Depuis 1999, le 20 novembre honore la mémoire des victimes de la haine transphobe, et lève le voile sur les luttes menées pour les droits des personnes transgenres. Ce moment clé s’inscrit dans la continuité de la Semaine de sensibilisation aux réalités trans, qui vient de s’achever.
Par Aimée Le Goff
Il y a 25 ans, le 28 novembre 1998, Rita Hester mourait chez elle, dans la banlieue de Boston, aux États-Unis. Poignardée à la poitrine, cette danseuse de cabaret afro-américaine transgenre est devenue un symbole après sa mort. De son meurtrier, nous n’apprendrons rien, l’affaire n’ayant jamais été résolue par la police. Aucune trace d’effraction, aucun objet volé n’ont jamais été constatés. Pour ses proches, la piste du meurtre transphobe a toujours été privilégiée. Son histoire aura en tout cas inspiré le site Remembering our Dead, créé par la militante californienne Gwendolyn Ann Smith pour recenser les victimes d’homicide transphobe à travers le monde. Un an plus tard, le 20 novembre 1999, la Journée internationale du souvenir trans, ou Transgender Day of Remembrance (TDoR), commémorait pour la première fois cet assassinat. Depuis, le 20 novembre est une Journée consacrée à sa mémoire et à celle de centaines de personnes tuées ou poussées au suicide en raison de leur transidentité ou de leur non binarité.
Des centaines d’homicides par an
Pourquoi poursuivre cette commémoration ? D’après les derniers chiffres de l’ONG Transgender Europe, qui cartographie, via son projet Trans Murder Monitoring (TMM), les cas de meurtres et d’agressions transphobes à travers le monde, 320 personnes transgenres ont été tuées entre octobre 2022 et septembre 2023, dont 235 en Amérique latine et dans les Caraïbes. Un chiffre similaire aux statistiques de 2022, qui enregistrait 327 cas. Selon le rapport 2020 de l’ILGA, association internationale des personnes LGBTQI+, 13 pays membres de l’ONU criminalisent encore explicitement la transidentité. Parmi eux, l’Indonésie, la Gambie, le Liban, la Jordanie, le Nigeria, le Togo et les Émirats arabes unis. Le Brésil est actuellement le premier pays au monde pour les meurtres de personnes trans.
Alors, quand la question « Pourquoi les personnes trans sont-elles partout ? » lui est posée, Samy Nour Younes sourit et clarifie d’emblée : « la transidentité n’est pas un sujet nouveau ». Activiste américain mobilisé pour les droits des personnes trans, il anime des conférences qui retracent l’histoire des luttes LGBTQI+. Bien avant les années 90, « de nombreuses civilisations reconnaissaient la multiplicité des genres », expose-t-il. Il faudra pourtant attendre 2014 pour voir un pays de l’Union européenne, le Danemark, accorder le droit à l’autodétermination de l’identité des personnes transgenres. De nombreux pays occidentaux lui emboîteront le pas, dont la France qui, depuis 2016, permet de modifier son état civil sans avoir « à justifier de traitements médicaux, d’opération chirurgicale ou de stérilisation », moyennant cependant une procédure devant les tribunaux.
Mobilisation progressive des autorités
Ces dernières années, des mesures gouvernementales ont été adoptées pour s’emparer du sujet. En 2019, la DILCRAH, délégation interministérielle dédiée en partie aux luttes contre les LGBT-phobies, publiait une fiche pratique pour « présenter les droits des personnes trans afin de garantir leur respect ». Le document mentionne les principales problématiques rencontrées et expose les moyens à mettre en œuvre pour « créer un environnement inclusif ». Fin 2021, un nouveau pas est fait avec la diffusion de la circulaire « Pour une meilleure prise en compte des questions relatives à l’identité de genre en milieu scolaire », signée par Jean-Michel Blanquer, alors ministre de l’Éducation nationale, et adressée aux personnels éducatifs pour plus d’inclusivité à l’école. Malgré ces initiatives encourageantes, les agressions transphobes perdurent chaque année. En France, le dernier rapport de SOS Homophobie s’inquiète d’une hausse des témoignages de transphobie, de 27% en 2022 par rapport à 2021.
Mauvaise foi en entreprise
D’autres associations accompagnent hommes et femmes transgenres dans leur parcours, à l’instar de TransAide, fondée en 2020. Son président, Edward, est prothésiste dentaire dans un laboratoire privé, et doit faire face à la mauvaise foi de ses employeurs. « J’ai évoqué mon parcours de transition dès mon arrivée, ce qui n’a d’abord pas posé de problème. Les choses se sont compliquées quand j’ai annoncé de premiers changements administratifs et des dates d’opération ».
Après un an, Edward lutte toujours pour ne pas être appelé par son ancien prénom. Ses congés dus aux opérations, annoncés six mois à l’avance, sont mal perçus. « Mon nouveau prénom n’apparaissait pas sur les fiches de paie. Le changement n’avait pas non plus été effectué par la mutuelle de l’entreprise, ce qui posait des problèmes de liaison avec la sécurité sociale, qui avait fait le nécessaire. On m’a expliqué qu’on ne pouvait rien faire, ce qui est faux ». En arrêt depuis février, Edward a finalement proposé une rupture conventionnelle, refusée. « Mes employeurs estiment ne pas être en tort et me considèrent responsable. J’ai fini par déposer un dossier au Conseil des Prud’hommes, et contacté un syndicat. En attendant, cette situation génère du stress et me fait perdre de l’argent ». Le mois prochain, une conciliation obligatoire se tiendra pour proposer une dernière négociation, envisageable pour éviter les tribunaux.
Reconversion salvatrice
Chez TransAide, Edward reconnaît que les témoignages recueillis mentionnent surtout des discriminations à l’école et au travail. Balthus, 22 ans, en a fait l’expérience durant son précédent emploi dans la vente. « Il y a eu beaucoup de curiosité malsaine. Ma manageuse me demandait comment se passait ma ‘‘mutation’’, la clientèle ne se gênait pas pour passer derrière la caisse et voir si j’étais ‘‘déguisé’’ ». Depuis septembre, il a repris ses études pour obtenir un diplôme de moniteur-éducateur et travaille trois semaines par mois dans un IME (Institut médico-éducatif). « À l’école et à l’institut, je n’ai aucune difficulté. Je suis aussi arrivé avec une certaine assurance que je n’avais pas avant. Parfois, cette confiance-là peut jouer ». Pour voir se dessiner un avenir plus serein, d’autres journées de sensibilisation seront nécessaires. Après ce 20 novembre, la Journée internationale de la visibilité transgenre célèbrera le 31 mars la communauté trans, tandis que le 8 mars est la journée internationale des droits des femmes. Avec toujours l’espoir de voir les chiffres de la transphobie baisser significativement.