« La représentation du dirigeant blanc, masculin reste une norme dans nos sociétés occidentales », Nils Pedersen, délégué général Pacte Mondial des Nations Unies en France 

« La représentation du dirigeant blanc, masculin reste une norme dans nos sociétés occidentales », Nils Pedersen, délégué général Pacte Mondial des Nations Unies en France 

Dans un monde où d'aucun prône davantage d’« énergie masculine » en entreprise, Nils Pedersen reste convaincu que « la vraie force des organisations, c’est un leadership inclusif et équilibré ». Pour le délégué général du Pacte Mondial des Nations Unies en France, il est plus que jamais temps d’embarquer les hommes (et notamment les hommes hétérosexuels et cis) dans le combat en faveur de l’égalité de genre. 

Par Chloé Consigny

De quelle manière, le Pacte Mondial des Nations Unies aborde-t-il les questions d’égalité de genre ? 

Le Pacte Mondial des Nations Unies propose aux entreprises un cadre d’engagement volontaire qui s’articule autour de dix principes relatifs au respect des droits humains, aux normes internationales du travail, à l’environnement et à la lutte contre la corruption. Ces grands principes sont issus de la Déclaration universelle des droits de l’homme, la Déclaration de l’Organisation internationale du travail, la Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement et la Convention des Nations Unies contre la corruption. Nous sommes en quelque sorte la plus grande initiative mondiale et volontaire de RSE. La question d’égalité de genre fait partie intégrante des enjeux des Nations Unies. 

Où en sommes-nous sur les questions d’égalité de genre dans le monde et plus spécifiquement en entreprise ? 

Selon le rapport du World Economic Forum « gender gap report », il faudrait 134 années pour atteindre la parité complète dans le monde, soit cinq générations. Pour les entreprises qui s’engagent au travers des dix principes du Pacte Mondial de l’ONU, l’ambition est d’atteindre la parité dès 2030, soit d’ici 5 ans. 

Quels sont les arguments pour embarquer les entreprises ? 

Premièrement, laisser les femmes de côté, c’est se passer de plus de la moitié de la population mondiale. Ensuite, les chiffres sont parlants : atteindre la parité permettrait d’ajouter 28 milliards de dollars à l’économie mondiale. L’égalité de genre est donc une réponse quasi immédiate aux nouvelles sources de revenus que recherchent actuellement les États. Loin d’être un simple enjeu sociétal, l’égalité est un puissant moteur d’innovation et de compétitivité. Pourtant, les inégalités persistent et freinent à la fois les carrières des femmes et des minorités de genre et la performance des entreprises. Les hommes ont un rôle clé à jouer.

Concrètement, comment faire pour embarquer les hommes ? 

Bien sûr, on peut s’émouvoir de la situation et multiplier les plaidoyers. Je pense néanmoins que seule la mesure précise permet des avancées concrètes. C’est ce que propose notamment l’initiative « Forward Foster » des Nations Unies qui demande aux entreprises qui s’engagent volontairement dans la démarche de verser un salaire égal pour un travail de valeur égale d’ici 2030 et de s’assurer d’un niveau équitable de représentation, de participation et de leadership à tous les niveaux d’encadrement et de direction d’ici 2030. Pour sensibiliser les alliés masculins, nous avons imaginé un module de formation en ligne d’une heure. Il s’agit d’un guide d’action avec des outils concrets, des stratégies actionnables et des retours d’expérience. Une heure c’est peu. Néanmoins, c’est déjà l’occasion de faire naître une prise de conscience. En effet, pour une personne qui appartient à la majorité, il est très difficile de concevoir ce que vivent les personnes minorisées. 

Quels sont les freins à l’égalité de genre en entreprise ? 

Les freins sont de plusieurs ordres. Ils sont d’abord culturels. La représentation du dirigeant blanc, masculin reste une norme dans nos sociétés occidentales.  À cela s’ajoutent d’autres biais. Nous avons un programme baptisé « Target Gender Equality », au cours duquel des femmes témoignent. Ces témoignages sont souvent l’occasion d’une prise de conscience : beaucoup se rendent alors compte des propres freins qu’elles peuvent avoir. En effet, lorsqu’une femme se voit proposer un poste à haut niveau hiérarchique, elle commence souvent par répondre qu’elle ne se sent pas légitime. Les hommes ont un rôle à important à jouer : en encourageant et en légitimant ces prises de postes. Cependant, souvent, cela ne suffit pas. Pour certains métiers et notamment pour les métiers scientifiques, les femmes restent encore largement sous représentées. Ce déséquilibre est présent dès l’université et se retrouve ensuite en entreprise. 

Comment convaincre les personnes qui prônent aujourd’hui davantage « d’énergie masculine » en entreprise ? 

À mon sens, il y a d’abord une méconnaissance du sujet. Beaucoup d’hommes dirigeants ignorent totalement ce que signifie de ne pas être en position majoritaire. Néanmoins, lorsque l’on explique les choses, rares sont ceux qui restent campés sur leur position. En fait, la plupart des hommes comprennent tout de suite le gain permis par l’égalité des genres et ils prennent rapidement conscience que cette avancée bénéficie à l’ensemble de la population au sein d’une organisation. Néanmoins, les objectifs de développement durable nécessitent de la pédagogie. L’approche par ODD est une approche holistique et globale : tous les sujets sont interconnectés. On ne peut pas traiter de l’égalité salariale sans traiter de l’accès à l’éducation, par exemple. À l’heure actuelle, dans le monde, les femmes concentrent 70 % des salaires les plus bas. Sans accès à l’éducation, ces femmes n’ont pas accès à l’emploi. Par ailleurs, si l’on ne donne pas accès à des structures telles que des crèches, les femmes seront coupées du travail. Ce sont donc des actions systémiques qui permettent de faire bouger les lignes.

Depuis l’investiture de Donald Trump, les entreprises américaines sont déjà nombreuses à mettre fin à leurs politiques D&I. Quelle est la position des entreprises françaises engagées dans le Pacte Mondial ? 

Ce sont des discussions que nous menons actuellement avec les entreprises en France. Les entreprises avec lesquelles nous travaillons sont convaincues qu’elles doivent se lever à l’unisson. Finalement, c’est une question de performance. Prenons l’exemple des entreprises de la Tech américaine. En se privant d’une diversité de talents, elles se privent également de l’innovation et de la possibilité de proposer des produits et des solutions en phase avec leur marché. À moyen et long terme, les conséquences seront réelles pour la pérennité de leur activité.