L’INET - Institut National des Études Territoriales - est la grande école du service public local. Ses élèves, sélectionné·es par concours après des parcours divers, seront ensuite amené·es à encadrer de nombreux agents et agentes au sein des collectivités. Les élèves de la promotion Georges Brassens (2022-2023) sont à l’origine d’une démarche nouvelle : la création du groupe Queer et allié·es destiné à informer et sensibiliser les décideurs publics de demain aux thématiques LGBTQI+. Rencontre avec Aude Castelnau et Quentin Blanc élèves de la promotion Georges Brassens et parmi les membres fondateurs du groupe Queer et allié·es.
Par Chloé Consigny
Dans quel contexte a été créé le groupe Queer et allié·es?
Aude Castelnau : Le cursus à l’INET s’étale sur dix-huit mois. La rentrée est en février et nous avons lancé ce groupe en mars, soit quelques semaines à peine après notre arrivée. A ma connaissance, jamais un groupe n’avait été créé sur les sujets LGBTQI+ au sein de l’INET. Pourtant, c’est un sujet qui reste assez mal connu au sein de la fonction publique territoriale et des LGBTQI+phobies existent toujours.
Quentin Blanc : La philosophie de l’INET est de rendre les élèves acteurs de leur formation. Nous travaillons par groupes sur différentes thématiques. Ces groupes ne sont pas exclusifs, c’est-à-dire que chaque élève travaille au sein de plusieurs groupes. Je suis par exemple co-pilote du groupe ressources humaines et je vois de nombreux ponts possibles entre les deux groupes. Le groupe Queer et allié·e est un groupe inter-filières, c’est-à-dire qu’il regroupe les élèves administrateurs territoriaux, conservateurs de bibliothèques et ingénieurs en chef.
Pourquoi avoir choisi le nom de Queer et allié·es ?
Quentin Blanc : Cela a été l’objet d’un important débat. Pour nous, le terme Queer a un sens globalisant. L’une des premières missions a été pour nous de définir les notions de Queer et d’allié·es et c’est ce que nous avons fait, en mai 2022, dans la première lettre d’actualité de la promotion.
Aude Castelnau : Il y a eu de nombreux échanges autour du nom du groupe. C’est notamment la notion d’allié·es qui posait question. Au fil des discussions, il est apparu que de nombreux camarades étaient stressé·es à l’idée de mal nommer ou de ne pas employer les bons mots. D’où l’importance du lexique qui a été notre première réalisation.
Quelles définitions pour les termes Queer et allié·es ?
Quentin Blanc : Queer est un mot anglais signifiant « bizarre » ou « étrange », originellement employé comme injure pour qualifier les personnes exclues de la norme de genre et d’orientation dominante. Ce terme est depuis 1990 réapproprié par les minorités sexuelles et de genre comme terme de fierté et d’émancipation. Peut ainsi se dire Queer toute personne dérogeant à la norme hétérosexuelle ou à ce que la société attend qu’elle soit en raison de son sexe. Par ailleurs, il s’agit d’un terme qui se choisit et qui ne s’impose pas aux personnes concernées. Ce terme permet de rassembler sous un même mot l’ensemble des minorités sexuelles et de genre. Un·e allié·e est une personne qui apporte son aide, son soutien à la communauté LGBTQI+.
Quelles ont été les réactions à la suite du lancement de ce groupe ? Combien de membres au sein du groupe ?
Aude Castelnau : Il y a eu des questionnements, des interrogations et le doute communautariste a été vite levé. Au sein de la promotion il a été assez vite admis qu’il y avait une réelle nécessité à se former aux sujets LGBTQI+. Il y a derrière un véritable enjeu managérial pour nos carrières à venir. Par exemple, comment accompagner un collaborateur en transition ?
Quentin Blanc : Nous comptons aujourd’hui une dizaine de membres actifs.
Quelles ont été les différentes actions que vous avez mises en place ?
Quentin Blanc : Nous avons organisé très récemment un « Burger Queer » dans un bar à Strasbourg (le centre de formation de l’INET est situé à Strasbourg, NDLR). Il s’agissait d’un jeu autour des questions LGBTQI+. Nous avons beaucoup appris en préparant cet événement. Cette soirée a été un véritable succès : soixante personnes sont venues alors que les trois promotions totalisent seulement 87 élèves.
Aude Castelnau : Nous avons par ailleurs pris la parole à l’occasion du congrès de l’association des administrateurs territoriaux de France via un atelier « lutte contre les LGBTphobies au travail ». Cet atelier a été l’occasion d’échanges nourris avec les élèves et les administrateurs en poste. Nous mettrons prochainement en place un « théâtre forum ». Il s’agit d’une mise en situation managériale au cours de laquelle des acteurs jouent une scène de discrimination. Les élèves interviennent pour améliorer les échanges et donner à voir de quelle façon il est possible de désamorcer des propos LGBTQI+phobes.
Est-il difficile d’être out dans la fonction publique ?
Quentin Blanc : Je pense que oui. Nous avons fait l’expérience auprès des élèves à l’issue de leur premier stage en leur demandant s’ils avaient rencontré des personnes out dans les collectivités au sein desquels ils et elles avaient travaillé. Rares étaient celles et ceux qui en avaient rencontré! Si ce petit sondage n’a pas de valeur statistique, il révèle néanmoins une réalité.
Aude Castelnau : Je reste convaincue que la sensibilisation et l’information peuvent faire beaucoup. Par exemple, la mise en avant de rôles modèles au sein des collectivités peut avoir un impact majeur sur l’ensemble des agent·es.
Comment expliquez-vous le retard de la fonction publique sur les sujets LGBTQI+ ?
Quentin Blanc : je ne l’explique pas. Cependant ce n’est pas par conservatisme. En effet, si l’on regarde la sociologie de la fonction publique, celle-ci est à l’image de la société. Je pense que les collectivités locales ne se sont pas emparées de ces thématiques par méconnaissance du sujet.
Aude Castelnau : Nous avons essayé d’identifier les collectivités locales engagées sur les questions LGBTQI+ sur le plan managérial. Il a été difficile d’en trouver. Finalement, nous nous sommes référés au nombre de collectivités signataires de la charte de l’Autre Cercle. Il y en a 22 en 2022. Au regard des 36 000 collectivités locales qui existent en France, c’est minime.
Au sein des entreprises privées le travail autour de l’inclusion de toutes les diversités est identifié comme un levier de performance. Parlez-vous également de performance dans la fonction publique ?
Quentin Blanc : Nous ne parlons pas de performance mais d’efficience. L’enjeu est important pour la fonction publique territoriale, particulièrement à un moment où les collectivités peinent à recruter de nouveaux talents. Il s’agit d’un sujet de marque employeur.
Aude Castelnau : C’est également un sujet d’efficience du service public et d’accueil des personnes que la collectivité doit servir. Une collectivité doit être à l’image de la société au sein de laquelle elle évolue.