorité des fondateurs de start-up (de la French Tech ou non) sont des hommes issus du même milieu social, des mêmes écoles d’ingénieurs et de commerce. “Dans cet écosystème, on favorise les cooptations. On recrute les potes de potes et on se retrouve entre personnes qui se ressemblent”, rapporte Antoine Chauffrut, Talent Program Manager chez France Digitale. Et d’ajouter : “le manque de brassage social dissuade la singularité, l’envie de revendiquer son identité LGBTQ+”.
Quelles sont les entreprises qui montrent l’exemple en matière d’inclusion ?
Dans ce secteur, les entreprises qui donnent l’exemple sont surtout des entreprises de la Silicon Valley, dont IBM. Depuis 1984, le groupe veille à ce que l’ensemble de ses salarié.e.s – peu importe leur orientation sexuelle – puisse travailler dans des conditions optimales. “Dès les années 30, l’entreprise s’est engagée à garantir l’égalité des chances et à lutter contre toutes les formes de discriminations. C’est dans notre ADN”, rappelle Jean-Louis Carvès, responsable diversité et inclusion chez IBM.
Chez le géant du numérique, on parle ouvertement d’orientations sexuelles, d’identités de genre et cela dès les premières semaines de recrutement. On dispense régulièrement des formations sur le sujet. On peut compter sur un réseau LGBT mis en place en 2000 en France et dans les années 80 aux États-Unis. On prend des mesures disciplinaires voire on licencie les auteur.e.s de discriminations et de harcèlement LGBTphobes.
Chaque année, à travers une enquête, l’entreprise interroge ses salarié.e.s LGBTQ+ sur leur sentiment d’inclusion au travail. “On a encore progressé”, annonce fièrement Jean-Louis Carvès. Ces bons résultats sont sûrement liés à la mise en avant des rôles modèles, des personnes LGBTQ+ plutôt bien placées dans la hiérarchie qui partagent leur expérience personnelle et prouvent que l’on peut réussir dans cette entreprise en s’assumant pleinement. La mise en place de séminaires pour que les personnes LGBTQ+ se débarrassent de leur syndrome de l’imposteur et développent leur leadership a également pesé dans la balance.
“De plus en plus de talents n’hésitent pas à lâcher des boîtes prestigieuses qu’ils jugent irrespectueuses. C’est un phénomène de masse”, observe Antoine Chauffrut.
Pourquoi les entreprises ont intérêt à se mettre à l’inclusion ?
Dans les GAFAM, les produits et services qui sont conçus s’adressent à des millions voire des milliards de personnes. Comment concevoir un produit qui puisse toucher tout le monde (peu importe son genre, son identité de genre, son orientation sexuelle ou encore son milieu social…) ?
Réponse : l’entreprise peut développer un produit à l’image de la société (et rentabiliser ses investissements en recherche et développement) en incluant un maximum de personnes issues de la diversité. “En excluant les salarié.e.s LGBTQ+, on néglige 10% de la population soit 10% de nos clients”, rappelle Jean-Louis Carvès, responsable diversité et inclusion chez IBM .
Autre problématique liée au secteur de la tech, un secteur particulièrement exigeant : comment faire en sorte que les salarié.e.s d’une entreprise s’investissent corps et âme ?
Réponse : En assurant leur bien-être. Si une entreprise incite les personnes LGBTQ+ à révéler leur véritable identité, à s’assumer pleinement, elle agit positivement sur leur investissement personnel, sur leur productivité. Si un.e salarié.e ne se sent pas intégré.e, cette personne – étant donné la rareté de ses compétences – peut quitter l’entreprise et retrouver un poste dans une entreprise plus accueillante et inclusive. “De plus en plus de talents n’hésitent pas à lâcher des boîtes prestigieuses qu’ils jugent irrespectueuses. C’est un phénomène de masse”, observe Antoine Chauffrut.
Comment faire progresser le secteur de la Tech ?
Alors que les grosses boîtes prennent les devants, les jeunes start-up préfèrent agir sur leur croissance au détriment, parfois, de l’inclusion de leurs salarié.e.s. Comment faire pour que l’ensemble des entreprises de la tech évoluent dans le sens du progrès ? “Une prise de conscience collective est nécessaire”, répond Elie Sic-Sic, le fondateur de Tell Me The Truffe. Selon lui, les boîtes du secteur doivent prendre des engagements communs sur le plan RH. Ensemble, elles doivent signer une charte de bonne conduite. “Dans l’idéal, il faudrait qu’elles publient régulièrement les chiffres de la diversité. Car, on le sait, ce sont les indicateurs qui font évoluer les cultures, qui créent une émulation positive”, conclut-il.