Ils sont omniprésents. Dans nos vies personnelles, comme professionnelles, les biais cognitifs ne sont pas sans incidences sur nos prises de décisions. Focus sur ces présupposés qui, au quotidien, peuvent nous induire en erreur.
Par Etienne Brichet
Biais de confirmation, biais pro-endogroupe, biais de justification de choix, effet de halo, etc. Les biais cognitifs sont nombreux et font partie intégrante de notre quotidien. Si leurs effets sont le plus souvent bénins dans les situations de la vie courante, ils peuvent devenir problématiques en milieu professionnel s’ils ne sont pas remis en question. Émilie Gagnon-St-Pierre, doctorante en psychologie cognitive et sociale à l’UQAM et cofondatrice du site Raccourcis, guide pratique des biais cognitifs, a entrepris de vulgariser les recherches autour des biais cognitifs.
Utiliser des raccourcis pour traiter une information plus rapidement
Pour comprendre ce que sont les biais cognitifs, il est nécessaire de s’intéresser aux fondamentaux. Dans les années 1970, Daniel Kahneman et Amos Tversky, tous deux psychologues américano-israéliens, ont développé un modèle théorique pour appréhender les heuristiques. Ce sont des raccourcis de la pensée permettant de répondre de façon simple à une question ou à une tâche cognitive trop complexe. « Notre cerveau utilise différents raccourcis cognitifs pour traiter des informations rapidement. Cela permet d’aller droit au but dans des situations sociales complexes. L’inconvénient, c’est que cela peut entraîner l’apparition de biais cognitifs pouvant amener à des erreurs de jugement », explique Émilie Gagnon-St-Pierre.
Les biais cognitifs sont donc des erreurs identifiables et prévisibles. « Elles sont issues de la façon dont notre cerveau fonctionne pour traiter rapidement les informations. Le raccourci peut être positif en nous rendant efficace. Nous sommes tous et toutes biaisé·es et certains contextes favorisent l’apparition de biais. C’est le cas par exemple lorsque nous sommes amené·es à prendre des décisions rapidement, face au stress, aux émotions ou encore aux conflits d’intérêts », précise la doctorante.
Des effets délétères en entreprise
En milieu professionnel, les biais cognitifs peuvent survenir entre collègues, ce qui peut miner les relations sociales. « Le biais pro-endogroupe nous amène à prioriser les membres de notre groupe, c’est un biais très social. Il y a aussi le biais d’essentialisme qui va donner une vision rigide des catégories sociales », note Émilie Gagnon-St-Pierre. Le biais d’essentialisme peut se montrer particulièrement problématique puisqu’il peut amener une personne à déduire des informations par rapport à un individu à partir de son appartenance à un groupe social.
Mais les problèmes peuvent aussi se faire ressentir au niveau de la réalisation des tâches, comme l’illustre la doctorante : « Un gestionnaire qui a des décisions à prendre serait sûrement amené à appliquer des biais de confirmation et des biais rétrospectifs qui font que l’on a tendance à penser que l’information est plus prévisible parce que l’on connaît d’avance sa conclusion ».
Des biais particulièrement à l’oeuvre lors des recrutements
Les effets peuvent s’avérer d’autant plus problématiques lorsqu’ils touchent l’organisation même d’une entreprise, notamment le recrutement. « Les personnes appartenant à une minorité ethnique et les femmes sont souvent défavorisées quand leurs CV sont examinés. Avec le biais pro-endogroupe, le recruteur va avoir tendance à favoriser son propre groupe », précise-t-elle. Les décisionnaires du recrutement sont souvent des hommes ayant évolué dans les mêmes milieux sociaux et les mêmes écoles, et se retrouvent à choisir des personnes qui leur ressemblent. Cependant, la doctorante estime qu’il est difficile d’étudier l’impact des biais cognitifs en entreprise car il y a trop de variables à prendre en compte. Malgré ce manque de données, elle pense qu’en théorie ils ont des effets négatifs sur la productivité : « Un des besoins fondamentaux pour être un employeur efficace, c’est le sentiment d’appartenance. Les gens qui appartiennent à des minorités vont avoir de moins bonnes conditions de travail ». Ainsi, le groupe dominant, souvent composé d’hommes blancs, hétérosexuels, cisgenres et valides, est favorisé, contrairement à celles et ceux qui ne correspondent pas à ces normes.
