Lassé d’expériences discriminantes au travail, Corentin Brison s’est tourné vers l’artisanat indépendant il y a sept ans. Céramiste, associé à la tête de l’atelier parisien Trois Potes et très actif sur les réseaux, il partage avec 15 000 followers ses choix professionnels et sa nouvelle vie de coparent.
Par Aimée Le Goff
Dans le calme olympien de son atelier, Corentin Brison ne reçoit presque personne. Alors, quand il propose de nous ouvrir ses portes, la perspective d’un moment privilégié se dessine. Niché dans une cour du 10e arrondissement parisien, l’endroit est réservé à la production. Ses créations rassemblent des objets et commandes pour des marques, des restaurants et des particuliers. On dit de ses pièces qu’elles empruntent un style « sobre et japonisant », lui ne revendique pas d’inspiration particulière. « Il m’a surtout fallu du temps pour trouver ma patte », résume-t-il. À Paris, deux autres locaux sont ouverts pour des cours de poterie dispensés auprès d’un public amateur adulte. Une activité lancée à trois, avec Martin et Suzie, sobrement baptisée Trois Potes.
Discriminations et jeux de pouvoir
Pour raconter les coulisses de cet épanouissement professionnel, le céramiste se replonge dans les souvenirs d’un parcours qu’il estime « sinueux ». Le rire est franc, le contact facile. Il évoque tour à tour sa scolarité privée et catholique à Angers, son coming out bien reçu par son entourage, ses expériences professionnelles teintées d’homophobie. Sorti d’une école hôtelière, il travaille cinq ans dans la restauration. « J’y ai vécu mes plus mauvaises expériences, entre insultes homophobes et autres agressions de la part d’un chef. La restauration est un secteur scindé en deux : en salle, c’est un univers majoritairement féminin. En cuisine, il y a beaucoup de misogynie et de LGBTphobie ».
Un premier virage s’opère lorsqu’il reprend ses études pour entamer une double licence en droit et histoire de l’art, en visant le concours de commissaire-priseur. À nouveau, l’étudiant doute d’être à sa place et découvre de nouveaux jeux de pouvoir. « J’ai tenu deux jours de stage chez un commissaire-priseur, beaucoup plus âgé, lui aussi homosexuel. Il faisait trop d’insinuations, l’ambiance était malsaine. J’ai préféré partir avant que ce ne soit trop dangereux ».
Sacrifices et récompenses de l’entreprenariat
À ses yeux, le monde de l’art comme celui de la mode, où beaucoup de ses ami·es travaillent, n’ont rien de plus inclusif que d’autres secteurs. « Il y a beaucoup d’argent et de pouvoir, dont certain·es abusent. De ce que j’entends, l’homophobie y est aussi présente ». En 2017, la découverte de la céramique lui donne le goût du travail manuel. C’est une révélation, sa famille ne comptant aucun artisan.
Une formation professionnalisante lui ouvre la voie d’une nouvelle reconversion. « Je me suis dit :‘‘ fais quelque chose pour toi, tu n’auras de comptes à rendre qu’à toi-même. Depuis, je n’ai jamais subi de comportements problématiques ou de propos déplacés. On me découvre aussi via les réseaux, où je ne cache rien de mon orientation affective. Les personnes qui viennent sont des alliées ». Il en rit presque : « maintenant, c’est un peu le monde des bisounours. C’est en écoutant les infos que je me rappelle la violence du monde ». L’artiste regrette seulement que son succès soit perçu comme facile, « alors que derrière, il y a énormément de sacrifices et d’heures de travail ».
Le choix de la coparentalité
Sur son compte Instagram où il rassemble près de 15 000 abonné·es, Corentin alimente une story « coparentalité » dans laquelle il raconte le chemin qui l’a mené à sa nouvelle vie de père. Voilà bientôt trois ans que son mari et lui partagent la garde de leur fille avec sa mère biologique. « Avant le mariage pour tous, la parentalité n’était pas envisageable ». Lorsqu’en 2013, la loi ouvre le droit à l’adoption pour les couples homosexuels, Corentin et son conjoint se marient pour effectuer une demande en agence. Le couple obtient l’agrément mais en cinq ans, le dossier ne sera jamais présenté. « Nous n’avions pas envie de faire appel à la GPA (Gestation Pour Autrui, interdite en France, ndlr), nous avons renoncé ». La coparentalité se présente plus tard comme une réponse possible. Inscrits sur un forum dédié, Corentin et son mari rencontrent la future mère de leur enfant, hétérosexuelle et célibataire. « La coparentalité lui a permis de réaliser son rêve en dissociant maternité et vie sentimentale ».
À l’entendre, les choses semblent aujourd’hui faciles. « La grossesse a été compliquée mais cela nous a soudés en tant que famille », nuance-t-il. Le personnel médical s’est montré bienveillant, la crèche n’est pas un sujet ni la nounou une nécessité. Lucide, il se dit que les choses peuvent se compliquer au collège. « D’ici là, on arme notre fille autant qu’on peut, pour qu’elle soit en capacité de répondre aux questions sur son schéma familial ». Aux yeux de la loi, Corentin, qui n’est pas le père biologique, exerce sur sa fille une autorité parentale depuis quelques mois. Son époux est le père biologique de leur fille. « Nous avons entamé une procédure devant le juge des affaires familiales, avec une réponse positive. Je ne pouvais pas demander d’adoption car cela risquait de retirer l’autorité parentale de l’un·e des parents biologiques ». En France, plus de deux personnes peuvent exercer une autorité parentale sur un·e enfant. « La filiation n’est pas possible mais on peut envisager de consulter un·e notaire ».
S’exposer et se préserver sur les réseaux
Sur ces sujets, Corentin répond volontiers aux questions posées sur les réseaux. Les rares commentaires offensants sont supprimés. « Je n’y prête pas attention et je tiens à m’en protéger », balaie-t-il. S’il continue de communiquer publiquement, c’est, dit-il, « pour informer ». « La coparentalité intéresse beaucoup de personnes hétérosexuelles à la recherche de nouveaux modèles ».
Si pour lui, la société a évolué sur les sujets d’inclusivité – la nouvelle littérature pour enfants nourrit son optimisme – de nombreux combats restent à mener. « Pour atteindre plus d’égalité, il faut être prêt·e à accepter des débats difficiles, avec des personnes qui ignorent beaucoup sur ces sujets ». Il se demande dans quelle société sa fille grandira, et fait le vœu d’un cap à maintenir : « continuer de parler librement de ma vie et de ma famille ».