Si l’autocensure est un comportement qui peut s’avérer utile dans la vie de tous les jours - surtout lorsqu’elle sert d’inhibition sociale et nous évite de dire tout ce qui nous passe par la tête sans filtre - en entreprise, celle-ci est souvent un frein à l’inclusion, à la diversité et à l’innovation.
Par Isabelle Pailleau, psychologue spécialiste des organisations et dirigeante de La fabrique à bonheurs.
Qu’est-ce que l’autocensure en entreprise ?
En entreprise, l’autocensure est un comportement qui consiste à se sentir en situation d’infériorité par rapport aux attentes d’un poste, d’une mission, ou d’une rémunération. Pour les mêmes raisons, cette inhibition peut aussi entraîner un “syndrome de l’imposteur” qui va empêcher un collaborateur ou une collaboratrice de s’épanouir dans son travail et/ou prétendre à des missions plus ambitieuses.
En 2019, le cabinet Alternego a réalisé un questionnaire auprès de 1500 salarié·es d’entreprises de secteurs différents afin de récolter des données factuelles sur la question de l’autocensure.
Contrairement aux idées communément admises sur l’autocensure donnant les femmes les plus touchées par ce phénomène, l’étude d’Alternego révèle que 38 % des salarié·es se sentent concerné·es dont 35 % d’hommes et 40 % de femmes.
Quelles en sont les causes ?
Il existe bien sûr des personnalités plus introverties que d’autres. Celles-ci ont du mal à prendre leur place au sein d’un collectif, même si leurs compétences sont supérieures à la moyenne. Si les femmes semblent plus touchées par ce phénomène, du moins dans la croyance collective, c’est surtout parce qu’on leur colle très tôt une étiquette « manque de confiance en elle naturel » qui renforce chez elles “l’effet Golem”. En psychologie, l’effet Golem est le phénomène inverse de l’effet Pygmalion. Il s’agit d’une prophétie autoréalisatrice qui induit que des attentes moins élevées placées sur un individu le conduisent à se conformer à ce qui est attendu de lui. Ici, les femmes ont majoritairement tendance à accepter le manque de confiance en elles comme étant vrai pour leur genre et donc à s’autocensurer.
Pourtant les raisons psychologiques arrivent bien après les raisons d’organisation du travail. En effet, une organisation du travail trop rigide renforce l’autocensure chez les salarié·es. Si les cadres dirigeant·es ne favorisent pas un management inclusif et bloquent la montée en compétences des salarié·es, ces derniers n’osent pas affirmer leur voix et leurs idées. Une situation renforcée par un système éducatif qui apprend peu aux élèves à se mettre en avant. Ceux qui osent risquent en effet d’apparaître prétentieux, ambitieux ou mesquins.
Un sentiment de découragement et de « à quoi bon » sera alors prévalent chez ces personnes qui ne sentiront ni soutenues, ni entendues, voire mal jugées.
D’une manière générale, l’on constate que moins le climat est inclusif plus l’autocensure est forte.
Comment se traduit l’autocensure et quels en sont les risques ?
L’autocensure se traduit très souvent par la peur de négocier une augmentation de salaire ou la peur de proposer des idées différentes ou innovantes. Elle s’observe également quand il s’agit de demander un aménagement de son temps de travail. Enfin, l’autocensure est la plus importante quand il s’agit d’affirmer un point de vue contraire à celui de son ou de sa supérieur·e hiérarchique.
Ces peurs entraînent une perte d’énergie conséquente au service de la performance de l’entreprise et une invisibilité des potentiels qui pourraient contribuer efficacement à la vision et aux réalisations de l’entreprise. Si l’autocensure freine la performance, elle freine également la confiance essentielle à l’émergence de la créativité. Il est à noter toutefois que plus la position hiérarchique augmente, moins l’autocensure est forte.
Par ailleurs, on peut également souligner des situations de plus en plus fréquentes de brown-out (ennui poussant aux “démissions silencieuses”) avec un engagement des salarié·es dans leur activité qui diminue.
Quelles sont les solutions pour contrer l’autocensure ?
Mettre un terme à l’autocensure ne se décrète pas mais s’implémente au quotidien dans l’entreprise. Ce sujet doit bien sûr être adressé avec celui de la diversité et de l’inclusion par les responsables RH et infuser dans toutes les strates de l’entreprise. De quelle façon ?
En travaillant sur tous les champs possibles pour lutter contre l’autocensure, du développement individuel du collaborateur à l’engagement collectif sur la question. Par exemple, accompagner les collaborateurs et les collaboratrices à avoir une vision objective de leurs compétences et leur permettre de les rendre visibles. Par ailleurs, développer une culture d’entreprise permettant la controverse et les débats d’idées autour du travail contribue également à résoudre les effets néfastes de l’autocensure.
Enfin, en favorisant la diversité dans l’entreprise, avec des seniors, des juniors, des femmes, des hommes, des personnes de couleur et /ou d’orientation affective différentes, de parcours d’études divers. La diversité entretient la créativité. C’est l’expression de la multiplicité des talents qui permet d’enrichir la performance et d’améliorer le bien-être au travail.