Attachée aux valeurs d’inclusion, Prune Houvion est chargée de projet Diversité, Équité et Inclusion Relations Extérieures et Engagement pour le groupe L’Oréal. Elle a livré son analyse du coming out en entreprise à l’occasion de l’événement têtu·campus.
Par Etienne Brichet
Dire « Je suis lesbienne » est désormais quelque chose de normal pour elle. À 25 ans, Prune Houvion est chargée de projet DEI Relations Extérieures et Engagement au sein du groupe L’Oréal. Un rôle qu’elle affectionne mais auquel elle n’avait pas pensé au départ. « Je ne savais même pas qu’un poste comme celui-là pouvait exister. ». Si pour elle être out est la norme, Prune tient à rappeler que son parcours est une exception. « On peut avoir l’impression qu’il est facile en 2023 de faire son coming out. Pourtant, les LGBTphobies sont des réalités encore présentes dans la société et dans le monde du travail ».
« Je voulais voir de quelles façons il était possible de faire bouger les lignes en entreprise »
Au début de ses études, Prune se dirige vers Sciences Po et décide de renforcer ses engagements. « Je me suis investie pour les droits des personnes LGBTQI+ au sein de l’association Equal de Sciences Po. Nous avons travaillé sur des sujets culturels et d’inclusion et nous avons valorisé la création d’espaces de rencontre inclusifs. Être LGBTQI+, c’est faire face à des discriminations et il est important d’avoir des endroits pour échapper à celles-ci ». Le hasard des rencontres l’amène alors à s’intéresser au monde des entreprises. « Je voulais voir de quelles façons il était possible de faire bouger les lignes en entreprises. Et aujourd’hui, quel que soit le métier que je compte exercer, ce sont des valeurs que je souhaite continuer à porter ».
« J’ai pu dire pour la première fois “Je suis lesbienne” »
Ce besoin d’espaces inclusifs, Prune l’a longtemps ressenti et c’est en traversant l’Atlantique qu’elle découvre une herbe plus verte. « Il me paraissait impensable de faire mon coming out au début de mes études. Durant mon bachelor, les lesbiennes étaient invisibles. Je me sentais un peu seule. Et puis j’ai fait ma troisième année d’étude aux États-Unis au Mount Holyoke College dans le Massachusetts. C’était un environnement très inclusif et un espace de liberté où j’ai pu dire pour la première fois “Je suis lesbienne” ». Son expérience étasunienne lui permet d’avoir un temps de réflexion sur son rapport au coming out. « Le retour en France a été un peu brutal mais j’étais complètement out et c’était impensable de retourner dans le placard. Les espaces féministes et queer ont été libérateurs ». Si ces safe spaces sont souvent critiqués, Prune estime qu’ils sont vitaux. « On reproche à ces espaces inclusifs d’être des bulles qui ne sont pas représentatives de la réalité. Peut-être, cependant, lorsqu’une personne est discriminée, ces espaces sont des bulles permettant de respirer. Ce sont des soupapes ».
« Je considère mon entreprise comme un safe space à la différence de l’espace public »
Retrouver un environnement inclusif n’allait pas être une tâche facile. « Le passage dans la vie professionnelle est un moment où il peut y avoir un retour au placard. J’ai vu des personnes utiliser des stratégies de contournement pour éviter des environnements où règnent LGBTphobies et sexisme. Ces stratégies peuvent conditionner les choix professionnels » Prune s’estime chanceuse de ce côté-là, surtout lorsqu’elle découvre l’engagement du groupe L’Oréal pour des sujets auxquels elle est attachée depuis toujours. « J’ai retrouvé un espace inclusif en intégrant cette entreprise. J’ai même pu faire mon coming out lors de mon entretien de recrutement. Aujourd’hui, je considère mon entreprise comme un safe space à la différence de l’espace public ». Son poste de chargée de projet DEI Relations Extérieures et Engagement lui permet d’allier engagements, missions professionnelles, et espace inclusif. « Je m’occupe de la communication interne et externe ainsi que du lien sur les sujets des affaires publiques pour les enjeux de diversité, d’équité et d’inclusion au niveau national. Concrètement, c’est un poste de communicante et de gestion de projets polyvalent, grâce auquel j’ai la chance de toucher à plein d’enjeux et d’être en contact avec de nombreuses parties prenantes, comme des marques engagées du Groupe ou des ministères ».
« Mes coming out quotidiens sont une manière de faire exister la réalité des vécus LGBTQI+ »
Si son rapport au coming out n’a pas toujours été une évidence pour elle, Prune pose désormais un regard critique sur celui-ci. « Le coming out tel qu’on le représente dans les médias, où l’on fait asseoir ses proches à une table pour révéler sa réalité, ne devrait pas exister. Seules les personnes LGBTQI+ font leur coming out. Quand on le fait, on a l’impression d’avouer quelque chose de grave et ça pose problème ». Mais elle sait aussi ce qu’elle en attend. « Je fais mon coming out tous les jours, comme toutes les personnes LGBTQI+. Cela reste quelque chose que je redoute parce que j’ai peur d’avoir une étiquette qui flotte au-dessus de ma tête. J’ai réussi à lâcher prise, mais c’est une chance qui est loin d’être donnée à tout le monde. Il faudrait que le coming out ne soit pas un événement mais simplement un passage dans une discussion. Mes coming out quotidiens sont une manière de faire exister la réalité des vécus LGBTQI+ ».
« Chaque coming out est une révolution »
Pour Prune, c’est avant tout les rôles modèles autour d’elle qui lui ont permis de se construire. « J’ai la chance d’être entourée de mes amies lesbiennes et féministes qui m’inspirent. Les militantes qui sont venues avant moi, à l’instar de bell hooks et Audre Lorde, et qui se sont battues pour mes droits m’inspirent. » Cependant, elle n’oublie pas qu’il reste beaucoup de travail à faire en termes d’inclusion dans la société. « Le coming out demande un don de soi en s’exposant. Mais chaque coming out est une révolution qui reste transgressive. Ce n’est pas une évidence parce que beaucoup de personnes doivent encore se cacher. Évidemment, il n’y a aucune obligation de faire son coming out si on n’en ressent pas l’envie. Le combat pour l’inclusion est loin d’être terminé, mais chaque fois qu’on a la possibilité de dire qui on aime, c’est une manière de ne plus avoir à faire tous ces contournements qui coûtent de l’énergie et peuvent conduire à l’isolement ».