Hisanori Tamura, à la tête de sa société de communication internationale, mène deux vies parallèles en France et au Japon. Fils de diplomate forgé par les voyages et les déménagements, il livre son expérience de l’homosexualité dans des régions du globe aux antipodes en matière d’inclusion et de diversité.
Par Aimée Le Goff
Comment définir le profil d’Hisanori Tamura ? Dirigeant ambitieux, citoyen polyglotte, néo-militant discret ? À 38 ans, il partage son temps entre la France et le Japon, à la tête de sa société de production audiovisuelle Baramon International, implantée à Paris. Barbe brune et crâne rasé sur un corps d’apparence massive, l’entrepreneur se montre avenant, rieur presque dès nos premiers échanges. Peu de questions suffisent pour l’inviter à se raconter. « J’ai deux vies qui se croisent, résume-t-il. En général, j’alterne tous les six mois en fonction des saisons propices aux tournages. Mon père était diplomate, j’ai un peu continué la vie qu’il menait ».
« J’ai appris à ne pas avoir d’identité fixe »
Le Japon n’autorisant pas la binationalité, Hisanori n’a qu’un passeport mais parle six langues, a vécu dans près de dix pays, et ne se contente plus d’une seule vision du monde. Né à Bangkok d’une mère thaïlandaise et d’un père japonais, il partage son enfance entre le Québec, le Kenya, le Luxembourg, la Libye et l’Australie. « J’étais un peu perdu quand j’avais 15 ans, mais très vite, j’ai appris à accepter la pluralité, à ne pas avoir d’identité fixe. Quand on se mélange à ce point avec d’autres cultures, on poursuit sa vie imprégné de toutes ces fusions, ça aide dans le monde du travail et de l’entreprise. Les bases de mon identité sont japonaises et françaises, mais je suis constitué de beaucoup d’autres choses ».
Il révèle son homosexualité à ses parents à 13 ans, pour « en finir le plus tôt possible avec cette idée de placard ». « J’avais anticipé en calculant que mon père, traditionaliste, mettrait cinq ans à l’accepter. J’ai été pessimiste, il n’en a mis que trois ». Sa mère y serait pour beaucoup dans ce travail d’acceptation. « Elle a pris le temps pour lui expliquer les choses. Sa culture initiale est différente. En Thaïlande, il y a la reconnaissance d’un troisième sexe, les sujets queer sont bien plus acceptés ». Plus tard, l’annonce de sa séropositivité sera reçue sans a priori.
Une homophobie « plus discrète » au Japon
Scolarisé dans un lycée français au Luxembourg, Hisanori s’installe à Paris pour ses études puis s’envole pour le Japon avec un master de sociologie japonaise en poche. Il débute sa carrière dans le journalisme comme fixeur avant d’être employé dans une société de traduction puis d’officier à son compte durant plus de dix ans. « En termes de discrimination, le pire qui soit arrivé dans une entreprise, c’est qu’on ne venait pas me parler spontanément, sauf si le travail l’exigeait. Dans d’autres entreprises plus ouvertes, on peut s’affirmer en tant qu’homme gay. Au Japon, l’homophobie n’est jamais exprimée ouvertement, c’est très discret, mais dans les entreprises plus traditionalistes, ce sera toujours plus difficile d’obtenir une promotion ». La société qu’il fonde en 2022 en embarquant deux amis comme associés est un succès, développé à force de collaborations phares, dont une avec la chaîne américaine NBC Sports pour la diffusion des Jeux olympiques. Après deux ans, le dirigeant se réjouit que son cœur d’activité, qui consiste à produire du contenu audiovisuel pour la télévision britannique et japonaise, lui donne la « liberté de rester maître de toutes les décisions ».
Avec la communauté Bear de Paris
Durant ses séjours parisiens, Hisanori fréquente l’association des Ours de Paris, en référence à la communauté Bear, qui trouve son origine dans les années 70 à San Francisco pour s’opposer à l’injonction d’un corps masculin parfaitement musclé. « Dans la communauté gay, les Bear revendiquent un autre physique, avec des corps gros et de la barbe, en opposition aux canons de beauté traditionnels ». En 2024, il participe au concours de Mr Ours et remporte le titre de 1er dauphin. « Comme je ne suis pas si gros, beaucoup de gens ont questionné ma légitimité », commente-t-il dans un demi-sourire. Il s’enthousiasme en tout cas qu’une personne racisée – d’origine indienne – ait gagné le concours cette année, « une première ».
Au Japon, l’« ours » dénote à côté d’hommes hétérosexuels. « Les codes de beauté masculine hétérosexuelle sont encore différents. On valorise les physiques androgynes, efféminés, même si à l’intérieur, les hommes restent très machos. Avec mon style et ma barbe, on sait tout de suite que je ne suis pas hétérosexuel ! ». Toujours à cheval entre deux pays, sa vie affective se trouve impactée par son rythme de vie, qu’il commente sobrement : « je suis toujours marié, mais on ne vit plus ensemble. J’ai accepté la situation ».
Des codes culturels à intégrer
En dehors de sa vie franco-japonaise, Hisanori passe son temps en Serbie ou en Bosnie, où il s’est tissé un solide cercle d’ami·es. Evidemment, ce profil on ne peut plus cosmopolite invite à lui demander comment vivre la diversité LGBTQI+ selon ces régions du monde. « Il faut comprendre que chaque culture a son propre rythme. L’homosexualité est davantage normalisée en France, mais cette normalité n’est pas applicable à d’autres pays pour des raisons culturelles, pas forcément religieuses ». En Serbie, l’homosexualité serait surtout mal perçue pour des raisons politiques. « Il y a un positionnement pro-russe qui va automatiquement contre les valeurs occidentales. C’est en partie pour s’opposer aux États-Unis qu’on rejette l’homosexualité ». Le Japon est un cas d’études différent. « Qu’ils soient hétéro ou homo, les Japonais sont pudiques. Ils ne mentionnent pas leur vie affective ouvertement, ne s’embrassent pas dans la rue…Certains, très nationalistes, ont simplement peur de la différence ».
Il poursuit : « Partout dans le monde, malgré l’absence de droits, il y a toujours un endroit où se retrouver. C’est aussi pour ça que j’aime la Serbie. Vu que la situation est difficile, les gays sont très soudés, un peu comme à Dubaï ou en Libye ». En 2024, les écarts en matière de droits LGBTQI+ dans le monde restent vertigineux. D’après l’Observatoire des inégalités, l’homosexualité est criminalisée dans 69 pays sur 193. Dans 11 d’entre eux, les relations homosexuelles sont passibles de peine de mort.