Le rugbyman, qui avec cinq autres athlètes, aborde son homosexualité face caméra dans le documentaire « Faut qu’on parle », se raconte sans artifice et partage les valeurs qui lui sont chères.
Par Aimée Le Goff
Dans le monde du rugby professionnel, Jérémy Clamy-Edroux, 32 ans, a ouvert la voie. En 2021, il est le premier joueur pro français à révéler publiquement son homosexualité. Son témoignage, livré face caméra dans le documentaire Faut qu’on parle, diffusé en juin 2021, a donné lieu à un emballement médiatique teinté de réactions très positives. Accessible, soucieux de trouver les bons mots, le joueur prend le temps de nous répondre entre deux longs trajets, laissant entrevoir un tempérament de force tranquille.
L’amour du défi sportif
Jérémy dit « être tombé dans le rugby un peu par hasard », à huit ans. Quand il visionne la Coupe du monde présentée en Afrique du Sud, son père se dit qu’il pourrait se plaire dans ce sport. En 1999, la saison sportive a déjà démarré lorsque le garçon intègre un club amateur à Rouen, où il grandit. Plus tard, un déménagement en région parisienne le fait jouer cinq ans à Massy et un an au Racing 92. En 2012, le sportif revient en Normandie où il intègre le Rouen Normandy Club. Sans imaginer de carrière tout de suite, il décroche ses premiers contrats pros, saisit les opportunités qui se succèdent. Il restera dix saisons. « J’y ai rencontré un entraîneur top qui me suit toujours, une famille et des amis pour la vie, des coéquipiers très cools. J’ai aussi grandi avec eux ».
En 2023, il quitte le club normand pour rejoindre le CM Floirac Rugby, près de Bordeaux. L’envie de nouveauté, l’image d’une vie au soleil, proche de la mer, l’ont poussé au changement. L’amour des défis, aussi. « À Rouen, le club montait en cinquième division quand je suis arrivé. Je l’ai quitté en deuxième division. C’est une belle évolution », constate-t-il. À Floirac, où il vient de prendre le poste de pilier droit en Fédérale 1, son entraîneur l’a suivi. Un nouveau challenge les attend. « Le niveau est plus bas qu’à Rouen. L’idée, c’est de partir d’une feuille blanche et de le faire grandir pour le quitter avec un niveau supérieur dans deux, trois ans ».
Offrir un modèle d’inspiration
Le ton de Jérémy est sans détour, la plaisanterie jamais très loin. Quand on évoque ses plus jeunes années, un haussement d’épaule se dessine presque. Le sportif n’a aucun souvenir de discrimination en tête, l’adolescence s’est traversée sereinement. L’entendre fait du bien. S’il se rend compte très tôt de son homosexualité, il commence par dire qu’il est bisexuel, avant de « tout dire aux copains ». « J’appréhendais un peu au départ, mais je n’ai jamais eu de problème. En même temps, je n’ai jamais eu un corps de minet et je ne me laisse pas faire ». Son homosexualité n’a jamais été mal perçue par ses camarades : « au contraire, pour les filles, au collège, c’était la classe ! »
Malgré cet entourage bienveillant, Jérémy grandit sans véritable modèle d’inspiration qui lui ressemble. « C’est toujours bien d’avoir des exemples de personnes qui nous montrent ce qui est possible. Je me suis dit que ça pouvait être bien de parler pour en être un à mon tour, pour dire aux plus jeunes qu’on peut être homo et devenir joueur professionnel ». S’exprimer dans un documentaire est aussi l’occasion, pour le rugbyman, de faire son coming out auprès de son père. Quand le film sort, il est le seul à ne pas être au courant. Alors, le jour de la fête des pères, lendemain de la diffusion, Jérémy soigne le moment et pense aux détails. Il ouvre une bonne bouteille, réunit ses parents et ses sœurs, qu’il fait s’asseoir en silence devant la télévision. « Je m’inquiétais un peu plus de sa réaction parce que je connais des champion·nes, dont la judokate Amandine Buchard, qui témoigne aussi dans le film, pour qui la réaction familiale a été violente ». Son père à lui se montre bienveillant. « Il m’a dit que je n’étais pas obligé de passer par la télé pour lui en parler », sourit le joueur.
Coming out médiatique
Dans la sphère publique, l’initiative de Jérémy est largement saluée. L’athlète est invité à des conférences, des matchs internationaux et des galas de charité. Il reçoit le soutien de la FFR (Fédération française de rugby) et de la ligue nationale. « Quand il y a des failles, certain·es aiment bien s’y engouffrer. Là, il n’y en avait aucune, ce n’était pas un scoop. Je n’ai reçu aucune insulte. Les gens ont juste été surpris parce que je suis à l’opposé des stéréotypes que la société renvoie sur le sujet ».
Quand on lui demande si le rugby est un sport plus inclusif que d’autres, le joueur fait plusieurs distinctions. « Je reste persuadé qu’il y a moins d’homophobie que dans d’autres sports collectifs extérieurs, en partie parce qu’on respecte l’arbitre. Si on ne respecte même pas l’arbitre, c’est difficile de demander aux joueurs de respecter les différences. Et les différences font la force de l’équipe ». L’état d’esprit, selon lui, ne serait pas non plus tout à fait le même dans les milieux amateurs et professionnels. « Chez les pro, il y a plus de moyens, les gens sont un peu plus ouverts d’esprit, et il y a plus d’exposition médiatique. Le moindre geste est plus facilement sanctionnable ».
Dénoncer le fléau des guet-apens
Chez les amateurs, Jérémy Clamy-Edroux salue les initiatives des clubs LGBT-friendly, dont Les Gaillards et Les Coqs festifs. Il voit la Coupe du monde 2023 comme l’occasion de rallier les différences. Si selon lui, « toutes les minorités ont enfin pu sortir du placard après le mouvement #metoo », beaucoup de travail reste à fournir, notamment en matière d’éducation. « On doit passer par l’école, de la maternelle aux plus hautes études, pour parler diversité et discriminations, ne serait-ce que 30 minutes à chaque rentrée ».
En ce moment, le rugbyman s’inquiète de la recrudescence des guet-apens, pièges homophobes difficiles à anticiper. « Des petits cons se font passer pour quelqu’un d’autre sur les applications de rencontre. Ils cernent une personne et lui donnent rendez-vous pour l’agresser et la dépouiller ». Il s’assombrit : « j’ai parfois l’impression qu’on recule en matière d’inclusion ». Son témoignage à lui donne en tout cas l’espoir d’une parole de plus en plus libérée.
Documentaire Faut qu’on parle sur Canal +