Aujourd’hui à la tête de Décibels Productions, Pierre-Alexandre Vertadier a débuté sa carrière dans l’industrie musicale dans les années 1990. Une époque marquée de « tabous et de clichés » autour des artistes LGBTQI+. En 2024, il mesure le chemin accompli et celui qui reste à parcourir.
Par Chloé Consigny
Dans son catalogue, des artistes queers tels que Chloé ou Santa côtoient de grands noms du rap (Soprano, Ninho/Niska) et de la variété française (Alain Souchon, Benjamin Biolay ou encore Christophe Maé). Un grand écart que Pierre-Alexandre Vertadier revendique, aimant à dire que ses productions de concerts sont à l’image de la société. Pour sélectionner ses artistes, il s’emploie à mesurer leur potentiel scénique, via le nombre d’écoutes sur les plateformes et les réseaux sociaux, tout en prêtant une oreille attentive aux artistes plus confidentiels, à l’instar du groupe « nous étions une armée » qui vient de rejoindre son catalogue. Parmi ses étoiles, il compte Soprano, avec qui il a commencé en remplissant des salles de 1000 places, avant de conquérir les stades, ainsi que Ninho, qui a récemment rempli deux fois le Stade de France, tandis que Santa voit sa notoriété croître de façon fulgurante.
Opacité du rap
De la chanson populaire aux artistes pointus, en passant par le rap, il met en scène des univers parfois diamétralement opposés. Parmi les artistes qu’il accompagne, il concède que le rap lui pose « régulièrement des problèmes ». Il explique : « le rap a toujours été un monde opaque aux questions queers, pour des raisons culturelles. C’est une musique avec des codes et un langage propre. Dans ce secteur tout particulièrement il y a énormément de progrès à faire en termes de représentativité des diversités qu’il s’agisse des femmes ou des personnes LGBTQI+. » Néanmoins, les représentations évoluent, portées par des artistes telles qu’Aya Nakamura ou encore Yseult « deux femmes noires qui, avec leurs textes tranchants, ont affirmé leur diversité et sont parvenues à avoir une reconnaissance artistique ». Par ailleurs, le mouvement est enclenché dans une société qui évolue : ce qui n’était pas répréhensible par la loi il y a quelques années l’est désormais. « Un artiste peut se faire déprogrammer de tous les festivals parce qu’il a tenu des propos homophobes, sexistes ou violents. C’est désormais extrêmement regardé, les artistes ne peuvent plus tout se permettre ».
Changement de paradigme
En 2024, l’orientation affective des artistes qu’il accompagne n’est plus un sujet. Cependant, le chemin a été long dans une industrie qui a longtemps été baignée de clichés et de stéréotypes. Dans les années 90’ difficile pour un artiste masculin d’afficher une orientation affective autre qu’hétérosexuelle. Les artistes féminines queers, pour leur part, étaient totalement invisibilisées. « Pour des artistes qui ont aujourd’hui une trentaine d’années, faire état de son orientation affective, ne revêt pas des mêmes enjeux qu’il y a 30 ans. À l’époque, il a fallu attendre que George Michael se fasse choper dans les toilettes pour que ce soit officiel. Dans les années 1990, il y avait quelque chose de cliché dans la façon dont les artistes gays étaient présentés au monde. Les autres étaient invisibles, persuadés alors qu’être gay pouvait nuire à leur carrière ».
Une visibilité qui progresse à mesure que la société avance. Désormais, les codes ont changé et les jeunes talents refusent les étiquettes. « Je retrouve cela chez les artistes, mais également chez les personnes avec lesquelles je travaille. Il existe des artistes militants, mais la plupart s’emploient à brouiller les codes : nous avons désormais des artistes hétérosexuels qui s’emparent des codes queers. En 2024, la question de l’orientation affective ou de l’identité de genre définit de moins en moins les jeunes et donc encore moins les jeunes artistes ».
L’impact de #MeToo
À l’interne, l’industrie de la musique a elle aussi fait progressivement sa mue, avec davantage de femmes accédant à des fonctions managériales. La caricature de l’homme blanc, cis, quinqua et tout puissant aux postes de direction des maisons de disques n’est plus une réalité. « Les comportements machistes un peu scélérats qui étaient acceptés il y a 30 ans ne sont plus tolérés aujourd’hui », constate-t-il. Cela implique des changements, mais aussi des départs. S’il a été beaucoup suivi dans le monde du cinéma, le mouvement #MeToo ne s’est pas massivement répandu dans l’industrie de la musique. « Il y a eu, tout au plus, une petite étincelle », constate Pierre-Alexandre Vertadier. « Le plus important à mon sens est que cette étincelle a permis de prendre conscience de la nécessité d’un vrai changement de comportements dans le monde de la musique, sans pour autant entrer dans une grande chasse aux sorcières avec tout ce qu’elle peut comporter de profondément dangereux ».