« Les biais cognitifs peuvent nuire aux politiques d’inclusion et de diversité »
Pour les entreprises qui veulent améliorer les conditions de travail des salarié·es issu·es de minorités, les biais pro-endogroupe et d’essentialisme peuvent être de sérieux obstacles. « Les biais cognitifs peuvent nuire aux politiques d’inclusion et de diversité. Ce n’est pas suffisant de dire aux recruteurs de faire attention à ne pas discriminer car les biais sont souvent inconscients », affirme Émilie Gagnon-St-Pierre. Selon elle, les biais cognitifs vont affecter nos croyances qui peuvent se transformer en stéréotypes et qui vont potentiellement devenir, par effet boule de neige, des préjugés menant souvent à des discriminations. « Le biais d’essentialisme peut nous amener à voir les hommes et les femmes comme étant essentiellement, psychologiquement et biologiquement distincts parce que c’est plus facile de penser le monde de cette façon. C’est ainsi, par exemple, que nous pouvons être amené·es à penser que les femmes sont faibles en sciences ou qu’elles sont naturellement maternelles », explique la doctorante.
Alors comment éviter ces effets délétères ? « La meilleure façon de lutter contre les biais cognitifs, c’est d’être informé sur leur fonctionnement pour ensuite mettre en place des stratégies les prenant en compte. Cette lutte peut venir au départ du niveau individuel avec une personne qui veut faire changer les choses. Mais cela ne suffit pas. Il faut donc penser en termes de politique pour changer radicalement les pratiques », conclut la doctorante.
A titre d’exemple, dans le cadre d’un échange, une femme annonce qu’elle attend un enfant. Son interlocuteur marque la surprise. Elle voit son étonnement et lui dit : « oui, j’attends un enfant et c’est ma femme qui le porte.» Un exemple qui montre à quel point il est important d’adapter la vigilance à nos biais à l’aune des évolutions sociétales et/ou législatives.
Dix biais à connaître
Estimés à plus de 200, il serait ardu de faire une liste exhaustive de tous les biais cognitifs. Néanmoins, voici un lexique de ceux qui se manifestent le plus souvent en milieu professionnel.
- Biais d’automatisation : survient quand les gens sont portés à renverser une décision humaine correcte en réponse à un diagnostic pourtant erroné de la part d’une machine.
- Biais de confirmation : tendance, souvent inconsciente, à être trop favorable envers les informations qui confirment une hypothèse et ce, au détriment de celles qui la contredisent.
- Biais d’impact : tendance qu’ont les individus à surestimer l’impact qu’auront certains événement à venir sur leur expérience émotionnelle.
- Biais de justification du choix : tendance à surestimer rétrospectivement les points positifs d’une option après l’avoir choisie et implique la sous-estimation des aspects négatifs de ce choix.
- Biais d’optimisme : croyance erronée d’être personnellement moins à risque que les autres.
- Biais pro-endogroupe : tendance à attribuer des caractéristiques plus positives à son groupe d’appartenance qu’à un groupe externe.
- Effet de halo : se manifeste lorsque les individus jugent rapidement une personne en se basant sur les impression favorables ou défavorables d’une de ses caractéristiques.
- Effet de répétition : tendance à renforcer irrationnellement notre croyance envers une information si celle-ci nous parvient de manière répétée.
- Stéréotypes et préjugés : ensemble de croyance sur les caractéristiques typiques des membres d’un groupe social. Ce système de croyance est à la fois simpliste, réducteur et très répandu dans des contextes donnés.