Léon Salin, la transidentité pédagogique

Léon Salin, la transidentité pédagogique

Il est prêt à tout entendre. Que ce soit en entreprise ou dans les établissements scolaires, Léon Salin sait faire face aux questions les plus incongrues. Homme trans, il était le cover boy de têtu• à l’automne 2024. Il met aujourd’hui son parcours et sa visibilité au service de la sensibilisation et de l’information. 

Par Chloé Consigny

La période est critique. De toute part, les attaques à l’encontre des personnes trans se multiplient. Léon Salin veut garder espoir, même si les statistiques sont violentes. Originaire de Suisse, il rappelle que ce pays n’est pas mieux loti que les autres. « En Suisse, les personnes trans sont cinq fois plus éloignées de l’emploi que les autres. Par ailleurs, 16 % des entreprises suisses affirment ne pas souhaiter embaucher une personne trans. Et le droit ne nous protège pas. Si l’orientation affective est bien listée comme une discrimination, ce n’est pas le cas de l’identité de genre ». 

Une transition publique

Ce non-accès à l’emploi, il l’a lui-même expérimenté et éprouvé. « En cherchant un travail, j’ai très vite compris que je ne pourrai pas passer outre la question de la transidentité. N’importe qui fait des recherches sur moi, tombe sur mon parcours ». Diplômé d’un master communication et d’un bachelor en relations internationales de l’université de Genève, il transitionne durant ses études. Au fil des mois, il documente sa transition sur les réseaux sociaux. « J’ai compris que j’étais un homme trans grâce à la visibilité d’un Américain sur les réseaux. À l’époque, je ne savais même pas qu’il était possible de faire une transition en Europe. J’ai donc souhaité être visible dans l’espace francophone suisse. Parce que la culture suisse reste très fermée et que les hommes trans visibles n’existent pas. Ce qui est très positif avec les réseaux sociaux c’est qu’en communiquant sur ma transition, j’ai senti que je pouvais agir ».

S’il compte aujourd’hui 78 000 followers sur Instagram, c’est un passage à la radiotélévision suisse romande qui le fait connaître du grand public. En 2024, il fait la couverture de têtu•. Ainsi, lorsqu’il est reçu en entretien, c’est souvent par des personnes curieuses qui lui posent des questions sur son parcours, mais aussi sur son anatomie. « J’écoute et j’accueille. Néanmoins, lorsque la question est vraiment trop intrusive, je réponds simplement qu’il s’agit de ma vie privée ». 

Disjonction cognitive 

Il se lasse rapidement des entretiens d’embauche qui ressemblent à des interrogatoires. En 2023, il fonde l’association Salin, puis devient parisien et se spécialise dans la formation et la sensibilisation à la diversité en entreprise et en milieu scolaire. Il est régulièrement appelé dans des situations critiques, après une mise à pied pour discrimination dans l’entreprise, assortie d’une obligation de sensibilisation. « J’arrive toujours confiant. Je me dis « on va voir ». Finalement, je me rends compte que les personnes n’ont pas intentionnellement souhaité faire de mal. C’est vraiment le manque de connaissance sur la question trans qui fait que la situation est mal gérée ». 

Pour autant, il n’échappe pas au climat actuel de transphobie violente et décomplexée. Si, en s’exposant sur les réseaux, il reçoit des retours hyper positifs, il doit également faire face à la haine. Une haine qui provient majoritairement d’hommes cis. « Je pense qu’il faut souffrir énormément pour se mettre à détester quelqu’un aussi fort. Un homme trans vient questionner beaucoup de choses chez les hommes cisgenres. Pour être trivial, je leur montre qu’être un homme ce n’est pas avoir une bite. Et là, dans leur cerveau, quelque chose disjoncte ». Il poursuit son travail de sensibilisation jusqu’à décrypter les agressions dont il est victime sur les réseaux sociaux. « Ce qui est intéressant, c’est qu’au début, lorsqu’ils voient mes vidéos, ces hommes ne pensent pas que je suis une personne trans, parce qu’ils n’ont pas suffisamment d’éducation pour penser qu’un homme trans peut ressembler à quelqu’un comme moi ». 

Surpasser la haine

Faire conversation est aujourd’hui son mantra. « Je suis à un stade de ma vie où je suis guéri par rapport à mon énervement. Je peux donc parler très calmement avec des gens très différents. Même lorsque j’entends des dingueries et des choses horribles, je reste calme. Cela permet de créer une communication », explique-t-il. Il constate alors que les personnes se sentent plus à l’aise et posent toutes les questions qu’ils n’osent pas poser sur la transidentité. Le corps, le sexe, les vestiaires, les toilettes sont des sujets qui reviennent souvent. Il accueille et il écoute. « Il faut garder en tête que seulement 5 % de la population a déjà rencontré une personne trans. Pour la grande majorité, ce vécu est inexistant — ce qui ne les empêche pas d’avoir une opinion bien arrêtée. Résultat : l’imaginaire comble largement le vide laissé par l’absence de contact réel. » Lors de ses interventions en entreprise, il se déplace à la rencontre des salarié·es. Pas de visio « pour moi, c’est très important d’être en présentiel. Il faut que les gens puissent me voir parler, me voir bouger pour se rendre compte que je suis simplement une personne ». 

Pour aller plus loin

Lire l’ouvrage que vient de publier Léon Salin aux éditions Leduc. « D’un monde à l’autre », une histoire de transition de genre.

Lire (ou re relire) le portrait de Beatrice Denaes et son association Trans Santé France.

Comprendre le parcours de transition en cinq points clés