À la tête de son entreprise de maçonnerie, Léa Bougro se bat contre les stéréotypes de genre dans le secteur du bâtiment. À 45 ans, elle raconte le pouvoir d’être enfin elle-même, rendu possible grâce à sa transition.
Par Aimée Le Goff
Léa Bougro n’est pas du genre à passer par quatre chemins. « Si je parle aux journalistes, c’est pour prouver à tout le monde que oui, on peut être une femme trans et patronne dans le bâtiment ». Comme d’autres femmes transgenres, Léa Bougro, 45 ans, a vu le visage d’employeurs changer depuis sa transition. Cheffe d’équipe en maçonnerie, elle travaille aujourd’hui à son compte, après avoir subi des discriminations en agence d’intérim.
Un entourage bienveillant
Les premières questions sur son identité de genre, Léa Bougro se les pose à 19 ans, après son service militaire obligatoire. « Je me suis rendu compte que je ne me sentais pas bien en tant qu’homme. J’ai stocké ça dans un coin de ma tête jusqu’à mes 45 ans ». Entre temps, Léa se met en couple, fonde une famille – sa fille a 13 ans – et mène, durant 26 ans, une « vie normale, comme tout le monde ». Elle ne s’interroge plus jusqu’à la séparation d’avec la mère de sa fille, moment où « tout remonte à la surface ». « C’est comme si tout avait explosé dans ma tête. La séparation a eu lieu pour d’autres raisons, mais je me suis dit qu’il fallait que je fasse cette transition pour me sentir mieux ».
À Rochefort (Charente-Maritime) où elle habite, elle se fait accompagner par l’association ADHEOS pour bénéficier de soutien psychologique, avant d’entamer un traitement hormonal début 2022. Son entourage proche se montre compréhensif, sa mère dit avoir très tôt pressenti ce moment. En revenant sur les années écoulées, Léa se dit fière d’avoir eu sa fille. « Elle a très bien compris ma décision. Je lui ai dit les choses progressivement ».
« Les portes se refermaient toutes »
Si Léa bénéficie de soutien sur le plan personnel, les choses se gâtent dans sa vie professionnelle, à peine l’idée de transition évoquée. « Au début, ça rigolait chez les collègues. Quand iels ont vu que je passais à l’action, ça a commencé à coincer ». Pourtant, quand il s’agit de maçonnerie, Léa Bougro évoque son tempérament travailleur avec passion. « C’est un très beau métier. Je pourrais bosser sept jours sur sept sans problème si ma compagne ne m’arrêtait pas ».
Depuis son premier emploi, à 16 ans, elle n’a connu ni le chômage, ni les difficultés pour signer un CDI. Devenue cheffe d’équipe après des années à multiplier les contrats, elle décide, en novembre 2021, de changer de prénom auprès de l’État Civil, ce qui lui prendra un an. La perspective d’un CDI via une agence d’intérim se dessine en même temps que s’achèvent les démarches administratives. Léa prépare le contrat en inscrivant son nouveau prénom. « Du jour au lendemain, j’ai perdu le job sans explications. Je travaillais via cette agence depuis huit mois, tout se passait très bien ».
Contre la transphobie, le choix de l’entrepreneuriat
Après cet incident, Léa passe plusieurs entretiens mais les propositions qui lui sont faites la poussent à rayer des années d’efforts. « Je devais renoncer à un poste de cheffe d’équipe pour redevenir ouvrière ou manœuvre. Les portes se refermaient toutes. C’était la première fois que je galérais à trouver un travail qui corresponde à mon savoir-faire. J’avais l’impression de gêner. Une femme cheffe d’équipe, ça ne passait pas ».
Pour décrire le secteur du bâtiment, Léa Bougro pointe du doigt la transphobie et le sexisme de ses anciens collègues. « Je ne voyais pas tout cela avant ma transition. En fait, je n’ai jamais imaginé que ma transition m’empêcherait de trouver du travail ». À ce sujet, elle dit regretter « d’avoir laissé passer beaucoup de blagues, beaucoup de remarques. Maintenant, avec les hommes, ça passe bien moins ».
Contactée par têtu·connect, la Fédération Française du Bâtiment (FFB) n’a pas réagi. Le 8 mars dernier, elle détaillait dans un communiqué une hausse de ses effectifs féminins, soit 12,9% en 2023, contre 8,6% en 2000. « Plus d’une entreprise sur deux est dirigée ou co-dirigée par une femme », appuie le document, précisant que « la Fédération accompagne les dirigeantes et codirigeantes qui s’engagent de plus en plus dans l’entrepreneuriat au féminin, via les groupes Femmes dirigeantes ». Au sein de la FFB, ces 94 groupes réunissent 3000 membres pour lutter pour plus de parité. Autre chiffre mis en avant : « 10 % des mandataires de la FFB sont des femmes ». Concernant le recrutement et l’accompagnement des personnes transgenres, rien n’a été communiqué à ce jour.
« Je m’affirme énormément »
Durant les premiers mois de son traitement hormonal, faute de trouver un emploi à la hauteur de ses compétences dans son secteur, Léa s’est d’abord tournée vers un CDI de femme de ménage. « Ce n’était pas pour moi, je ne suis pas faite pour l’intérieur. La maçonnerie, c’est très dur physiquement, mais ça reste mon dada ». Début 2023, elle renonce à poursuivre les candidatures et lance une cagnotte de financement participatif pour payer l’équipement nécessaire au lancement de son entreprise. Avec Lys, sa compagne et nouvelle associée, elle trouve un premier chantier. Depuis, l’affaire semble lancée. Un prêt vient d’être accordé pour l’achat d’un camion. « Ça fait deux mois qu’on est en service, on arrive déjà à avoir pas mal de client·es, sûrement grâce au bouche à oreille ».
Pour voir la situation s’améliorer dans son secteur, la néo-entrepreneuse estime qu’il faudra encore 20 ou 30 ans. Soucieuse de bâtir un environnement professionnel plus inclusif, Léa serait fière de recruter des femmes, des personnes trans, « n’importe qui du moment que les compétences suivent ». Même à son compte, en tant que femme transgenre, elle imagine de possibles représailles : agression dans la rue, insultes, dégradation de son camion…Rien qu’elle ne craigne vraiment. « Avant ma transition, j’étais très timide, on ne m’entendait pas. Aujourd’hui je suis enfin moi-même et je m’affirme énormément. Si on me dit quelque chose, c’est sûr, je me rebiffe ».