La publication d'une vidéo à caractère raciste puis la mise en examen pour viol aggravé d'un duo de joueurs tricolores en Argentine viennent jeter l'opprobre sur un sport qui revendique pourtant les valeurs de respect, de solidarité et de dignité. De quelle façon les clubs s'emparent-ils du sujet de l'inclusion et de la diversité?
Par Aimée Le Goff
« Nous sommes la seule fédération sportive à avoir une Commission dédiée à la lutte anti LGBTphobies. Ailleurs, il n’y a rien d’officiel ». Jean-Bernard Moles est président de la CADET, la Commission Anti Discrimination et Égalité de Traitement de la Fédération française de rugby (FFR). Depuis 2020, l’organisme multiplie les actions pour faire respecter les droits LGBTQI+, notamment ceux des personnes trans, au sein de la Fédération. « Notre règlement stipule que les joueuses et joueurs trans peuvent participer aux matchs s’il y a eu changement de prénom et si un traitement hormonal est pris depuis au moins un an ».
Dans le paysage sportif français, cette initiative est une exception. En cause, « le conservatisme aigu de certains et certaines dirigeantes » qui « imposent aux fédérations nationales des règlementations peu progressistes », selon Jean-Bernard Moles. Il salue toutefois la « nouvelle génération de dirigeant·es, de plus en plus ouverte ».
Des clubs historiques et ouverts au dialogue
Pour mesurer le chemin parcouru en dehors de la fédération, il faut nous tourner vers le rugby loisir. À Paris, les Coqs festifs, fondés en 2006 par des joueurs lassés de subir des discriminations en raison de leur orientation affective, constituent le plus ancien club LGBT-friendly. Avec ses cent adhérents, il est le seul club à être partenaire à la fois de la FFR et de la Ligue de rugby, WR (World Rugby, qui est au rugby ce que la FIFA est au football). Alban Vandekerkove, président, s’enthousiasme du chemin parcouru : « La majorité de nos joueurs sont gays, mais nous comptons des joueurs hétéro et nous accueillons bien sûr tout le monde ».
Pour lui, l’inclusion passe par la communication, y compris lorsque celle-ci implique des échanges difficiles ou incommodes. « Créer du dialogue, ne pas s’énerver, c’est primordial. J’ai le souvenir d’un match que nous avions gagné. Un supporter nous avait fait écho d’un joueur adversaire refusant de ‘‘se faire battre par des pédés’’. Je suis allé le voir, pour comprendre ». Même réflexe en cas d’insultes répétées sur les réseaux sociaux. En neuf ans de matchs chez les Coqs festifs, Alban a vu passer une dizaine de messages homophobes. « Généralement, je ne réponds pas. Un jour, un jeune homme m’a contacté en privé pour insulter le club. J’ai répondu exceptionnellement, pour voir. J’ai cherché à créer une discussion pour connaître l’origine de ses pensées. J’ai fini par comprendre qu’il était gay, lui aussi ».
« Pas d’argument valable » contre la mixité
Depuis deux ans, les Coqs festifs accueillent une joueuse trans désireuse d’intégrer une équipe masculine. Grâce à elle, Alban Vandekerkove dit avoir ouvert les yeux sur la réalité des obstacles qui s’imposent aux personnes trans. Lui, croit aujourd’hui aux équipes mixtes. « Je m’inquièterais davantage pour des joueurs de plus de 60 ans, ou avec un petit gabarit, que pour un joueur trans qui nous rejoindrait ».
À Paris toujours, le club des Gaillards fête cette année son vingtième anniversaire. « Nous sommes un club LGBT-friendly, pas un club LGBT, souligne Adrien Argo, secrétaire. Sur l’inclusion des personnes trans, le club partage le point de vue des Coqs festifs : « l’argument selon lequel les femmes trans battraient les femmes cis en raison de leurs hormones n’est pas valable. Nous n’avons pas de chiffres concluants ».
Une Pride Rugby Cup durant la Coupe du monde
À Lyon, le club LGBT-friendly Les Rebelyons fait jouer ses 32 adhérents depuis 2007. Victor Mesnil-Olivier, secrétaire, l’a intégré grâce à un ami, après avoir pratiqué la natation et la danse. « Le monde sportif est très genré, très codé. Il n’aime pas beaucoup les différences. Les hétéros non plus ne supportent plus cette atmosphère ». Avec les Rebelyons, il se bat pour davantage de mixité : « Nous gardons notre identité sportive mais notre militantisme compte beaucoup. Nous aimerions mettre en place des interventions dans des clubs qui ne se disent pas inclusifs, sous la forme de tables rondes ou d’entraînements communs, pour plus de sensibilisation ».
La prochaine Coupe du monde est l’occasion idéale pour se mobiliser. Le 11 octobre, un symposium international se tiendra à Paris sur le libre-arbitre dans le sport et sur les questions de mixité et de transidentité. Le 14 octobre, la Pride Rugby Cup, tournoi inclusif, fera jouer de nombreuses équipes à Marcoussis, dans l’Essonne. L’idée a été lancée par la CADET et par les Coqs festifs. « Nous avons tenu à convier des personnes opposées à la participation des personnes trans aux compétitions afin de créer un réel débat », confie Alban Vandekerkove.
« Le rugby reste macho »
Le rugby serait-il plus exemplaire que les autres sports d’équipe ? Franck Mesnel, ancien joueur du XV de France, fondateur d’Eden Park, nuance cette idée. « Il y a un énorme paradoxe dans notre sport. La plupart des gens qui jouent au rugby sont plutôt instruits et respectent l’homosexualité par exemple. En même temps, ce sport reste très macho. J’ai déjà entendu des rugbymen parler des « tafioles » de footballeurs qui se roulent pas terre à la moindre occasion. Ce qui compte, c’est l’éducation ». Pour lutter contre les discriminations, l’ancien joueur professionnel reconnaît l’utilité de la CADET comme « un moyen utile pour pouvoir s’exprimer ».
D’autres pistes sont envisagées pour améliorer la situation dans toutes les fédérations. Le 17 mai, Amélie Oudéa-Castéra, ministre des Sports et des Jeux Olympiques et Paralympiques, a dévoilé son plan d’action : guide de sensibilisation pour les fédérations, développement de commissions semblables à la CADET, Maison des Fiertés durant Paris 2024… Reste à voir ce qui sera décidé concernant la participation des personnes trans et intersexes aux futures compétitions.