Le 24 mars têtu·connect a réuni deux « dissidents du genre » : Inès Duckit, femme transgenre et responsable communication chez Somfy et Gab Harrivelle, non binaire et consultant expert sur les créations LGBTQI. Le temps d’un dîner, elle et iel sont revenus sur le genre en entreprise. Une discussion nécessaire à l’heure où 2 % de la population se revendique non binaire, gender fluid et agenre.
Par Chloé Consigny
Êtes-vous à l’aise avec les nuances de genre ? A cette question, rares sont les DRH, managers et dirigeants d’entreprise à même de donner une définition exacte des termes cisgence, transgenre, non binaire, gender fluid et agenre. Dans ce contexte, le dîner débat de têtu·connect s’est d’abord attaché à définir ces notions. Une personne cisgenre est une personne dont le genre ressenti correspond à celui qui lui a été assigné à la naissance. Quid de toutes celles et ceux qui, en revanche, ne se reconnaissent pas dans le genre qui leur a été assigné à la naissance ?
Bien nommer pour mieux inclure
Pour ces personnes, c’est souvent un long parcours qui les attend. Depuis leur enfance jusqu’au monde de l’entreprise où elles ne se sentent pas toujours accueillies.
Les personnes transgenres, personnes non-binaires ne se reconnaissent pas dans le genre qui leur a été assigné à la naissance. Ainsi, les personnes transgenres font le choix de réaliser leur transition sociale et / ou médicale.
Les personnes agenres revendiquent une identité de genre en dehors des catégories binaires et se définissent comme n’ayant aucun genre. Enfin, les gender fluid voient leur genre fluctuer au cours du temps et oscillent entre le genre masculin et féminin.
Dans tous les cas, prendre soin de bien nommer une personne en respectant son genre en dit long sur la volonté d’une entreprise de s’engager en faveur de l’inclusion.
« Pour mes collègues, ma transition n’était pas un sujet »
Inès Duckit est une femme transgenre. Elle est responsable communication chez Somfy, groupe industriel français situé en Haute-Savoie. Pour elle, la question de « bien nommer » ne s’est pas posée à son entrée dans l’entreprise. « Au moment où je suis arrivée chez Somfy, ma transition était achevée. J’avais fait toutes les démarches administratives. Le prénom figurant sur ma carte d’identité était celui que je porte aujourd’hui. Il n’y a donc pas eu de questions sur mon genre de la part de mes collègues ou de mes supérieurs hiérarchiques », se souvient-elle. Ce n’est que plus tard, lorsqu’elle décide de faire son coming-out qu’elle transmet l’information au sein de son environnement professionnel. « Une fois chez Somfy, j’ai eu besoin de parler. J’ai donc dit simplement à mes collègues. « Je suis une femme transgenre et je vais prendre la parole sur ce sujet. » J’ai d’abord pris la parole auprès de ma communauté. Mon ambition était de faire comprendre aux personnes qui m’entouraient qu’une personne transgenre était simplement une personne comme les autres, à l’instar de toutes celles et ceux avec qui je travaille au quotidien ». Quel a été l’accueil de ses collègues ? « Tout le monde m’a regardé de manière interloquée ». Finalement, pour toutes et tous, j’étais Inès et le sujet de ma transition n’en était pas un ! », constate-t-elle.
Le pronom iel fait son entrée au Petit Robert
Faut-il voir dans les réactions au coming-out d’Inès poindre un frémissement en France sur les questions de genre ? Un changement timide, mais réel, dont témoigne par exemple l’entrée du pronom iel dans les colonnes du Petit Robert. « Si iel a fait son entrée dans le dictionnaire c’est parce que cela correspond à un besoin. Désormais, des personnes utilisent ce pronom, il est donc normal que le dictionnaire le reconnaisse », souligne Gab Harrivelle, qui précise « utiliser le bon pronom est une marque de respect. Si une personne utilise le pronom iel pour se désigner alors il faut l’utiliser. De la même façon, nous n’entendrons jamais parler de Jacqueline en disant « il » s’il s’agit d’une femme. Mieux vaut utiliser iel, se tromper et se corriger au besoin que de ne pas l’utiliser du tout ». Et de fait, les erreurs peuvent être fréquentes. « Il faut bien avoir à l’esprit que toutes les personnes non binaires n’utilisent pas le pronom neutre. Elles peuvent aussi utiliser les pronoms elle ou il. Cela dépend également des cercles. Personnellement, dans mon travail de consultant, j’utilise le pronom iel, tandis que dans mon autre travail au sein d’un hôpital public j’utilise le pronom il parce que c’est plus simple. Le seul impératif lorsque l’on se trompe dans l’usage d’un pronom est de ne pas se confondre en explications. Cela va juste contribuer à rendre la situation gênante pour tout le monde. Enfin, ce n’est pas parce qu’une personne ne vous corrige pas que vous ne l’avez pas mégenré », poursuit Gab Harrivelle.
Une signature de mail qui détaille les pronoms à utiliser afin de ne pas mégenrer*
En entreprise, de plus en plus de personnes adjoignent à leur signature leur pronom. Gab va plus loin. Pour simplifier une façon de nommer qui peut être compliquée, il a inscrit « iel, accord au masculin ». « L’anglais est plus simple, mais en français il est nécessaire d’ajouter cette mention », poursuit-iel. Un attachement au pronom également partagé par Inès : « de cœur, je dirai que le pronom que j’aimerai communiquer est iel. Mais dans la réalité, dans la vie de tous les jours, je suis elle ». Avec près de 2 % de la population qui s’identifie comme non binaire, gender fluid ou agenre, les entreprises se doivent désormais de revoir leur façon de nommer leurs collaborateurs. Cela passe notamment par une réflexion autour des systèmes informatiques, des processus RH, comptables et de l’ensemble des documents administratifs. « La défenseur des droits indique clairement que la civilité n’est pas liée à la mention de genre qui est stipulée sur les papiers d’identité. Ainsi, si une personne demande à être nommée selon un autre genre que celui qui est indiqué sur ses documents officiels, il faut respecter son choix. Par ailleurs, le prénom d’usage doit être aussi respecté. Cela ne concerne pas que les personnes trans mais cela nous concerne tous. Il peut s’agir par exemple d’une personne qui n’aime pas son prénom et souhaite être nommée autrement », explique-t-iel. Et de conclure : « la question du genre en entreprise nous concerne toutes et tous. Cela a un impact sur l’environnement de travail, mais aussi sur les produits, sur les services proposés par les entreprises ».
*Mégenrer, c’est s’adresser à une personne ou parler d’elle avec un pronom ou un genre qui ne lui correspond pas.