Le dîner débat organisé par Têtu Connect le 23 septembre a réuni deux dirigeants d’entreprise : Anne Rigail, Directrice générale d’Air France et Erik-Marie Bion, Vice-président Europe de Yahoo. Le temps d’une soirée, ils ont échangé autour du rôle des allié.e.s. Tous deux sont convaincus d’une chose : si l’inclusion va bien au-delà des bonnes paroles et participe à la performance globale de l’entreprise, elle est parfois difficile à mettre en place.
Par Chloé Consigny
Se sentir légitime en qualité d’allié.e
D’emblée, le vice-président de Yahoo Europe concède qu’il peine à se considérer lui-même comme allié : « c’est en préparant cette soirée que je me suis dit que, oui, j’étais sans doute un allié ». Même constat pour la directrice générale d’Air France : « il est difficile de se dire légitime sur ces sujets. Avant que vous me posiez la question, j’ignorais que j’étais une alliée ». Et d’ajouter : « pour moi une alliée c’est quelqu’un qui travaille à l’inclusion en entreprise. Au-delà des mots, cela signifie incarner ces valeurs et mettre en place un certain nombre d’actions. Je suis manager d’équipes depuis 30 ans et j’ai personnellement souffert d’une époque où le sujet était tabou chez Air France ».
Au-delà du cœur et de la morale : la performance
Loin des bonnes intentions, la mise en place d’un réseau d’allié.es au sein d’une entreprise a un impact non négligeable sur la performance globale de l’entreprise. « Il faut bien avoir à l’esprit qu’en qualité de manager, je ne peux pas m’attacher uniquement au cœur et à la morale. Bien sûr, ces éléments sont indispensables mais ils doivent être alignés avec un troisième élément : la performance. Lorsque mon cœur, ma morale et la façon dont je gère la performance en entreprise sont alignés, alors oui, je deviens un allié », analyse Erik-Marie Bion qui ajoute : « il ne faut en aucun cas rester sur le cœur et la morale. Le but est de transformer les entreprises pour avoir des résultats et nous n’y arriverons qu’en gérant la performance ».
« Je suis hyper fière d’être une alliée. Une compagnie aérienne est faite pour relier des cultures. Si une compagnie aérienne n’est pas inclusive, alors elle fait honte à sa raison d’être »
Anne Rigail, Directrice générale d’Air France
S’adapter aux problématiques locales
Reste que, dans la pratique, il n’est pas toujours aisé d’instaurer une politique inclusive en entreprise. « La grande difficulté aujourd’hui, c’est que certains collaborateurs – restés sur des pratiques d’il y a 30 ans – doivent désormais se mettre au diapason en changeant de paradigme. C’est notamment le cas en ce qui concerne les remarques sexistes », constate Anne Rigail. Si, sur le sujet de l’inclusion, les États-Unis sont aujourd’hui en avance sur l’Europe et la France, impossible de calquer les pratiques américaines, explique Erik-Marie Bion : « pour que le sujet soit adopté par l’ensemble des salariés, il faut que les formations parlent aux équipes locales, en prenant des exemples extrêmement concrets qui font réagir les équipes. Cela va permettre que les gens se sentent bien et donc que la compagnie performe ». Très concrètement cela se traduit par des témoignages de salariés et la mise en place des rôles modèles. « Je crois en la force des témoignages. Nous avons eu récemment une salariée qui a témoigné sur le bien-être que lui a procuré son coming-out en entreprise. Parler de sa vie personnelle est peut-être plus compliqué en France que dans les pays anglo-saxons, cependant cela libère les énergies et les performances. Il faut bien avoir à l’esprit que des gens qui ne se sentent pas en confiance avec leurs managers ne peuvent pas développer leur performance », poursuit Anne Rigail.
Tous allié.es, à commencer par le top management
Être allié.e, c’est aussi prendre la parole, s’interposer pour défendre un collègue discriminé ou harcelé. Une posture que chaque salarié est en mesure d’adopter, quel que soit son niveau hiérarchique. Reste que pour qu’une culture d’entreprise change durablement, une condition semble indispensable : l’engagement du top management. « Aujourd’hui, le sujet de l’inclusion est porté au plus haut niveau chez Air France. Je pense que l’on a du mal à faire quoi que ce soit si cela ne vient pas du plus haut niveau hiérarchique », constate Anne Rigail.
Le pinkwashing, mieux que rien ?
Au-delà des formations et des témoignages, de plus en plus d’entreprises prennent part aux événements LGBT +. La marche des fiertés, la journée du coming-out, sont autant d’occasions pour les entreprises de brandir un drapeau arc-en-ciel. Des manifestations qui peuvent parfois être perçues comme des tentatives de récupération. « Il y a des dates symboliques. On peut, certes, se poser la question de savoir si ces événements s’apparentent à du pinkwashing, mais à mon sens, c’est aussi une façon de mettre en visibilité et de libérer la parole », analyse Anne Rigail.
Un défi pour l’avenir
Les décideurs d’entreprise présents à la soirée Têtu Connect en sont convaincus : l’inclusivité est un enjeu majeur pour le développement à venir des entreprises. « A mes débuts, j’ai dû faire face à des remarques sexistes. C’était il y a 30 ans. Je constate que désormais, au sein des jeunes générations, rien ne passe. Le monde a changé. Nous, managers, nous nous devons d’en prendre rapidement conscience », met en garde Anne Rigail. « La prise en compte des diversités n’est pas anecdotique. La génération Y ne laisse rien passer. Il en va donc de la survie de nos entreprises », conclut Erik-Marie Bion.