Le 19 mai 2022, têtu•connect a consacré un dîner-débat aux « discriminations ordinaires ». Ces petites phrases ou ces actes du quotidien qui peuvent parfois sembler anodins mais qui portent réellement atteinte à toutes celles et tous ceux qui ne s’inscrivent pas dans une hétéronormativité présupposée. L’occasion de recevoir trois personnes qui par leurs grandes et petites actions s’engagent en faveur d’organisations plus diverses et plus inclusives.
Par Chloé Consigny
Germain Louvet : l’étoile engagée
A 28 ans, Germain Louvet a déjà derrière lui une longue carrière de danseur. Ses premiers pas de danse, il les fait à l’âge de 4 ans. Il rejoint ensuite le très prestigieux Opéra national de Paris, avant d’être, un soir de décembre 2016, sacré danseur étoile. Un parcours fait d’opportunités au cours duquel il a choisi de ne pas prêter attention aux discriminations ordinaires. « Né dans une famille aimante et acceptante, je n’ai pas eu à lutter contre les discriminations de genre au sein de mon cercle familial. Néanmoins, à l’école c’était moins évident. En arrivant au collège, je suis passé du qualificatif « fille » à « pédé ». Tout cela ne m’a pas désorienté de ma passion pour la danse », explique-t-il. Il concède néanmoins avoir rencontré des difficultés à l’adolescence « j’ai eu des années difficiles de remise en question et d’insultes de la part de mes camarades. Même si l’opéra de Paris est plutôt ouvert à l’homosexualité masculine, il n’est pas hermétique à ce que l’on peut entendre dans la société. Finalement c’est à partir du moment où je me suis affirmé, que l’on a arrêté de se moquer de moi », analyse-t-il.
L’opéra national de Paris et la diversité
Aujourd’hui, le danseur étoile n’hésite pas à prendre la parole. « Cette nomination d’étoile m’a donné beaucoup de visibilité. J’ai conscience que nous ne sommes pas tous égaux dans la possibilité de s’exprimer, aussi il me semble important de me saisir de cette parole pour m’exprimer de manière responsable sur les sujets qui me tiennent à cœur. En tant que personne gay, j’ai pensé qu’il était de ma responsabilité de parler publiquement de mon homosexualité pour permettre à un jeune qui s’interroge de comprendre sa masculinité », précise-t-il. Une parole alignée à l’intérieur comme à l’extérieur de l’institution. Si, dans les années 1960 la danseuse Ghislaine Thesmar qualifiait l’opéra national de Paris de « machine à broyer les faibles », Germain concède qu’a l’instar des entreprises, l’opéra doit s’emparer des sujets inclusion et diversité : « Il faut bien avoir à l’esprit que, dans son fonctionnement, l’opéra et les compagnies classiques ont un système presque féodal avec une hiérarchie très stricte. Les personnes qui nous supervisent sont beaucoup plus âgées. Il y a donc un rapport de maître à élève qui subsiste tout au long de notre carrière. Par ailleurs, le corps de ballet n’est absolument pas représentatif de la diversité qui existe au sein de la société. Les choses évoluent et les artistes se mobilisent. Par exemple, le mouvement Black Lives Matter a fait naître un manifeste de la part des artistes. C’est bien là la preuve qu’il est possible de se saisir collectivement des sujets et de les porter sur la place publique », explique-t-il.
Fanchon Mayaudon-Courtel : Les discriminations se cachent aussi dans les moteurs de recherche
A l’instar de Germain Louvet, Fanchon Mayaudon-Courtel a choisi de prendre la parole. Elle l’a fait par la grande porte en mettant à mal le géant Google. Tout commence en 2019 lorsqu’elle constate qu’en tapant le mot « lesbienne » dans le moteur de recherche américain, les premières occurrences sont des contenus pornographiques à destination d’hétérosexuels. « J’étais en colère mais également blessée. Je me suis fourvoyée et étendue sur Twitter », se souvient-elle. L’histoire aurait pu en rester là si le tweet était passé inaperçu, mais quelques jours plus tard, la rédactrice en chef de Numerama la contacte pour un article. Le buzz est immédiat et, en juillet 2021, le référencement change. « J’ai pris la décision de me mettre en avant en sachant très bien que cela pouvait me mettre en risque. L’enjeu était trop important : les femmes lesbiennes ont le droit d’avoir accès à des contenus qui les concernent et non à une réalité définie par des hommes cisgenres dans une société hétéronormative », souligne-t-elle.
Sa prise de parole a permis de changer le référencement en France, mais également dans d’autres pays, à l’instar du Brésil et du Portugal. Le moteur de recherche a même communiqué autour de ce changement d’algorithme. « C’était la première fois que Google communiquait autour d’un changement d’algorithme et qu’il signalait clairement qu’il y allait avoir une intervention humaine sur l’algorithme », précise-t-elle.
« Ce n’est jamais la faute de l’algorithme !»
Fanchon a mené l’ensemble de sa carrière dans la Tech au sein de cabinets de conseils, de start-up et de scale-up. « Je travaille dans l’informatique et je peux vous assurer que ce n’est jamais la faute de l’algorithme ! Il y a toujours une intervention humaine derrière l’algorithme et je pense qu’il est urgent de se questionner sur la manière dont nous traitons et agrégeons nos données et qui reproduisent nos stéréotypes et nos discriminations. C’est un véritable combat », conclut-elle.
Nora el Massioui, l’inventeuse de la « discrimachine »
Psychologue, formatrice et consultante spécialisée dans les oppressions systémiques, Nora el Massioui s’emploie à identifier les discriminations ordinaires, celles qui se cachent parfois dans des recoins insoupçonnés de nos sociétés. En 2013, elle cofonde Zégaux, une association destinée à sensibiliser les plus jeunes à ces discriminations ordinaires. « La création de cette association est partie d’un constat simple : autour de nous, les personnes minorisées étaient en souffrance. Nous avons donc décidé d’ouvrir des espaces de parole et notamment auprès des plus jeunes afin de détricoter les fils de nos nœuds identitaires », précise-t-elle. Mais comment rendre intelligible auprès d’un jeune public des concepts psycho-sociaux parfois abstraits ? Les deux fondatrices ont alors imaginé la « discrimachine ». Une frise qui donne à voir la façon dont s’exercent ces oppressions dans chacune de nos interactions et qui liste les cinq rouages de la discrimination : la stigmatisation, la micro-agression, l’inégalité d’accès, le contrôle des corps et la discrimination légale. « Ces rouages sont sous-tendus par les systèmes de pensée et les idéologies hiérarchisantes dont l’hétérosexisme ou encore le genrisme. Ces systèmes de pensée sont comme des lunettes superposées que nous portons sans nous en apercevoir. Une personne éduquée dans un pays comme le nôtre est alimentée par cet inconscient collectif excluant de certaines catégories de population. Le but étant désormais d’apprendre à déposer ses lunettes ».
Chacune et chacun notre tour, nous pouvons nous trouver en situation de micro agression ou de discrimination ordinaire. C’est en comprenant mieux l’autre, en expliquant qui nous sommes, qu’il est possible de corriger nos mots et nos attitudes afin de devenir plus inclusifs et moins excluants.