En septembre dernier le conseil municipal de la ville de Lyon a voté la création d’un habitat collectif destiné aux seniors LGBTQI+. La « maison de la diversité », première sur ce créneau en France, ouvrira ses portes en 2024. têtu·connect vous en dit plus.
Par Sarah Dahan
« C’est tout sauf un EHPAD », (Etablissement d’Hébergement pour Personnes Agées Dépendantes, NDLR) c’est en ces termes que Stéphane Sauvé, le fondateur et délégué général de l’association Les audacieux, qui a initié le projet, nous décrit cette future habitation inclusive. Encore inédite à ce jour en France.
Il est lui-même ancien directeur d’EHPAD, et a observé au cours de sa carrière plusieurs cas où des seniors LGBTQI+ n’étaient pas en sécurité au sein de ces établissements pour seniors « traditionnels ». Parmi eux, celui d’une femme lesbienne stigmatisée et isolée : « Dans un établissement, j’ai eu une femme lesbienne qui assumait son orientation sexuelle mais c’était la cour de récré quand elle recevait des amies, les autres résidents disaient : « C’est la goudou » et quand on faisait des thés dansants, personne ne voulait danser avec elle, les gens avaient peur que son homosexualité soit contagieuse. »
Stéphane Sauvé a traité ces cas concrètement de l’intérieur avec ses équipes mais le désenchantement, lié à ce qu’il nomme « la maltraitance institutionnelle » a fini par le pousser à quitter ce milieu professionnel.
En 2017 il crée l’association Les audacieux qui regroupe des bénévoles LGBTQI+ et des hétéros allié·es, qui ont pour point commun « l’envie de créer des solutions, des espaces chaleureux, des endroits où apprendre, transmettre et se rencontrer sans tabou lié à l’âge, à l’orientation sexuelle ou au genre » comme nous l’apprend le site de l’association.
L’objectif phare est celui du bien vieillir pour les LGBTQI+, une population plus vulnérable et isolée que la population hétérosexuelle : 65 % des seniors LGBTQI+ vivent seuls contre 15 % des hétérosexuel·les.
Concrètement, qu’est-ce que la « maison de la diversité », et quels sont les critères pour s’y installer ?
Il s’agit d’un habitat participatif, où tout le monde aide aux tâches quotidiennes et souhaite vivre en collectif. La maison compte seize logements individuels dont quatorze sont destinés aux seniors, ainsi qu’un logement pour étudiants et une chambre d’ami·es mutualisée. L’habitation n’est pas médicalisée mais un « responsable de maison » sera en charge de la gouvernance, des animations d’activités et des besoins des habitants. Il fera également le lien avec les aides médicales qui seront formées aux besoins et caractéristiques des seniors LGBTQI+ afin que celles-ci et ceux-ci puissent se sentir en sécurité. « Il ne faudrait pas qu’un kiné ou un plombier panique quand il rentre dans l’appartement de deux hommes et qu’il tombe sur le calendrier des Dieux du Stade par exemple » explique Stéphane Sauvé en souriant.
C’est ce sentiment de confiance qui a séduit Aline, ancienne cadre dans la restauration, qui se décrit comme une « jeune de 74 ans et demi », et l’a motivé à candidater : « C’est l’idée de vivre une vieillesse en sécurité qui m’a plu. Pouvoir vivre ce que je suis, ma sexualité dans le respect de chacun et chacune. Je veux pouvoir être moi-même et recevoir ma compagne, me sentir chez moi, tout en étant entourée de bienveillance en cas de pépin. »
Pour pouvoir devenir résident de la maison de la diversité il faut être adhérent de l’association Les audacieux et respecter sa charte, avoir au moins 55 ans et être éligible au logement social, car la spécificité liée à cette première maison de la diversité est que le CCAS (Centre Communal d’Action Sociale) de la Ville de Lyon a cédé le bâtiment à Croix-Rouge habitat via un bail à construction emphytéotique de 65 ans. Chaque candidat ou candidate doit être cooptée par le groupe, car il s’agit avant tout d’une aventure de vie collective.
A l’heure actuelle, Stéphane Sauvé discute avec des villes telles que Nice, Marseille, Toulouse et Bordeaux pour la création de nouvelles maisons de la solidarité, qui seraient des logements sociaux, ou des logements libres.
L’inclusion des seniors LGBQTQI+, un enjeu majeur
La question de l’inclusion des seniors LGBT reste encore aujourd’hui primordiale puisqu’elle concerne une population vulnérabilisée, notamment par les années Sida, et qui n’a pas vécu la même visibilité et la même liberté que la jeune génération actuelle.
Aline se considère chanceuse avec la façon dont s’est déroulée sa vie professionnelle. Elle n’a pas subi de discriminations au travail, mais elle n’a pas non plus fait son coming-out, c’était un « non-dit » qui arrangeait tout le monde. Et il en était de même dans son cadre familial.
Si toutefois l’un de ses collègues lui posait la question, elle répondait qu’elle était en couple avec une femme.
Certaines de ses amies n’ont pas eu cette « chance », certaines se sont mises en couple puis mariées avec des hommes, alors qu’elles se savaient déjà lesbiennes, sous la pression sociale et familiale. « Elles ont dû accepter de mener une vie traditionnelle, car elles n’avaient tout simplement pas le choix » nous explique-t-elle.
Les avancées sociales significatives opérées depuis une plusieurs décennies donnent matière à se réjouir, mais il reste encore néanmoins beaucoup de chemin à accomplir pour l’inclusion de la génération LGBTQI+ active actuelle. Selon le Boston Consulting Group, en 2020, seules 43 % des personnes LGBTQI+ sont out au travail, soit 11 points de moins qu’en 2018.
Un recul qui s’explique sans doute par la portée de La manif pour tous, comme le pense Aline : « La manif pour tous a fait des dégâts, le mot « mariage » n’est pas du tout passé pour eux et on l’a entendu. Je sens qu’il y a depuis plusieurs années un recul de la tolérance, il y a beaucoup de haine qui est affichée très clairement. La montée du populisme et de l’extrême-droite en Europe est très préoccupante. Et ce qu’il s’est passé aux Etats-Unis avec la restriction des droits à l’avortement l’est tout autant. Il y a un recul des droits fondamentaux dans le monde entier. Alors oui, il est important de pouvoir se sentir en sécurité jusqu’au bout. Et c’est clairement ce qu’il me plait avec la maison de la diversité. »
Si la peur de la discrimination a lieu dans la fleur de l’âge, elle n’en est que plus évidente en fin de vie, et c’est en cela que l’inclusion des seniors LGBTQI+ est un enjeu d’intérêt général. “Il n’agit pas ici d’un retour au placard ni d’une couverture pour la mise en place d’un ghetto pour séniors LGBTQI+” affirme Stéphane Sauvé. Il est ici tout simplement question d’un “safe place” pour une population qui a subi des discriminations toute sa vie, et pour éviter qu’elle ne se retrouve à nouveau confrontée à de nouvelles situations intolérables.